Récemment lu, " le vieux jardin" débutait avec la libération d'un détenu politique en Corée du Sud aprés dix-huit ans de détention, le présent livre de même débute, avec celle d'un détenu politique kurde iraquien après vingt-un ans de détention dans le désert. Meme si le ton et le contexte sont totalement différents, le vécu est le même ("Le moment où la liberté à l'extérieur n'a plus de sens pour lui est le moment même où la prison lui donne une sensation de liberté."), et tous les deux cherchent un être cher qu'ils ont laissé derrière, à travers lequel ils espèrent retrouver leur chemin dans une vie interrompue par une longue captivité.
Mouzaffar Soubhdam, l'homme libéré n'existe plus, sauf pour Yaqub, son supérieur dans l'armée kurde iraquienne, la personne pour qui il s'est sacrifié et a subi cette longue détention. Il est officiellement mort et ne figure sur aucun registre, dans un pays dévasté, où en l'occurrence l'on ne sait plus qui est qui. Libéré et ramené dans un palais de Yaqub, devenu l'homme puissant, il ne sait quoi en faire de cette liberté. En vingt et un ans de captivité dans le désert, s'étant acharné à tout effacer de la vie et des images de son court passé, il est resté à l'état d'un bijou pur. Alors que Yaqub, un être que la guerre et la politique ont totalement souillé, a la sensation d'avoir connu toutes les enveloppes de la vie sans en avoir compris ni la substance ni le sens. À travers Mouzaffar il voudrait posséder la beauté, la pureté et la sagesse, en bref, l'Essentiel. Il lui propose donc de rester dans ce palais, en sécurité, pour assouvir sa propre quête existentielle. Mais Mouzaffar brûle d'un seul désir, celui de retrouver son fils né peu avant son emprisonnement. La question fatale , "où est Saryas Soubhdam ?" va lui faire ouvrir la porte au déluge....
Parlant de déluge, cette histoire pleine de magie en porte plusieurs autres, dont celle des étranges soeurs Lawlaw et Chadarya Spi, "deux filles plus immaculées que la rosée", dont tombe amoureux Mohammad Delchoucha…par un soir de déluge, surfant sur les eaux. Et d'où sort-il celui là ? .....surtout qu'une autre figure, puis une seconde, puis...... de la première histoire va bientôt la croiser ....le tout raconté par Mouzaffar.
Waouh , ça a l'air compliqué et c'est compliqué !
Le mot clé de ce récit est "verre", des grenades de verre, un coeur de verre, une maison en verre.....fragilité, celle de l'homme, et transparence, envie mortifère de clarté et de lumière, envie de fuir les ténèbres et l'aveuglement, dans un pays qui a perdu tout ses repères, où la mort ou la naissance arrive sans aucune logique, où tout est obscure et opaque, où l'homme est esclave de ses paires et où les femmes n'ont pas le statut de simple être humain; elles sont mères ou soeurs, anges ou putains, mais rien entre les deux.
À travers ces récits métaphoriques entrelacés qui vont finir par n'en faire qu'un, l'auteur raconte L'Histoire compliquée et triste du Kurdistan iraquien, qui a connu plusieurs insurrections et une guerre civile, sans parler de l'occupation américaine où ironie du sort, ils les ont aidés. Ce livre étant écrit en 2002, et l'occupation américaine ayant eu lieu en 2003, l'auteur se réfère à une période antérieure, notamment à l'époque de Saddam et de ses armes chimiques. Aujourd'hui c'est une région autonome qui se trouve dans un pays dans un chaos totale, où se disputent d'obscures groupuscules soit disant religieux, soutenus par divers états étrangers, la Russie, les Etats-Unis, l'Iran, l'Arabie Saoudite.....bref divisé aussi entre eux, un pays devenu la putain du Moyen Orient. "La guerre a fait de nous des bêtes sauvages et des démons malfaisants…".
Mais ce livre, c'est aussi,
L'histoire de Saryas, "un homme sans Dieu qui brûle sur cette terre et se relève, qui est chassé et qui revient",
L'histoire des “ garçons de verre, dans un pays de verre, qui vécurent à une époque de verre”,
Et surtout une ode à la Vie et le manifeste d'une magnifique prise de conscience de l'absurdité du monde où nous vivons, et l'absurdité même du caractère de l'être humain toujours à la recherche de quelque chose et incapable de profiter de ce qui lui est à porté de main, la lumière, une lumière qu'il persiste à éteindre lui-même.
Une merveille,
Pour qui aime les histoires profondes qui se lisent à plusieurs niveaux, simplement sur la Vie et son essence et ses terribles et tristes réalités,
Racontée avec une prose sublime où se mêlent réel et imaginaire,foisonnant de nombreuses réflexions existentielles.
Coup de coeur ! C'est beau, émouvant, bouleversant !
“...c'était
le dernier grenadier du monde, sur ce sommet où la terre prenait fin et où commençaient les vastes contrées magiques de Dieu....l'arbre de l'amitié, de la solitude et de notre bienveillance mutuelle.....qui avait poussé à la lisière de deux royaumes...la frontière entre le ciel et la terre… la frontière entre l'homme et Dieu… la frontière entre la vie et le rêve."