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EAN : 9791022610025
320 pages
Editions Métailié (13/02/2020)
3.97/5   19 notes
Résumé :
1944. Lorsque Pericles, un journaliste critique du dictateur salvadorien, le “sorcier nazi”, est arrêté et emprisonné, son épouse Haydée, une jeune femme de la bonne bourgeoisie, décide d’écrire le journal des événements. Pendant qu’elle note ce qu’elle considère comme des conversations avec son mari – qui avant de devenir opposant a été collaborateur du régime –, elle raconte les progrès des arrestations, les interdictions de visite au pénitencier ainsi que ce qui ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (9) Voir plus Ajouter une critique
L'impact collectif et personnel d'une insurrection…

Connaissez-vous l'histoire du Salvador ? Personnellement, elle m'est inconnue et ce livre La mémoire tyrannique, de Horacio Castallnos Moya permet précisément d'approcher un pan de l'histoire de ce pays. Nous sommes en 1944 et l'auteur met en évidence les mécanismes d'une insurrection et sa répression par Maximiliano Hernández Martinez, le « sorcier nazi » dont le règne dura douze ans, de 1932 à mai 1944. Il est appelé le « sorcier nazi » à cause de ses complaisances pour le troisième Reich et son attrait pour les sciences occultes.

Au moyen d'une alternance de points de vue - depuis le journal intime d'Haydée, femme de Periclès agitateur politique emprisonné, en passant par les aventures épiques et burlesques de son fils Clemen en fuite avec son cousin, jusqu'au récit, trente ans plus tard, dressant le portrait d'un Périclès devenu vieux – au moyen d'une belle alternance de registres, de tons et d'écriture, l'auteur salvadorien nous fait découvrir l'histoire de son pays à travers quelques personnages ordinaires dont l'auteur dresse, en creux, le portrait.
J'ai trouvé particulièrement intéressante cette façon de combiner la grande Histoire et l'histoire de ces protagonistes dont l'attachement aux repas, à l'alcool, aux rumeurs, à l'apparence, aux bonnes et mauvaises habitudes du quotidien fondent l'existence.

« J'espère qu'il sera libéré dans la matinée, comme cela est arrivé en d'autres occasions. Nous préparons une salade de cresson au lard, et ces lasagnes aux épinards et au fromage que Pericles aime tant ; en dessert il y aura de la confiture de lait. Et nous mettrons une nappe neuve, celle à fleurs offerte par ma soeur. Je trouve que c'est un signe magnifique que le rosier du jardin ait fleuri justement aujourd'hui ; fini la solitude. Demain, de bonne heure, j'irai au salon de coiffure me faire couper les cheveux, coiffer et maquiller. Je veux que mon mari me trouve belle, élégante, comme il le mérite, sans les marques d'angoisse et d'abandon que je vois en ce moment sur mon visage ».

Le journal intime de Haydée nous dévoile une femme en soutien total à son mari emprisonné et à son fils en fuite. Une femme discrète qui fera preuve d'un étonnant courage, d'un héroïsme sans éclat, une résistance ordinaire pour défendre bec et ongle les hommes de sa vie. le journal démarre avec une certaine légèreté, nous voyons Haydée préparer les victuailles à apporter à son mari dont elle nous détaille les mets avec précision (« la bouteille thermos avec le café, les oeufs durs, du lait et des brioches pour le petit déjeuner, les sandwichs au jambon et au fromage pour le dîner »), et nous assistons peu à peu à la succession d'événements de plus en plus funestes : la simple arrestation habituelle de son mari au Palais noir devient un vrai emprisonnement au Pénitencier, son fils coureur de jupon et alcoolique se voit condamné à mort car faisant partie des putschistes ayant déclenché l'insurrection (en annonçant la mort du Général à la radio alors qu'il n'en est rien). le ton et les préoccupations écrites dans le carnet changent, Haydée et les autres épouses et mères s'organisent ; les figures féminines, simples maîtresses de maison, épouses modèles et mères nourricières, se font désormais centrales compensant les excès et les inconséquences masculines.

« En chemin, en faisant attention à ce que don Leo ne la voie pas dans le rétroviseur, doña Chayito, le plus naturellement du monde, a passé la main sous sa jupe et sa culotte, et en a sorti une feuille de papier qu'elle a pliée et m'a tendue ; c'était un nouveau communiqué des étudiants, différent de celui que Raúl avait apporté ce matin à la maison, ai-je jugé d'après le titre. J'aurais eu du mal à le lire dans la pénombre. Je l'ai replié et l'ai glissé sous mon soutien-gorge ».

Notons que l'écriture dans les chapitres dédiés à ce journal est une écriture basique, descriptive, l'auteur se mettant vraiment dans la peau d'une femme du peuple écrivant un journal. Les formules « on m'a dit que… », « on raconte que… », « j'ai dit à… » s'enchainent et rendent la lecture parfois fastidieuse, même si nous comprenons complètement ce choix, immersif et naturel.

Dressant le portrait en creux d'un fils alcoolique, frimeur, impulsif, mû par un enthousiasme protestataire irréfléchi, les chapitres intitulés « Fugitifs » consacrés au fils de Haydée, Clemente, sont cocasses et font penser, du fait des nombreux dialogues, à des scènes de théâtre. Sa fuite avec son cousin Jimmy, entrecoupée par des déguisements burlesques (en femme, en sacristain) et par un naufrage totalement ubuesque, offre étonnamment des moments de respiration bienvenus pour le lecteur au milieu du journal d'Haydée au ton éminemment plus tragique.

Enfin, la toute dernière partie présente le portrait du mari, Périclès, désormais vieux et atteint d'un cancer. Cet agitateur politique, ancien partisan du tyran, revenu d'une ambassade à Bruxelles totalement changé, communiste notoire, est très touchant à l'hiver de sa vie…

« Parfois ce que nous détestons le plus et pardonnons le moins chez ceux qui nous entourent, c'est cette part cachée de nous-mêmes que nous ne voulons ni reconnaître ni accepter ».

J'apprécie particulièrement les livres relatant l'histoire de pays dirigés par des dictateurs, des tyrans. le portugais Antonio Lobo Antunes, par exemple, relate à l'envi, dans chacun de ses livres, la dictature salazarienne et, comme Moya, donne voix à des gens et leur histoire singulière. L'exhortation aux crocodiles est le livre qui me vient en tête car il donne la parole aux femmes dont nous suivons les obsessions, les craintes, les pensées. Comme dans La mémoire tyrannique, nous comprenons la violence inouïe, les exactions et l'injustice dont ces hommes aux ambitions grandiloquentes font preuve. La grande différence est que Lobo Antunes plonge dans les pensées des femmes épouses, soeurs, des proches du dictateur. Ici, la femme suivie, Haydée, est du côté des victimes et la forme du journal, plus limpide que le flux de conscience proposé par Lobo Antunes dont il se fait le spécialiste, mais sans doute moins riche aussi, ainsi que l'alternance des autres formes narratives, donne une fluidité permettant une approche assez originale et claire de la dictature. Je préfère le style d'un Lobo Antunes dans cette façon d'approcher le coeur et les tripes des personnages en prise avec la dictature, mais je dois reconnaitre que cette manière-là offre un angle d'étude très intéressant où l'escalade des événements politiques le dispute aux désirs et envies ordinaires de la vie quotidienne.

J'ai aimé aussi voir le rôle des femmes, leur solidarité pour changer leur destin et contribuer, malgré leur absence de pouvoir légitime, à inscrire leurs efforts dans la grande Histoire. Notons que ce livre est également une ode à l'écriture, à ce qu'elle apporte en termes de témoignage et d'exutoire.
« J'écris ce journal pour atténuer ma solitude. Depuis notre mariage, c'est la première fois que je suis séparée de Périclès pendant plus d'une semaine ».

Enfin, j'ai été touchée par la conclusion du récit qui met en valeur, comme souvent dans ces pays, que le départ du dictateur n'a pas permis à la démocratie de s'épanouir au Salvador.

Un grand merci à Idil pour cette idée de lecture. En plus de m'instruire, ce livre m'a permis de découvrir un grand auteur de la littérature sud-américaine à la plume singulière. D'après ce que je comprends, ce livre s'inscrit dans la « Comédie inhumaine » de Moya qui relate l'histoire mouvementée de la famille Aragon au sein de l'histoire sombre du Salvador. D'autres volumes sont ainsi à découvrir !


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Le dernier livre à être traduit en français de Horacio Moya est basé sur un pan de l'histoire du El Salvador, celle de la dictature de Maximiliano Hernández Martínez, surnommé « le sorcier nazi », dû à son intérêt pour le spiritisme. Un règne qui dura 12 ans, de 1932 à mai 1944. Moya nous y plonge à travers le journal de Haydée dont le mari, Pericles est prisonnier politique. Nous sommes à la mi-mars 1944, alors qu'approche le dimanche de Pâques, où un coup d'état raté dans le but de renverser Martinez va avoir lieu , compliquant la situation déjà précaire. D'autant plus que le père de Pericles est un fidèle colonel du dictateur et le fils de Pericles et Haydée , Clemente, qui travaille à la radio, sera le premier à proclamer la mort du dictateur, qui malheureusement est une fausse nouvelle.
Alternant trois différentes formes narratives,comme dans l'”Effondrement”,
La forme du journal, celui de Haydée,
Celle qui rappelle une pièce de théâtre, dont les protagonistes sont deux fugitifs, condamnés à mort, Clemente et son cousin Jimmy, officier ayant participé au coup d'état raté ,
Et une troisième,surprise, que je vous laisse découvrir,
Moya capte l'histoire des Aragon, famille bourgeoise salvadorienne dans une période turbulente et très intéressante de l'histoire d'El Salvador. Il raconte ce mois crucial entre deux événements majeurs, jusqu'au dénouement final spectaculaire, qui n'est pas de la fiction. Il y revient sur la violence inouïe et l'injustice qui ont sévi son pays, aux griffes d'un tyran prêt à tout, ayant perdu le soutien des américains qui le posèrent sur son trône douze ans auparavant. L'attraction du livre, vient de la plume exquise de Moya, de ses personnages terriblement humains, et la différence de ton et de rythme entre les deux formes narratives qui s'alternent; le ton dramatique du journal et celui ironique de la partie des “Fugitifs”, qui avec humour nous tient en haleine jusqu'au bout, avec une partie finale en bonus. Sacré Moya !
Le dénouement est une leçon d'histoire à méditer. La preuve qu'avec le courage, la solidarité et la volonté, un peuple peut changer le cours de son destin, même temporairement, bien qu'il y ait malheureusement sans aucun doute la patte américaine, et que la suite de la grande Histoire montre qu'on n'apprend rien des leçons.

Comme toujours Horacio Moya, magicien de la prose est passionnant à lire. C'était mon cinquième livre lu de lui, jamais, jamais déçue.

« Je m'en tiens toujours à ce que j'ai toujours cru: il doit exister un enfer où cet homme doit payer pour tout le mal qu'il nous a fait. »
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 Maximiliano Hernández Martínez, dit "le sorcier nazi' à  cause de ses complaisances pour le troisième Reich et sa dévotion  à l'occultisme, règne d'une poigne de fer sur le Salvador après avoir maté  la révolte des paysans indiens commandée par Agustín Farabundo Martí en 1932 et l'avoir  écrasée dans le sang. Depuis,  rien ne semble devoir menacer sa tyrannie - peuple muselé,  armées et polices sous contrôle, voisin  américain conciliant.

Mais en ces fêtes de Pâques 1944 de légers frémissements dans la presse d'opposition, pourtant bien impuissante, et dans les facultés semblent présager un changement. En Europe, il est de plus en plus évident que l'allié nazi est en train de perdre la partie.Même les USA commencent à trouver que ce dictateur ( pourtant  d'un anti communisme de bon aloi)  a de bien mauvaises manières et ne le soutiennent plus  que comme la corde soutient le pendu...

Pour Pericles Aragón,  autrefois partisan du tyran et revenu, dix ans auparavant,  d'une ambassade à  Bruxelles complètement changé,  c'est la routine : exil, disgrâce, mise à pied, séjour au Palais Noir de la police, voire au Pénitencier.

Sa vie semble ponctuée de séjours à la case prison. Mais une prison confortable, une prison pour notable.. . Pour sa femme, Haydée, jolie bourgeoise,  fille d'un colonel réactionnaire,  c'est aussi la routine. Entre deux séances de coiffeur, et trois thés mondains, elle prépare le panier- repas de son rebelle de mari et repasse ses chemises de prison sans états d'âme. Dans son journal, les occupations les plus futiles ou anodines voisinent avec des considérations plus troublantes sur ce qu'elle perçoit vaguement de la situation politique.

Mais tout va brusquement se tendre: un coup d'état éclate, hélas vite réprimé,  les visites au Pénitencier sont suspendues, Clemen, le fils aîné de Haydee et Pericles, condamné à mort pour incitation à la rébellion,  doit prendre la fuite. 

Et Haydée dans son journal de maitresse de maison et d'épouse modèle,  note tout ce qui se passe: sa conscience politique s'éveille, et avec elle, le besoin d'agir. Elle devient, presque malgré elle,  un des soutiens les plus efficaces de la grève générale qui,  en paralysant le pays,  va contraindre le tyran à partir et à  s'exiler.

L'intérêt de ce roman tient à un double récit et à un mouvement de balancier.

Sous la forme de dialogues qui semblent tirés d'une comédie grotesque , on suit les péripéties de la fuite de Clemen et de son cousin Jimmy. Clemen, le rebelle, se révèle pusillanime, inconscient, dérisoire et fragile: une bouteille de whisky ou un mollet de femme suffisent à le déconcentrer et à lui faire perdre de vue l'essentiel.

En revanche, le journal d'Haydée trace le portrait d'une femme généreuse, courageuse, lucide que son amour de la justice, des libertés et surtout des gens éclaire et fait sortir des conventions bourgeoises où semblait la reléguer son éducation.

Plus son fils devient grotesque,  clownesque, pitoyable, plus Haydée devient étonnante, sublime, sans en avoir conscience, pourtant,  ni en retirer la moindre fatuité.

Quelque trente ans plus tard, un très bel épilogue clôturera cette histoire familiale .
Sur fond d'éternelle confusion politique: le départ du tyran n'a pas rendu le Salvador à la démocratie, tant s'en faut. Conclusion amère et forte.

Merci à Booky qui m'a fait découvrir cet écrivain et ce pays dont je ne savais rien. La plume de Castellanos Moya est pleine de saveur, d'ironie douce ou mordante, et le regard qu'il jette sur son pays est sans concession.

J'en retire quelques connaissances utiles- et un très beau portrait de femme.
Haydée et son petit carnet acheté à Bruxelles sont entrés dans mon panthéon des héroïnes féminines!
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En 1944, le Salvador est entre les mains de Maximiliano Hernández Martínez, un dictateur surnommé "le sorcier nazi", en raison de son penchant à diriger le pays en fonction du résultat de ses séances de spiritisme. le journaliste Pericles, son ancien secrétaire et désormais l'un de ses plus féroces critiques, est, une fois de plus, emprisonné. Peu de temps après, un coup d'Etat est monté contre le dictateur, mais échoue lamentablement. Clemente, le fils de Pericles, est impliqué dans cette rébellion, et doit désormais se cacher pour éviter des représailles impitoyables. Entre son mari en prison et son fils en cavale, Haydée, issue d'une famille de la haute bourgeoisie, tente de maintenir sa maisonnée et le reste de la famille à flot.

Comme dans "Effondrement", Moya utilise trois styles narratifs différents. Dans son journal, Haydée raconte son quotidien par le menu, ses visites à la prison, les événements politiques et leurs conséquences sur son mari, son fils et la famille (dont une partie est plutôt libérale et l'autre plutôt pro-militaires). Malgré ses angoisses et ses inquiétudes, elle explique comment sa conscience politique s'éveille progressivement au contact des femmes d'autres prisonniers, jusqu'à oeuvrer discrètement en faveur de la rébellion. le journal alterne avec les épisodes rocambolesques de la fuite de Clemente, dans un style très dialogué et scénarisé. La dernière partie, en guise d'épilogue, est racontée à la première personne du singulier, avec plus de lenteur, et prend le recul imposé par les 30 années passées depuis le coup d'Etat.

Avec "La mémoire tyrannique", Moya ajoute un volume supplémentaire à sa "Comédie inhumaine", imbriquant une nouvelle fois l'histoire dramatique du Salvador et celle tout aussi chahutée de la famille Aragón. Et une nouvelle fois, il excelle dans l'art de croquer des personnages presque ordinaires, ni très lâches ni très courageux, soudain confrontés à la "vraie vie", telle qu'on peut la concevoir au Salvador. le ton tragique du journal de Haydée est contrebalancé par le côté burlesque et ironique de l'exil de Clemente. Mais cet humour est noir, et ce pays, qui semble voué à une sauvagerie sans fin (aujourd'hui les gangs mafieux ont remplacé les dictatures et les guerres civiles), ne retient décidément rien de son passé.

En partenariat avec les Editions Métailié.
Lien : https://voyagesaufildespages..
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C'est un roman brillant que signe ici cet auteur sud-américain. Nous sommes au San Salvador, en 1947, et la dictature du Général Martinez vit ses derniers jours.
Il a pourtant triomphé d'un putsch mal préparé dont il se venge avec une cruauté qui ne s'embarrasse pas de différencier coupables et innocents. Face au dictateur, une famille résiste: Périclès, journaliste d'opposition emprisonné, Clemen, son fils en fuite après l'échec du soulèvement, Haydée, son épouse prête à tout pour sauver les siens.
Or, alors même que la nécessité de se débarrasser du dictateur ne fait aucun doute, Horacio Castellanos Moya décrit ses adversaires avec une ironie ravageuse. Périclès a d'abord soutenu le général et s'il est régulièrement mis en prison, il n'en a pas moins un statut de V.I.P. et son épouse qui lui apporte des douceurs et de l'eau de toilette peut compter sur l'amabilité respectueuse des gardiens. Haydée, justement, va se découvrir une conscience politique nouvelle et l'auteur en fait un beau portrait de femme, émouvante et pugnace, sans oublier de la crucifier efficacement au détour d'un paragraphe: lorsque sa bonne a vu qu'elle était sur le point de s'abandonner à une haine peu chrétienne, elle lui « a préparé du tilleul ». Lorsque son dernier fils tarde à rentrer alors que le couvre-feu est de rigueur, Haydée se désole de ne pouvoir manger de gâteau au chocolat « pour adoucir l'attente de Betito ». Quant à Clemen, il a peut-être participé au putsch révolutionnaire, mais son portrait est fait au vitriol: alcoolique, érotomane, peureux, imprudent, hâbleur, il est d'un ridicule achevé. C'est que le général et ses sbires, comme le journaliste et sa famille, appartiennent au même monde. D'ailleurs un des moments les plus drôles du livre voit ce cher Clemen apprendre qu'il a été condamné à mort et s'en étonner. Comme si, finalement, il ne s'était agi que d'un jeu dont les conséquences fâcheuses pouvaient être suspendues à la faveur d'un « Pouce » enfantin propre à rabibocher les anciens adversaires.
La première partie du livre s'arrête sur la joie des insurgés qui ont enfin renversé le « sorcier nazi ». Mais nous découvrons ensuite Périclès, 30 ans après, vieux et seul, parti en exil car le cycle des dictatures ne s'est pas interrompu. Sa femme est morte, il méprise ses enfants et se déteste lui-même de s'être détourné de Clemente qui, lui aussi, est décédé. Finalement, plus que les dictateur, c'est la mémoire qui est tyrannique, cette souffrance d'être soi, dont la lutte politique veut nous divertir. Peut-on être révolutionnaire quand on n'est pas étranger au milieu qu'on affirme combattre? Et comment être un bon père quand on n'a à proposer qu'un modèle aussi ambivalent à ses enfants?
On l'aura compris, ce roman subtil et puissant n'est pas le meilleur qui soit si l'on veut croire aux vertus consolatrices de la littérature.
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Citations et extraits (18) Voir plus Ajouter une citation
Les raisons pour lesquelles nous avons les enfants que nous avons ont toujours été pour moi une énigme : qui aurait pu me dire que, quand il était encore bébé, Clemen emprunterait si peu de traits de caractère à moi, à Pericles ou à ses grands-parents, et qu’il hériterait plutôt de tous les bons et mauvais côtés d’oncle Lalo, le plus jeune frère de mon père, sympathique et tête en l’air, noceur et coureur de jupons ? J’ai accepté la volonté divine et je me suis adaptée ; pour Pericles, cela a été plus difficile. Mon père dit que, comme oncle Lalo a été tué quelques semaines avant la naissance de Clemen, il a hérité de son esprit.
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En chemin, en faisant attention à ce que don Leo ne la voie pas dans le rétroviseur, doña Chayito, le plus naturellement du monde, a passé la main sous sa jupe et sa culotte, et en a sorti une feuille de papier qu’elle a pliée et m’a tendue ; c’était un nouveau communiqué des étudiants, différent de celui que Raúl avait apporté ce matin à la maison, ai-je jugé d’après le titre. J’aurais eu du mal à le lire dans la pénombre. Je l’ai replié et l’ai glissé sous mon soutien-gorge.
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Don Jorge n’est pas seulement le propriétaire du journal, il appartient à l’une des meilleures familles du pays. Il est vrai qu’il est doté d’un caractère rebelle, parfois irascible, et qu’il n’hésite pas à insulter ou à se moquer du général, mais personne ne mérite d’être torturé puis criblé de balles en pleine rue, comme un chien galeux.
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...sometimes what we most hate and never forgive in those around us is some hidden part of ourselves we neither recognize nor accept,
....parfois ce qu’on déteste le plus et qu’on n’arrive jamais à pardonner aux personnes autour de nous, est une partie caché en nous qu’on ne veut ni reconnaître, ni accepter.....
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Les enfants, selon une étrange loi semblant régie par un mouvement pendulaire, vont toujours vers l’extrémité opposée à celle souhaitée par les parents, et plus on prétend définir leur avenir, plus ils s’éloignent de notre désir.
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EN LIGNES avec Jacques Aubergy, éditeur et traducteur.
Aujourdhui "Severina" de Rodrigo Ray Rosa
Avoir comme conseiller Pablo Ignacio II, c'est gage d'exigence et d'engagement. Se former au droit, “faire” cadre dans la restauration collective, s'essayer à la traduction et devenir par rupture éditeur d'une littérature latino américaine qui explore le continent, c'est marque d'un désir accompli. Ainsi est née “L'atinoir”, néologisme, maison d'édition, librairie et belle adresse marseillaise
"L'atinoir – édition" Conçu au Mexique sous l'impulsion de l'écrivain Paco Ignacio Taibo II et créé à Marseille en 2006, L'atinoir publie de la littérature, des essais et de la poésie écrits pour l'essentiel dans des pays d'Amérique latine. Depuis 2014, les choix éditoriaux privilégient les formes brèves de la fiction. La plupart de ces textes sont publiés en version bilingue. http://www.latinoir.fr/
Plus loin... Jacques et son "métier" https://desmotsdeminuit.francetvinfo.fr/tripalium/la-serie-documentaire-dmdm-jacques-aubergy-editeur-de-passion-latino/ Jacques Aubergy est notamment traducteur de l'écrivain salvadorien Horacio Castellanos Moya. https://desmotsdeminuit.francetvinfo.fr/mot-a-mot/horacio-castellanos-moya-la-litterature-contre-les-escadrons-de-la-mort/
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