Album Borges

À la même époque, Georgie dessine des séries d'animaux, principalement des félins, en pleine page. Leonor Acevedo, sa mère, nous laisse une témoignage émouvant de cette frénétique inclination : "il avait la passion des animaux, surtout des bêtes féroces. Quand nous allions au jardin zoologique, il était difficile de le faire partir. Et moi, toute petite, j'avais peur de lui qui était grand et fort. J'avais peur qu'il se mît en colère et qu'il me frappât [...]. Quand il revenait, il dessinait des animaux, à plat ventre, par terre, et il commençait toujours par les pattes. Il dessinait surtout des tigres qui étaient ses animaux favoris. Puis des tigres et d'autres bêtes sauvages, il passa aux animaux préhistoriques sur lesquels il lut, pendant deux ans, tout ce qu'il était possible de lire.
Déjà une préfiguration du Manuel de zoologie fantastique, et une démarche qui traduit sa profonde attirance pour la transformation issue des manipulations du réel.

L'aveugle errant accroché à des bras successifs, appuyé sur une canne de passage dont il aimait raconter l'histoire baignée de cette littérature voyageuse qui remplit sa Bibliothèque de Marco Polo, voilà l'image unique que beaucoup de ses lecteurs européens ont conservée de l'auteur de l'Aleph, une image certes susceptible de multiples versions et perversions, une image s'étalant sur plus de trente ans et qui s'est tout juste un peu ridée en devenant l'ultime masque.