Après
Flammes en 2019, l'australien
Robbie Arnott n'a pas fini de nous étonner. Il revient cette fois chez Gaïa pour un roman de nature-writing très particulier qui s'amuse à flirter allégrement avec le fantastique et le conte pour mieux déjouer nos attentes. Originaire de Tasmanie, l'auteur nous convie à un voyage hors du temps où l'homme et la Nature tentent de cohabiter et de se respecter mutuellement. Et ce n'est pas chose aisée…
Il était une fois…
Contrairement à ce que pouvait laisser croire la quatrième de couverture,
L'oiseau de pluie ne commence pas immédiatement avec l'histoire de Ren.
Robbie Arnott choisit d'ouvrir son roman sur un mythe, celui d'un héron fait de pluie capable d'accorder chance et prospérité… ou au contraire d'anéantir sols et cultures. L'histoire de la fermière et de
l'oiseau de pluie sonne dès lors comme un avertissement à propos de la versatilité de la Nature et de la capacité de l'homme à bouleverser le fragile équilibre qui s'opère.
Après cette introduction, le ton est donné. le roman de
Robbie Arnott va changer au gré du temps et, de chapitre en chapitre, verser dans le conte, la science-fiction et le fantastique.
Dès son second chapitre, le lecteur fait la connaissance de Ren, une femme recluse dans la forêt pour une raison obscure et qui survit grâce au troc qu'elle entretient avec Barlow, un homme des environs. Un jour cependant, elle apprend que des soldats sont arrivés et qu'il cherche la mythique oiseau de pluie pour le ramener aux généraux du nouveau gouvernement.
Dans le monde imaginé par
Robbie Arnott, les catastrophes climatiques se sont enchaînées et un coup d'état a permis à l'armée de prendre le pouvoir en imposant sa loi sanglante et répressive. Si l'on pourrait croire à un virage réaliste de l'histoire, il n'en est pourtant rien puisque jamais le pays ou l'époque ne sont clairement établis. Tout reste flou et donc universel.
Tandis que Ren et les soldats, dirigés d'une main de fer par la lieutenante Harker, entament un bras de fer impitoyable autour de ce fameux Héron doté de pouvoirs fantastiques, une autre histoire parvient aux oreilles du lecteur.
Cette fois, on change de décor, délaissant la forêt pour un village portuaire où Zoe et sa tante vivent d'un commerce atypique et particulièrement recherché : l'encre de calamar. Pour en obtenir, les pêcheurs du coin doivent littéralement payer de leur sang pour récolter le précieux sésame. Pas de soldats cette fois mais un mystérieux « homme du Nord » qui débarque sans prévenir avec la ferme intention de percer le secret du village afin d'industrialiser le processus.
Mais, bien sûr, personne n'a envie de lui dévoiler la vérité…
De ces deux histoires apparemment sans aucun lien,
Robbie Arnott va tirer une aventure à la fois rude et pourtant d'une grande sensibilité où il s'interroge sur la Nature elle-même et la considère de façon crûment réaliste. Ni angélique, ni diabolique, mais quelque part entre les deux, tantôt bienfaisante tantôt fatale. À la manière des hommes qui rôdent aux alentours pour en tirer profit.
Le prix à payer
L'oiseau de pluie se veut avant tout une parabole sur l'entêtement de l'homme à contrôler la Nature.
Robbie Arnott illustre avec intelligence et originalité le prix de ce rapport de force. Que ce soit Harker qui perd un oeil pour capturer son Héros mythique ou les cicatrices de l'Homme du Nord et des pêcheurs lorsqu'ils tentent d'obtenir l'encre de leurs précieux calamars. L'exploitation des ressources naturelles, ici symbolisées notamment par
l'oiseau de pluie qui donne son titre au roman, va dégrader l'environnement humain et engendrer des morts violentes, fruit de la cupidité et de la stupidité des hommes.
En changeant encore et encore de narrateur (et donc de point de vue), l'Australien va pourtant relativiser le rôle des uns et des autres dans les évènements dramatiques qui nous sont comptés. Cette obstination pour nuancer ses personnages va permettre au roman d'acquérir une profondeur humaine insoupçonnée qui culmine dans un ultime chapitre à la première personne (et dont on vous laisse la surprise) où l'émotion jusque là contenue de justesse finit par éclabousser les pages de l'histoire et rendre compte de la vérité ultime : le bien et le mal sont des choses toutes relatives et chaque drame peut s'expliquer et se comprendre. La beauté du personnage d'Harker, véritable figure centrale du roman, s'explique par cette nuance, ce refus de catégoriser les gens et la possibilité de les laisser s'ouvrir d'eux-mêmes, de leur permettre de prendre conscience de leurs erreurs et de leur faiblesse.
La rédemption trouve toujours son chemin chez
Robbie Arnott, souvent dans les larmes et la douleur. Au-delà de son aspect philosophique, c'est une authentique fable écologique que nous offre l'écrivain, pleine de beauté et de cruauté, dénonçant le rôle des hommes et de leur système économique qui met le monde à genoux pour n'en laisser que des
flammes.
L'oiseau de pluie s'achève pourtant sur un message d'espoir, celui d'une humanité retrouvée et apaisée capable de faire la paix avec elle-même et avec son passé.
Roman d'abord déroutant puis parfaitement passionnant,
l'oiseau de pluie ne se limite pas au conte philosophique, il creuse patiemment le coeur de ses personnages pour enterrer le manichéisme de façon définitive.
Robbie Arnott esquisse les contours d'un futur en ruines pour en tirer un espoir, celui de l'individu capable de prendre conscience de ses fautes pour changer le cours des choses.
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