Citations sur Le Deuxième Sexe, tome 1 : Les faits et les mythes (233)
Pour changer la face du monde, il faut y être d'abord solidement ancré ; mais les femmes solidement enracinées dans la société sont celles qui lui sont soumises ; à moins d'être désignées pour l'action par droit divin – et en ce cas elles se sont montrées aussi capables que les hommes – l'ambitieuse, l'héroïne sont des monstres étranges.
(P226)
Les peuples primitifs connaissaient la prostitution hospitalière, concession de la femme à l'hôte de passage, qui avait sans doute des raisons mystiques, et la prostitution sacrée destinée à libérer au profit de la collectivité les mystérieuses puissances de la fécondation. Ces coutumes existaient dans l'Antiquité classique. Hérodote rapporte qu'au Ve siècle avant Jésus-Christ chaque femme de Babylone devait une fois dans sa vie se livrer à un homme étranger dans le temple de Mylitta contre une pièce de monnaie qu'elle remettait au trésor du temple ; elle rentrait ensuite chez elle pour vivre dans la chasteté. La prostitution religieuse s'est perpétuée jusqu'à aujourd'hui chez les « aimées » d'Égypte et les bayadères des Indes qui constituent des castes respectées de musiciennes et de danseuses. Mais le plus souvent, en Égypte, en Inde, dans l'Asie occidentale, il y a eu glissement de la prostitution sacrée à la prostitution légale, la classe sacerdotale trouvant dans ce commerce un moyen de s'enrichir. Chez les Hébreux même il y avait des prostituées vénales. En Grèce, c'est surtout au bord de la mer, dans les îles et les cités où venaient beaucoup d'étrangers qu'existaient des temples où se rencontrent les « jeunes filles hospitalières aux étrangers » comme les appelle Pindare : l'argent qu'elle reçoivent est destiné au culte, c'est-à-dire aux prêtres et indirectement à leur entretien. En réalité, sous une forme hypocrite, on exploite – à Corinthe entre autres – les besoins sexuels des marins, des voyageurs ; et c'est déjà de prostitution vénale qu'il s'agit.
(P147/148)
Une perspective existentielle nous a donc permis de comprendre comment la situation biologique et économique des hordes primitives devait amener la suprématie des mâles. La femelle est plus que le mâle en proie à l'espèce ; l'humanité a toujours cherché à s'évader de sa destinée spécifique ; par l'invention de l'outil, l'entretien de la vie est devenu pour l'homme activité et projet tandis que dans la maternité la femme demeurait rivée à son corps, comme l'animal. C'est parce que l'humanité se met en question dans son être c'est-à-dire préfère à la vie des raisons de vivre qu'en face de la femme l'homme s'est posé comme le maître ; le projet de l'homme n'est pas de se répéter dans le temps : c'est de régner sur l'instant et forger l'avenir. C'est l'activité mâle qui créant des valeurs a constitué l'existence elle-même comme valeur ; elle l'a emporté sur les forces confuses de la vie ; elle a asservi la Nature et la Femme.
(P117)
En note de bas de page, la notion de "l'amour conjugal" est explicitée. (p311)
il peut y avoir amour dans le mariage ; mais alors on ne parle pas "d'amour conjugal" ; quand on prononce ces mots c'est que l'amour est absent ; de même quand on dit d'un homme qu'il est "très communiste" on indique par là qu'il n'est pas communiste.
Personne n’est plus arrogant envers les femmes, plus agressif ou méprisant, qu’un homme inquiet pour sa virilité.
En un sens le mystère de l'incarnation se répète en chaque femme; tout enfant qui naît est un dieu qui se fait homme.
« Le couple heureux qui se reconnaît dans l’amour défie l’Univers et le temps : il se suffit.
Il réalise l’absolu » ….
« Il m’était plus facile de penser un monde sans créateur qu’un créateur chargé de toutes les contradictions du monde » ...
C'est ainsi que beaucoup d'hommes affirment avec une quasi bonne fois que les femmes sont les égales de l'homme et qu'elles n'ont rien à revendiquer, et en même temps : que les femmes ne pourront jamais être les égales de l'homme et que leurs revendications sont vaines. C'est qu'il est difficile à l'homme de mesurer l'extrême importance de discriminations sociales qui semblent du dehors insignifiantes et dont les répercussions morales, intellectuelles sont dans la femme si profondes qu'elles peuvent paraître avoir leur source dans une nature originelle.
Etre bien habillée réclame aussi du temps et des soins ; c’est une tâche qui est parfois source de joies positives : en ce domaine aussi il y a « découvertes de trésors cachés », marchandages, ruses, combinaisons, invention ; adroite, la femme peut même devenir créatrice.