Entre journal intime et poèmes en prose, Cendres vives de
Françoise Ascal, est un livre saisissant.
Le Pré est la première partie de l'ouvrage. L'auteure évoque ici son enfance, la maison de campagne familiale, les souvenirs de l'été, d'une nature savoureuse et colorée, sonore et lumineuse, comblant l'insouciance et la curiosité d'une petite fille de 7 ans. Pourtant, dans une chambre à l'étage de la maison, le père allongé dans son lit, touché par la maladie, attend la mort.
Bien des années plus tard, l'auteure revient dans la maison de son enfance. Lieu vidé de toute présence, où seuls le silence et les objets jouent leur médiation avec le temps et les êtres, où la lumière modifie encore l'équilibre de l'endroit.
Et puis l'automne advient, il faut élaguer les arbres du verger. Les branches au sol sont comme un verger mythique ramené à la dimension d'une provision pour l'hiver.
Dans La Part du feu – deuxième partie du livre – l'auteure décrit son travail dans le milieu hospitalier, dans un service qui prend en charge des jeunes aux corps blessés, mutilés, touchés par la maladie. le côtoiement de ces jeunes patients va s'avérer de plus en plus difficile, le face-à-face avec la maladie font se disloquer, se disperser la pensée. Un moment en creux où il est difficile de trouver en soi quelque chose qui puisse la recentrer. Restent les mots :
« Pourquoi s'imposer ce travail de Sisyphe ?
Quelle est la nature de cet acharnement ?
D'où vient ce vouloir-vivre des mots, en dépit de
mes doutes, de mon sentiment du dérisoire ? »
Dans une écriture âpre et très introspective, l'auteure rend compte du malaise et du délitement d'une conscience confrontée en permanence à elle-même. le regard et le corps sont traversés de part en part, sans rien retenir. Tenter d'élargir la conscience, ce n'est que réussir à la fragmenter d'avantage.
« Laisser couler la source profonde, là où les mots
sortent de terre, modestes et pourtant irrépressibles.
Les mots au goût de racines pourrissantes, de jus
d'herbes, au goût d'enfance et d'yeux écarquillés. Laisser
monter la jouissance de vivre.
Boire sans tristesse l'eau amère des ferveurs retombées.»
L'angoisse, l'égarement, la solitude, « Pas plus qu'à la souffrance, on ne s'habitue à la splendeur » écrit
Françoise Ascal, et pourtant... « En tentant d'ouvrir un chemin, j'efface paradoxalement mes traces », ces traces venues hors de soi, malgré soi.
Dans L'Ombre et l'éclat, troisième et dernière partie du livre, la poétesse avance dans une recherche d'apaisement. Son écriture se déleste de la marque de l'absolu, de cet encombrement de sens et d'inaccessible. Il faut avoir longtemps bu « sans tristesse l'eau amère des ferveurs retombées » pour s'émouvoir de nouveau, se saisir de sa réalité, de son propre reflet dans le miroir, savourer l'instant sans mesure.
Cendres vives est le premier livre que j'ai lu de
Françoise Ascal. Sombre et lumineuse, son écriture tout en contraste, parle des détours que prend l'existence, comme d'un lieu de traverse qui va de soi jusqu'à soi. Les mots sont des repères poétiques qui servent à dire notre part essentielle, celle qui nous revient chacun.
« Que le soir vienne,
Que la nuit s'avance,
Ombre maternante, enveloppante, avec son ventre
de fraîcheur qui seul calme l'essaim des pensées en feu.
Que le bleu sombre envahisse l'espace,
Qu'il fasse reculer jusqu'à l'horizon la douteuse
lumière du jour,
Qu'il efface tout relief, tout contour et qu'en lui,
toutes formes bues, je me résorbe. »
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