Françoise Ascal appelle toujours son lecteur par des titres vivifiants et interrogeants tels des bribes de haïku : le Bleu d'octobre, Rêve de verticalité, Table de veille …
L'Obstination du perce-neige s'inscrit dans cette lignée, complétant la suite poétique. Ce carnet dévoile, par fragments, des années de vie et de réflexions de 2012 à 2017. le lecteur est invité à entrer en intimité, pas de manière voyeuriste, plutôt pour partager, en humilité, les questions du quotidien. Comment se débrouiller pour se sentir en vie, pour louer ce qui nous est donné, malgré la maladie, malgré la violence du monde, comment cultiver
l'obstination du perce-neige, « bulbe confié à la nuit » ? L'autrice ne donne aucune leçon, avoue ses doutes, ses manques, ses redites de livres en livres qui rythment sa quête. Elle décrit, comme nulle autre, ses instants d'abandon face à la praire de Melisey, moments brefs où elle sent qu'elle a « une place sans lutte, ni menace », que s'asseoir « à la petite table sous le sapin » suffit, « sans rien forcer. » L'expérience n'a rien de tiède ni de mou, malgré son apparence de « rêvasserie ». En contrepoint, il est des pages où la maladie dévore, réduit les possibles, réveille le spectre de la souffrance, son injustice, son incompréhension, même si l'empreinte de joie et de calme creuse de petites galeries souterraines. Quel courage d'avoir gardé le fil avec ses carnets malgré la méfiance grandissante vis à vis de l'écriture ! En ces traversées souffrantes du « journal du deuxième sous-sol », en ces temps de vieillissement, et même dans ces moments où seul le bonheur de vivre, d'être en adéquation avec les choses comble, continuer à écrire ne va pas de soi. Cette problématique n'est pas une mise en abyme formelle, ou une coquetterie d'auteur, non, elle est philosophique, métaphysique, taraude avec passion beaucoup de ceux qui déposent des bouts de vie dans des carnets : « cette conscience des mots qui trahissent l'amont des mots », « la difficulté d'atteindre l'observation sans lui donner forme par les mots. » Ce carnet pose la question essentielle de la vie avec ou sans l'écriture et en même temps, il est un hymne permanent et percutant à la musique, à la nature, aux livres des autres reçus comme autant de compagnons de route. A la fin de ma lecture, je me suis sentie apaisée : la quête que mène
Françoise Ascal est celle que nous menons tous à notre façon, sauf qu'elle nous fait le don de ses paroles, approche pour nous la lampe du lieu vers lequel on court souvent en aveugle. La réponse à la justification de l'écriture ne peut émerger timidement qu'après coup : le carnet posé sur la table permet la vie sous les sapins et ces pages seront des cairns sur le chemin d'un lecteur, pages qu'il n'aura de cesse de glisser dans ses poches comme les cailloux du Petit Poucet mais peut-être cette fois pour mieux se perdre en forêt et s'oublier, ou sur la piste d'une pierre turquoise étrangement disparue.
Françoise Ascal parvient, dans ce journal où la maladie est omniprésente, à proposer un livre d'une grande force, de cette force qui déborde de soi pour aller rayonner chez le lecteur. Même aux jours de désespoir, les pages dégagent quelque chose de solaire, qu'on peine à quitter, vers lequel on voudrait revenir à peine le livre quitté. Une phrase, à l'entrée du 15 novembre 2016, pourrait résumer ce volume – comme, rétrospectivement, ceux qui lui sont antérieurs : « Je suis en vie ».
Les encres de Jerôme Vinçon accompagnent chaque transition d'une année à l'autre, de leur noir profond et lumineux, comme une pause accordée, une autre forme possible de méditation.
« Pour mes dernières années, je choisis la gratitude et la lumière ».
(
Marcelline Roux et
Frédérique Germanaud)