Les Anciens affirmaient que le monde est peuplé de vivants, de morts et de marins. La navigatrice,
Isabelle Autissier, en tant que marin, nous rapporte, dans
Seule la mer s'en souviendra, l'histoire de l'un des siens, Peter March.
Les évènements se déroulent à la fin des années 60. Peter est ingénieur. C'est un homme toujours enjoué qui fait en permanence le pitre. Il vit dans le sud de l'Angleterre avec sa femme, sa fille aînée et deux garçons. Il travaille dans une entreprise fabricant des équipements électroniques pour les bateaux. Peter aime l'innovation et croit au dieu de la technologie. Alors quand il découvre que l'on peut s'inscrire librement à la première course au large, en solitaire et sans escale, il passe le pas, convaincu que ses capacités d'ingéniosité lui permettront de fabriquer un navire révolutionnaire qui lui permettra, peut-être pas d'arriver premier mais d'être le plus rapide sur le trajet. Alors Peter s'investit et investit. Il s'endette malgré les sponsors pour partir à temps. Il sait naviguer dans la Manche. Seulement c'est une chose de régater dans la baie, cela en est une autre de naviguer des mois au large seul et sans assistance.
Il partira avec son trimaran, bateau à l'époque décrié pour ne pas tenir la mer. Appareillant en automne, il va affronter rapidement les premières tempêtes, celles du golfe de Gascogne. Petit à petit, Peter se met à douter. Aspiré par ce milieu rugueux, il ne peut compter que sur lui-même. Au fur et à mesure qu'il avance, nous découvrons l'homme véritable. Celui qui utilise l'humour pour cacher ses secrets et ses frustrations. Son passé a créé en lui une volonté de reconnaissance et quand les réalités maritimes prendront le dessus sur ses rêves, ses fantasmes, alors il ne lui restera que le mensonge pour protéger les siens, mais surtout, à mon avis, pour protéger sa propre estime.
Pour raconter cette histoire vraie,
Isabelle Autissier alterne les passages du journal de bord de Peter et le carnet intime d'Eva, sa fille aînée, qui rapporte le vécu de ceux qui attendent à terre. L'auteure décrit un milieu qu'elle connaît bien, l'Océan, et les sentiments qui assaillent ceux qui naviguent en solitaire. Elle sait qu'il faut la technique et le savoir-faire du navigateur pour composer avec les courants et les vents. Elle sait que le marin doit se faire accepter par les éléments s'il veut, lui, le perturbateur, tracer sa route sain et sauf. N'est-ce pas parfois ainsi dans la vie ? Alors nous suivons un Peter, pas encore mort mais qui sait qu'il n'est pas marin, errer sur l'Océan, navigant entre mensonge et envie de vérité, entre peine, angoisse et joie pour tenter de rester parmi les vivants.
C'est un très beau roman, adapté au cinéma, que je vous conseille.