Citations sur Présent ? (60)
Comme c'est étrange de penser que pour une famille normale,
il faut être séparés toute la journée, le père à l'usine,
nous à l'école, la mère à la maison.
Est-ce qu'on ne pourrait pas avoir un peu plus de temps
ensemble pour se promener ou contempler le vol des oiseaux
ou chanter une chanson ?
Elle porte un prénom américain de série télévisée. Accolé à son nom bien français, c'est ridicule. Son nom de famille sonne encore plus français et le prénom encore plus faux. C'est pour toute la vie. Elle n'est pas la seule. Il y a comme ça des erreurs de casting venues tout droit du fond des canapés où les fesses des mères usent lentement le velours.
Les noms des élèves peuvent venir de langues si lointaines que jusqu'à la fin de l'année on ne s'y fait pas. Elle aime les répéter juste pour elle avant un rendez-vous. Hier, elle a reçu un nom indien, très doux, très long, très compliqué. Elle avait pris cinq minutes entières pour pouvoir le prononcer correctement. C'est important pour quelqu'un de ne pas entendre toujours son nom écorché. Elle se dit que c'est un début d'apprivoisement.
Il n'y a pas de cours de joie dans les écoles et c'est dommage. On n'apprend à personne à cultiver ces moments éphémères de présence totale, radieuse, au monde, il faudra s'en souvenir, seul. C'est peut-être pourtant la seule leçon qui vaille la peine d'apprendre.
Elle se sent au monde. Pas dans le monde. Juste au monde. Elle respire. Le monde et son coeur sont à même hauteur. On dit "être sur le même plan". Elle est sur le même plan. Le pas est possible. C'est si rare ce sentiment que le pas est possible. Elle a une bouffée de joie. Une allégresse.
Dans combien de temps vont-ils se retrouver, abrutis, à vire une vie dont on aura retiré tout le suc, une vie dont le temps se passera à gagner de l'argenten faisant des choses auxquelles on ne croit pas pour s'acheter des choses que d'autres passent leur vie à fabriquer et auxquelles ils ne croient pas non plus. Absurdité. Et la vie? Et la vie dans tout ça?C'est un gagne-pain, la vie?
Aujourd'hui il se dit qu'on ne grandit pas, il n'y a que l'absence à soi-même qui grandit, et le pire c'est qu'on prend ça pour une victoire... quelle ânerie!
La salle des profs, il l'évite. Il ne se sent ni mieux ni pire que les autres, c'est juste une fatigue pour le genre humain. Causer, rire, on serre une main, on fait la bise, non, il ne peut plus.
On sonne pour que les gens se mettent en marche, que ce soit vers l'église, l'usine ou le combat. La sonnerie du collège ne fait que préparer à la suite d'une vie. L'horloge plantée au mur de la classe, la montre au poignet de chacun, ne suffisent pas? Non. On veut être sûr qu'au même instant, tous entendent et obéissent. Ah. Pourrait-on rêver une autre façon de vivre ensemble?
Au milieu des livres, l'élève que rien ne préparait à être là écoute. (…) On ne s'inquiète pas de la correction de la langue maintenant. On s'aventure. On part en explorateur. Comme les chercheurs d'or, on ose aller creuser dans la boue. Il ne faut pas hésiter à se salir les mains quand on veut écrire. (…) Avec les mots, on devient.