L'enlèvement au XVIème siècle d'un groupe d'Amérindiens à leurs terres de l'actuel Canada par Jacques Cartier et son équipage est un fait historique peu connu et rarement conscrit, jusqu'à ce jour, dans les textes.
Stéphane Bardon prend le parti d'en faire un roman et, de manière originale, nous conte la découverte de notre Vieux Monde au travers des yeux écarquillés de la presque innocence sauvage. Nous offrant ainsi un miroir fascinant – même si parfois peu reluisant – de ce que fût notre contrée pour nos ancêtres et les primo arrivants de l'époque.
Quand le roman commence, nous sommes en 1536, moins de 50 années après la découverte de l'Amérique par
Christophe Colomb. Dans son apogée de la Renaissance, la France est obnubilée par la conquête des terres lointaines, le besoin illimité de richesses qui serviront à financer des guerres de possession coûteuses en Europe ; les principautés d'Italie notamment. La péninsule italienne se trouve d'ailleurs finement représentée par l'auteur dans les pages consacrées à la Demeure Royale de Fontainebleau. Avec le même talent pour nous introduire aux objets d'art, à l'architecture et plus généralement à la fascination française de l'époque pour l'Italie,
Stéphane Bardon décrit, dans ce château de
François Ier, les castes dirigeantes et les courtisans, inutiles et aveuglés par leurs certitudes de conquérants et leurs conversations aussi périssables qu'interminables. Tout le monde semble ainsi se gargariser d'apparences costumées, de parfums trop capiteux et de la recherche des bons mots placés pour plaire à ce Roi bon vivant, le plus Français de tous les Français.
Pour autant, l'auteur évite l'écueil de dépeindre une société française entièrement négative ou ennemie raciste de ces « sauvages ». Ou de montrer les Amérindiens uniquement sous une lumière qui ne serait que flatteuse.
Stéphane Bardon rappelle, dès les premières lignes, que
le Royaume de Saguenay est un mensonge ourdi par les captifs, espérant ainsi un jour être renvoyés dans leurs terres. Passé cet avant-propos en forme de rappel historique, l'auteur se concentre sur cette aventure humaine rude et inégalitaire parce que forcée. La France, qui deviendra bon gré mal gré l'amie de ces indigènes, restera incapable d'aider leur physiologie à s'adapter au climat du Royaume.
Premier roman comme l'indique la quatrième de couverture, il est presque impossible de croire à cette assertion au fur et à mesure où l'on tourne les pages qui rappellent combien le Français est la plus riche des langues pour décrire l'être humain, des époques disparues et la myriade de sentiments fugaces et perceptibles uniquement dans un regard ou un souffle.
Chaque scène est parfaitement construite, offrant une description fouillée et riche de mots parfois rares, nous dévoilant des émotions aussi profondes que personnelles notamment face à la Mort, l'éloignement et la solitude. Non sans nous rappeler, à certains égards, la superbe de grands auteurs français, incontournables dans notre jeunesse écolière. Avec une infinité de précision mais sans jamais la moindre lourdeur,
Stéphane Bardon – dont le travail de recherche historique est évident à chaque ligne – nous transporte avec aisance, nous offrant ainsi de construire nos propres peintures jaillies d'une imagination initiée par ses mots.
L'auteur excelle dans la description atteignant même un summum dans les dernières pages avec cette vie fuyant doucement le corps du roi amérindien. Donnacona, qui aurait tant voulu revoir une dernière fois son Royaume, y abandonne sa dernière quête, dans un cabanon face à la mer, entouré de ses deux seuls véritables amis Français : la bougonne servante malouine et le fidèle chien du Domaine.
En refermant ce livre au même moment où se termine la vie du protagoniste, en nous remémorant toutes les images construites au fil des pages, nous voulons croire que l'aventure de ce premier roman ne fait que commencer et que, notamment, un traitement cinématographique attend cette oeuvre rigoureuse et personnelle.
Et plus que tout, on nourrit l'espoir que
Stéphane Bardon s'installe durablement dans le paysage littéraire hexagonal avec un succès à venir dont le mérite semble déjà promis et évident.