Découvert il y a quelques temps grâce à la page "
Jane Austen lost in France", ce magnifique album retrace en une quarantaine de pages la vie tumultueuse, onirique et passionnée de Mary Shelley, l'écrivaine anglaise qui inventa Frankenstein ). Cet ouvrage, publié en langue originale en 2019 (soit quelques mois avant sa traduction française), s'inscrit donc dans la lignée du biopic sorti l'année précédente et dans une volonté de rappeler aux lecteurs actuels le souvenir de cette femme de talent. En effet, plus qu'une simple mode lancée par les 200 ans de l'écriture de "Frankenstein" célébrés en 2018, raconter la vie de Mary Shelley est une nécessité : au même titre qu'on confond régulièrement le nom de la créature avec celui de son créateur (Frankenstein étant celui du savant, et non du monstre), on oublie souvent le nom de la romancière au profit du roman, dont le scénario puise pourtant tout son génie dans la vie de sa créatrice.
Qui savait en effet, jusqu'à ce que le cinéma et des livres comme celui-là viennent le rappeler, que l'auteure de "Frankenstein" était une jeune adolescente qui avait eu à lutter dans l'Angleterre éditoriale patriarcale et bien pensante pour faire publier son ouvrage? Qui savait qu'elle avait grandi sans mère, cette dernière, pionnière du féminisme, étant décédée quelques jours après l'accouchement? Qui aurait imaginé qu'elle avait appris à lire en déchiffrant les lettres gravées sur la pierre tombale de la défunte? Qui connaissait le nombre de pertes et de deuils qu'elle avait eu à traverser? Des sujets bien sombres pour de la littérature jeunesse, direz-vous?
Pourtant, cela fonctionne à merveille. Si les plus grands éléments de sa vie sont relatés (certains relevant même du détail biographique, comme l'évocation du poème "La complainte du vieux marin", découvert petite et qui la marqua à vie), cet album n'est jamais morbide ni mortifère grâce à l'importance que
Linda Bailey, dans son texte, accorde à la force de vie de Mary et à sa créativité. En mettant en exergue ces deux atouts, elle parvient à raconter la célèbre romancière sans jamais tomber dans le pathos, prouvant à quel point cultiver son imagination peut devenir un but en soi et un moyen d'affronter ou même de sublimer les expériences difficiles. Ainsi, à la question "Comment une histoire vient-elle au monde?" sur laquelle s'ouvre l'album, le jeune lecteur comprendra progressivement que les aléas de la vie et la capacité à les surmonter pourront être pour beaucoup dans le processus de création.
En introduisant une Mary enfant animée par le rêve et la lecture,
Linda Bailey choisit l'angle d'approche et d'accroche qui fait mouche. Elle retient ainsi l'attention de son lectorat, dont on suppose que le goût pour les livres (car il en faut bien un, préexistant ou cultivé par l'environnement du jeune lecteur, pour qu'il se retrouve avec celui-là entre les mains) permettra de dresser un parallèle d'identification appelant à poursuivre la découverte de cet album. On suit Mary de la triste Angleterre à ses heureuses années en Écosse puis dans sa fugue endiablée à travers l'Europe au bras du poète maudit Percy Shelley. Animée par sa soif de découverte et son désir de révolte,
Mary Shelley est alors décrite avec ironie comme "un gros problème pour sa famille", façon à la fois décalée, fantaisiste et pourtant furieusement vraie de montrer à quel point une femme qui pense et qui souhaite se construire en-dehors du cadre qu'on lui assigne était alors mal perçue.
L'album raconte aussi bien évidemment le célèbre épisode de la Villa Diotati, à l'occasion duquel Mary imagina l'histoire de Frankenstein à la suite d'un cauchemar et d'un concours d'écriture à l'initiative du poète
Lord Byron. Si cet événement, de l'aveu même de Mary Shelley, est significatif dans la genèse de son oeuvre, le fait que l'album ne s'en contente pas et retrace les années précédentes vient là encore montrer que le processus d'écriture a été nourri par tout son parcours.
Du côté des illustrations, comment ne pas tomber sous le charme des dessins de
Julia Sarda? Cette illustratrice espagnole fait ici un travail admirable. A l'image du texte qui ne censure pas les événements sombres de l'histoire de Mary, l'artiste utilise des couleurs qu'on n'imaginerait pas privilégiées dans un ouvrage pour la jeunesse : tout l'album n'est qu'un dégradé (mais quel dégradé!) de teintes automnales et ténébreuses. Bordeaux, gris, noir et ocre prennent les formes d'arbres squelettiques ou de maisons londoniennes se découpant dans un ciel de brume. le paysage de la lande écossaise battue par les vents n'en est pas moins sublime, de même que les chevauchées fantastiques qui apparaissent dans le ciel ne manqueront pas d'évoquer à certains connaisseurs une scène visuellement célèbre des "Quatre cent farces du diable" de George Méliès. La perspective volontairement approximative des dessins de
Julia Sarda contraste avec les hautes silhouettes pâles quasi "burtoniennes" de ses personnages et Mary, dessinée souvent échevelée au milieu de la végétation luxuriante qui entoure la tombe maternelle, n'est pas sans rappeler quelques héroïnes préraphaélites. Visuellement, en tout cas, c'est étrangement enchanteur.
En bref : "
Mary, auteure de Frankenstein" est un magnifique album pour la jeunesse. Objet de transmission qui a pour objectif de raconter l'histoire de Mary Shelley aux plus jeunes, cet album évite les écueils posés par la réelle histoire de la célèbre romancière en n'omettant pas de raconter les événements difficiles de sa vie, mais sans jamais tomber dans le pathos. Également porté par de superbes illustrations, "
Mary, auteure de Frankenstein" est une ode à l'imagination, esthétique et envoutante.
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