Nous touchons au dernier, ou au premier peut-être, des musiciens d'amour. Si M. Gounod (comme il le dit volontiers) a fait beaucoup par et pour l'amour, l'amour a tout fait pour lui. Nul sentiment ne l'a porte aussi haut. Aucun musicien n'a mieux chanté cette passion. Faust, Roméo, chefs-d'œuvre d'amour ; les stances de Sapho, le duo de Magali, deux pages d'amour, l'une sublime, l'autre charmante. Les messes, les oratorios même : Rédemption, Mors et Vita, respirent une tendresse mystique ; l'auteur de Faust et de Roméo pourrait prendre pour devise le mot de saint Augustin : Ama et fac quod vis.
Hegel, dans son Esthétique, ne fait pas la part moins large au sentiment : « C'est, dit-il, seulement lorsque dans l'élément sensible des sons et de leurs divers modes et combinaisons, un sentiment, une pensée, sont exprimés avec vérité, que la musique s'élève au rang d'un art véritable. . .
Sous ce rapport, le problème propre de la musique est celui-ci : ne pas traiter la pensée telle qu'elle existe, comme notion générale dans l'intelligence ou comme objet présent à l'imagination, ayant une forme extérieure, déterminée, (mode de représentation qui appartient aux autres arts) ; mais la concevoir et la traiter de manière qu'elle soit vivante dans la sphère du sentiment.
Dans la musique comme dans la littérature, la nature a subi l'influence de l'élément humain. Les Saisons, la Création de Haydn, sont encore des œuvres surtout descriptives et pour ainsi dire extérieures. Mais Beethoven se replie sur lui-même dans la Symphonie pastorale, poème de la nature encore, mais déjà poème de l'âme.
Le sentiment de la nature s'est transformé dans la musique ainsi que dans la littérature; mais l'évolution musicale s'est faite comme toujours, plus tard et plus vite que l'évolution littéraire.
Mais l'art, quand il ne peut faire mieux, fait autrement. Les anciens écrivaient la musique sacrée avec leur cœur; les modernes l'écrivent davantage avec leur imagination.