Si je le revois, je le tue.
Un simple petite phrase qui scelle la relation qui ‘existe' entre les deux protagonistes de ce récit biographique qui ne se contentera pas de ne parler que du personnage principal.
Algérie, Constantine : Alfred Nakache, gamin né en 1915 dans une fratrie juive recomposée de onze enfants est aquaphobe.
Difficile d'imaginer qu'il deviendra champion de natation.
Pour l'enquiquiner, ses potes de foot précipitent ses chaussures au fond d'un oued. Pas le choix, c'est ou plonger ou attraper une rouste paternelle en rentrant à la maison.
La rouste est plus effrayante !
Ce sera plonger !
Le contact avec l'élément liquide est établi.
Resituant cet épisode fondateur dans le contexte historico-politique de la ville de Constantine,
Pierre Assouline démarre un récit à la fois individuel (les malheurs d'Alfred) et plus généralement collectif en contant la genèse de la ville et plus précisément de son quartier juif (le cul de la ville).
Le pli est pris, l'eau maîtrisée mais pas le style. Si d'autres glissent dans l'onde, lui s'agite dans le tourbillon mais avance et, après tout, c'est ce qu'on lui demande, à Alfred.
Et pour avancer aussi dans la technique de sa discipline, il lui faut traverser la Méditerranée et investir la capitale.
C'est le déracinement.
Paris vaut bien une brasse !
Au JO de 32, un autre nageur français balbutie quand Johnny Tarzan Weissmuller triomphe. C'est Jacques Cartonnet qui deviendra le grand adversaire d'Alfred et pas uniquement dans l'eau chlorée des bassin faïencés.
La tragédie est en marche, on est dans les années 30, Alfred est juif, Jacques un grand blond, on devine la suite.
Les deux athlètes se haïssent autant qu'ils sont dissemblables. Comme un yin et un yang ne réussissant pas à s'assembler ou les deux pôles d'un même générateur qui se rejettent.
L'auteur entremêle les deux parcours pour tresser la lutte qui va déchaîner les deux hommes au-delà des remous bleu-turquoise, surtout même dans l'absolue noirceur d'une époque qui montrera combien l'homme peut s'avilir et descendre dans des profondeurs jusque-là inimaginables.
Ce sera la déportation pour Nakache comme pour son épouse et leur fille. Reconnu à son arrivée à Auschwitz, il sera soumis à un sort légèrement moins épouvantable que d'autres ce qui lui permettra de s'en sortir, sa force de caractère dans la pire des adversités ayant été essentielle dans sa résistance.
Ce sera la milice pour Cartonnet et l'infamie à la fin de la guerre quand il sera condamné à mort par contumace pour avoir, entre-autre, dénoncé Nakache.
Un simple récit, une biographie romancée, une biographie introspective ?
Partant du parcours humain de son héroïque nageur,
Pierre Assouline nous propose un récit biographique qui s'attache à restituer ce qu'il suppose être le ressenti du nageur aussi bien au niveau de son ascension dans son sport de prédilection qu'il élève au rang d'art que de son aversion pour son concurrent qui sera rendu responsable de la tragédie dont, seul, il a pu survivre.
De ce fait, je ne saurais parler de simple biographie. Il y a un parti pris, un point de vue romanesque pour ce qui est de cette relation (que l'on pourrait presque qualifier de fratricide, de quasi Shakespearien) qui extraient cet ouvrage de la catégorie pur récit.
Certaines descriptions (techniques de natation, sport (foot, boxe…) organisé au sein du camp d'extermination d'Auschwitz) m'ont, par ailleurs, semblé un peu surabondantes voire même ennuyeuses (si ce n'est hors-sujet) et m'ont un peu pollué le sujet principal du destin de Nakache, qui, la guerre terminée, au hasard d'une compétition italienne retrouvera trace de son délateur.
Afin de compléter cette lecture, je vais maintenant lire ‘
le nageur d'Auschwitz' de
Renaud Leblond (estampillé ‘Roman') qui s'intéresse à ce même destin pour comparer les approches des deux auteurs sur ce personnage hors du commun pour qui on aurait pu inventer le mot de résilience.