Contrairement à d'autres professions qui étouffent dans l'individu l'esprit d'acceptation et de compréhension de son semblable, la médecine fait à l'inverse. Le médecin, en tant que tel, ne peut fermer les portes de son âme, éteindre la lueur de son entendement. Toutes sortes d'humains le sollicitent, à toute heure du jour: ceux qui souffrent et ceux qui simulent, ceux qui ont peur et ceux qui délirent. Aussi faut-il la grâce d'une certaine dimension affective et intellectuelle pour répondre efficacement à des appels aussi nombreux et aussi divers. Or cette dimension est implicite dans la condition de l'artiste, le plus réceptif et le plus perceptif des mortels. Voilà pourquoi, quand le hasard superpose à une vocation créatrice une condamnation à la clinique, il n'y a pas de conflit sanglant. Le stylo qui écrit et celui qui prescrit alternent harmonieusement dans la main- Miguel Torga-Journal-20 janvier 1961
Nous connaissons tous de ces médecins qui, à la patience humaniste d'une longue consultation, joignent bientôt l'acuité du coup d'œil et l'ellipse de quelques lignes, techniques, de diagnostic. Ce sont exactement là, additionnées d'anxieuse perplexité et d'aveugle passion, les qualités mêmes de l'œuvre: et de l'écriture même de Torga. Quatre lignes serrées: et toute la spécificité d'un cas est cernée. (p.42)