Ce jour viendra

Les gens, quand ils ont la frousse, se comportent moins bien que les chiens. Ne les écoute pas, Yemma hnina. »
La mère de Mehdi avait saisi Lalla Meriem par l’épaule. La jeune femme ne parvenait pas à maîtriser le frisson qui lui soulevait maintenant la poitrine, l’obligeant à respirer par à-coups comme si elle suffoquait. Une voix masculine avait grommelé qu’ils auraient dû plus réfléchir et qu’il était encore temps d’annuler le partage :
« Y a des cadis pour ça, oui, c’est vrai, c’est pas à une femme de s’occuper de ça ! »
La grand-mère avait sangloté :
« Mais pourquoi êtes-vous si sûrs que c’est Eux ? ... Et pourquoi les voisins ne nous ont pas prévenus ? Nous nous sommes toujours bien entendus... Hier encore, j’ai prêté mon réchaud à pétrole à... »
Sa fille avait tenté de la consoler en lui murmurant quelque chose à l’oreille. Mehdi avait été stupéfait de la manière dont les choses avaient si brutalement changé de nature : la bienveillance générale, teintée de gratitude, envers sa mère avait viré à l’hostilité ostensible chez certains. Comment cela avait-il pu advenir, cette éruption brusque de la méchanceté au milieu de ce qui semblait être de la bonté ? Il en était venu à regretter les regards de concupiscence de quelques-uns des invités qui, au moins, contenaient une part d’admiration.

Pendant un court instant,l'Enfant a cédé à la tentation abominablement douce de l'évoquer,elle. Elle seule pouvait lui venir en secours contre cette aversion pour lui-même qui ne le quittait plus depuis plusieurs jours, qui alourdissait chacun de ses gestes ou la plus dérisoire de ses pensées. Elle, la consolatrice.L'aimante.
Il a serré les dents pour ne pas gémir :«Ma maman...»
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Il n’était ni beau, ni laid, simple ingénieur informaticien, plutôt calé mais mal payé dans un pays exténué par l’inflation, perdant son temps dans une université qui n’avait pas vraiment besoin de lui. Leïla l’appelait mon bédouin préféré et ce n’était pas un simple surnom car ses parents avaient été réellement, jusqu’à un âge avancé, des nomades convoyant du sel en de longues caravanes remontant du Niger et du Mali vers l’Algérie. Bien malgré eux, sous la pression de l’armée se défiant de la trop grande porosité des frontières du sud, ils avaient fini par se sédentariser à Biskra, une grande oasis de l’est algérien. Leur unique garçon, Driss, avait alors pu fréquenter
l’école, puis le lycée, avant d’être envoyé à l’établissement supérieur de la capitale régionale.

Elle s’était maquillée encore plus soigneusement que d’habitude, avait choisi une robe légère et s’était rendue à l’université, feignant la gaieté la plus totale. « Avec mon cartable, mes polycopiés, mais sans rien sous la robe ! » avait-elle précisé, le défiant du regard. Il avait toussé d’incompréhension : « Comment rien ? Tu... tu veux vraiment dire rien, c’est-à-dire sans la... »

Leïla et Driss étaient rentrés en toute hâte du restaurant pour faire l’amour. Dans la voiture brinquebalante, il avait commencé à la caresser tout en conduisant. Il avait
débuté par les seins, glissé du ventre vers l’entrejambe. Leïla avait feint d’ignorer les effleurements de son mari, mais elle avait lentement écarté la corolle de ses cuisses. Un véhicule tout-terrain des forces spéciales les avait dépassés à la hauteur de la bretelle vers Kouba, puis avait ralenti. Un ninja en cagoule, passant la tête hors de la vitre arrière, avait brandi son arme : il avait certainement surpris le manège du couple. Un sentiment de panique s’était emparé de Driss : il faisait nuit et les pires histoires couraient sur la brutalité et l’impunité des ninjas !