Les
Poèmes à Lou – précédés de
Il y a – sont le testament d'une passion courte et intense ; celle que connut
Guillaume Apollinaire pour
Louise de Coligny-Châtillon, avec qui, après leur rupture, il continua d'entretenir une correspondance jusque sur le front de la guerre 1914-1918. C'est d'ailleurs Louise qui publia ces
poèmes extraits de sa correspondance avec le poète.
Si le présent recueil n'a pas peut-être pas la puissance poétique, sur le fond et la forme, d'
Alcools, il n'en recèle pas moins des pièces où s'exprime une poésie tout à la fois mélancolique et charnelle d'une grande intensité.
Je pense, notamment, à « Si je mourais là-bas… », mélange de regrets amoureux et de fatalité quant à la guerre, qu'
Apollinaire s'apprête à rejoindre depuis Nîmes où il est en caserne à la suite de son engagement enfin accepté, malgré le fait qu'il n'ait pas encore la nationalité française :
« le fatal giclement de mon sang sur le monde
Donnerait au soleil plus de vive clarté
Aux fleurs plus de couleur plus de vitesse à l'onde
Un amour inouï descendrait sur le monde
L'amant serait plus fort dans ton corps écarté. »
On trouve aussi des vers qui disent toute la tension sexuelle – l'obsession même, maintenant que les deux anciens amants ne sont plus que des amis, ce qui frustre le poète et l'abandonne à ses souvenirs d'étreintes – à la moindre évocation de Lou, qui ne s'est pas laissé aimer comme
Apollinaire l'aurait voulu, c'est-à-dire exclusivement :
« Je touche aussi la toute petite éminence si sensible
Qui est ta vie même au suprême degré
Elle annihile en agissant ta volonté tout entière
Elle est comme le feu dans la forêt
Elle te rend comme un troupeau qui a le tournis
Elle te rend comme un hospice de folles
Où le directeur et le médecin chef deviendraient
Déments eux-mêmes. »
Puis
il y a la guerre et l'on se dit que songer à Lou c'est aussi un moyen de supporter l'insupportable pour
Apollinaire :
« Quelle triste chanson font dans les nuits profondes
Les obus qui tournoient comme des petits mondes. »
Côté style, on comprend, en lisant ceci, que les surréalistes – le mot est d'ailleurs une invention d'
Apollinaire – aient à ce point admiré le poète :
« Les jeunes filles qui passent sur le pont léger
portent dans leurs mains
le bouquet de demain
Et leurs regards s'écoulent
Dans ce fleuve à tous étranger
Qui vient de loin qui va si loin
Et passe sous le pont léger de vos paroles
O Bavardes le long du fleuve
O Bavardes o folles le long du fleuve. »
Imaginons maintenant ce qu'aurait pu encore produire
Guillaume Apollinaire s'il n'avait pas été blessé, fragilisé par cette blessure et si la grippe espagnole n'avait pas profité de cette fragilité pour l'emporter ce 9 novembre 1918, le privant jusqu'au bonheur de l'Armistice, qui mettait fin au carnage. Mais il est vrai qu'avec des « si » on mettrait Paris en bouteille…
Il nous reste au moins ça :
« Je joue un air d'amour aux cordes de cristal
De cette douce pluie où s'apaise mon mal
Et que les cieux sur nous font doucement descendre. »
(PS : les quelques
calligrammes présents dans le recueil auraient mérité un agrandissement pour être plus lisibles)