Victor mourut chez lui, dans son lit, en gros de sa belle mort. Il avait quatre-vingt-quatre ans et, du plus loin qu’il en souvînt, avait affirmé vouloir être enterré plutôt qu’incinéré. Trente-quatre ans plus tôt, à la mort de leur petite sœur Annabelle, Victor avait acheté une « concession funéraire » pour trois personnes au cimetière municipal. Amelia et Julia n’avaient vraiment réfléchi à l’arithmétique de la chose avant la mort de Victor, or, à cette date, la concession se trouvait déjà remplie aux deux tiers – leur mère ayant suivi Annabelle avec une hâte injustifiée -, ce qui laissait tout juste la place pour Victor, mais excluait les enfants restants.
Il rebroussa chemin pour rentrer chez lui . Et la maison explosa. Comme ça.
Que disait la chanson de Hank Williams déjà ? Qu'on ne quitte jamais ce monde en vie ?
"Tout va bien, Milly, je t'assure", dit-elle et c'était un mensonge si énorme et si merveilleux que ça ne valait même pas la peine de discuter.
Les rites funéraires de Victor élevèrent le minimalisme à un haut niveau d'austérité.
Elle aurait dû s'intéresser aux sciences au lieu de passer tout son temps plongée dans des romans. Les romans vous donnent une idée tout à fait fausse de la vie, ils racontent des bobards et laissent entendre qu'il y a un dénouement, alors qu'en réalité il n'y en a pas : ça n'en finit jamais.
Plus curieux encore que le fait que personne ne désirait Amelia était le fait qu'elle-même ne désirait personne... en dehors des hommes peuplant les romans du dix-neuvième siècle, ce qui renouvelait le concept d'« inaccessibilité ». (p. 201)
Avant de quitter la maison qu'il avait partagée avec sa femme et sa fille, Jackson avait fait le tour de chaque pièce pour vérifier qu'ils n'avaient rien laissé derrière eux, hormis bien sûr leurs vies.
Ils entrèrent dans Montpellier, où il faisait très chaud, et dégustèrent des glaces artisanales* servies dans des petites coupes argentées sur la place de la Comédie. Julia commanda et Jackson fut impressionné par sa maîtrise du français.
Jackson se demanda s'il était amoureux de Julia. Le ciel prit soudain une couleur pruneaux d'Agen, le tonnerre gronda dans le lointain, les premières gouttes d'une pluie torrentielle claquèrent sur le store en toile du café et Julia haussa les épaules (d'une façon très française) et dit à Jackson "C'est la vie, Mr Brodie, c'est la vie*".
*en français dans le texte.
C'était deux ans avant la naissance de Marlee et Jackson ne savait pas alors ce qu'il savait aujourd'hui, ce que c'était d'aimer un enfant : on est capable de donner sa vie en un battement de coeur pour sauver la sienne, il est plus précieux que le plus précieux des trésors.
Envahie par un mélange de touristes et d'adolescents étrangers, qui tous n'avaient été mis sur terre que pour traînailler*, Cambridge, l'été, était l'idée que Jackson se faisait de l'enfer. Les ados semblaient tous porter des treillis kakis, des tenues de camouflage, comme si on était en guerre. Comme s'ils étaient les troupes (Que Dieu nous vienne en aide si c'était le cas !) Et les vélos, pourquoi les gens trouvaient-ils que les vélos étaient une bonne chose ? Pourquoi les cyclistes étaient-ils si suffisants ? Pourquoi roulaient-ils sur les trottoirs alors qu'il y avait d'excellentes pistes cyclables ? Qui avait trouvé que c'était une bonne idée de louer des bicyclettes à des ados italiens venus apprendre l'anglais ? Si l'enfer existait, ce dont Jackson ne doutait pas, il devait être gouverné par un Comité d'Italiens de quinze ans à bicyclette.
*en français dans le texte.