Assurément l'époque est au fait religieux. José Sarramago nous avait livré il y a peu un "Caîn" assez fabuleux, puis ce fût
Erri de Luca avec "
Et il dit" parabole sur Moïse, et nous voilà en pleine évangile avec cette image terrible des pèlerins d'
Emmaüs qui ne reconnaissent pas le Christ ressuscité, et ne s'apercevront de leur cécité que lorsque l'aimé sera parti. C'est le thème de ce beau roman mettant en scène quatre jeunes garçons de 18 ans : le Saint, Luca, Bobby et le narrateur. Ce sont des catholiques pratiquants, on y verrai bien des apôtres, tant leurs liens d'amitié semblent forts. Ce sont des hommes, en devenir, mais soumis à leurs propres faiblesses et aux incompréhensions de tout post adolescent face à un monde adulte empli de non dits et de secrets lourds.
Leur univers s'étire entre le petit groupe de musique qu'ils constituent, leur participation comme musiciens à la messe dominicale ou encore leur bonne action hebdomadaire consistant à prendre soins de vieux "les larves" dans un hospice et bien sûr "les parents".
Il émerge de cet ensemble trop bien réglé une personnalité féminine bien singulière, Andrea, jeune beauté fatale que tout le monde nomme "Andre", si belle, si libre, si sensuelle. Elle est le corps désiré, le mouvement, la vie, l'amour, le sexe bien sûr,la somme de toutes les pulsions humaines. On l'imagine assez volontiers comme la figure de
Marie Madeleine ou encore dans celle exposée par Barrico, d'une curieuse Madonne non pas immaculée ni en maternité au regard volontairement vide, mais au contraire une forme humaine toute en énergie vitale.
Le roman est l'histoire de la rencontre de cette jeune femme avec ces quatre garçons, quatre histoires différentes se dessinent, comme quatre possibilités de destins différents, à partir d'une même rencontre avec une personne. La mort rôde, s'impose, offre son horizon aux interrogations non résolues et aveuglements consentis.
Ce roman n'est pas un Barrico comme les autres. le ton est sombre, désabusé, comme si l'auteur nous disait : ne commettez pas l'erreur que j'ai moi même commise plus jeune, n'attendez pas la maturité, la vieillesse, vivez, regardez autour de vous, repérez, ressentez ceux qui vous aiment, parlez, écoutez, interrogez, bref soyez vivants. Ne pas le faire vous rendra aussi stupides que ces pèlerins d'
Emmaüs qui n'auront entendu le bruit du bonheur que quand il aura claqué la porte.
Pour moi ce livre n'a certes pas le souffle poétique de "
Soie", mais c'est un bien beau roman lu d'une traite, comme une saine secousse littéraire et philosophique.