Il passa son bras autour de sa taille. Ils marchaient dans un petit sentier. Il y avait un parfum de feuillage bientôt fané, l’odeur douce de l’herbe à la fin de l’été. Pour Janek, le parc, si durement piétiné en juillet et en août, se transformait soudain. Ce living-room de la ville, foulé aux pieds pendant des mois, devenait un jardin des délices. Chaque arbre semblait gravé à l’eau-forte, isolé des autres. Chaque feuille, chaque buisson s’affirmait comme unique. Même les réverbères déglingués par les vandales et les bancs défoncés paraissaient gracieux. Janek était emporté par un sens de la beauté, la parfaite symétrie de la nature, de leur place, à Caroline et lui, dans l’ensemble du décor. Il était empli d’un bonheur moelleux.
Tuer deux personnes c’est une chose. Échanger leurs têtes en est une autre. Quelqu’un, pour l’instant, disons un homme, les connaissait, les a tuées, puis a fait l’échange, le switch… Pourquoi ? Peut-être voulait-il mettre une tête de pute sur le corps de la petite sainte, ou bien l’inverse, ou bien les deux. Peut-être est-ce qu’il avait un foutu complexe de pute-madone. Peut-être avait-il une sorte d’obsession visant à réarranger leurs personnalités, et qu’il s’était assigné cette mission. Peut-être que c’est du Vaudou, du satanisme de cuisine, un culte de la terreur quelconque. Quoi qu’il en soit, le plaisir a été temporaire – il n’a eu que quelques secondes pour admirer son ouvrage, puis il nous a laissé cette pagaille.
Il les a tuées, bien évidemment. Mais pour en utiliser les morceaux selon son idée. Donc, dans un sens, nous pouvons dire que c’est un créateur. Destructeur et aussi créateur. Les deux. C’est un concept difficile à assimiler, je sais. J’ai eu même du mal à y penser. J’ai du mal à envisager une telle chose, ce qui peut paraître étrange étant donné mon travail. Normalement je suis tout à fait imperturbable. Découper des corps, accomplir des autopsies – cela ne me dérange nullement. Mais ce cas-là me perturbe, me perturbe énormément. J’ai la sensation d’avoir en face de moi un homme qui a tenté de créer de nouveaux êtres humains, qui s’est amusé à jouer à Dieu.
Cela faisait très très longtemps qu’il n’avait pas fait l’amour avec tendresse, qu’il n’avait pas éprouvé un tel amour pour une femme, tenu dans ses bras une femme si jeune et si belle, dormi près d’une femme si extraordinaire. Et il était stupéfait que cela se soit produit. On aurait dit un rêve impossible, quelque chose qu’il avait toujours souhaité, qui allait marquer un tournant dans sa vie, un tournant crucial. Tout était si étrange, la façon dont ils s’étaient rencontrés et dont ils étaient tombés amoureux l’un de l’autre, sans aucune espèce de cour ni de rituel, sauf lorsqu’elle l’avait photographié et qu’elle avait pris sa main dans la rue.
Cliniquement parlant, les deux femmes ont été tuées presque sur le coup. Beard a été frappée à travers un drap, décapitée par la nuque de la même façon qu’Ireland, puis retournée pour que la tête d’Ireland puisse être enfoncée sur son cou. J’ai l’impression que les têtes ont été transportées dans des sacs plastiques. Avec d’énormes précautions, aussi, parce qu’il n’y a pour ainsi dire pas de traces de sang dans les cheveux. Aucune empreinte digitale, nulle part. L’assassin a fait très attention. Je le soupçonne d’avoir manipulé les têtes à travers le plastique, en retirant doucement les sacs une fois les têtes arrangées comme il le désirait.
William Bayer nous parle de sa famille d'écrivains.