Bézian : des histoires torturées, un ton ombrageux, presque gothique, à la lisière du fantastique ; un trait expressionniste inimitable, nerveux, comme gravé au couteau dans la page. du moins c'est ce que l'on croyait. Contre toute attente, voilà que le créateur du légendaire ‘Adam Sarlech' ose la légèreté, laisse de côté la fiction et intitule un album ‘La Belle Vie'. le Garonnais, dans un inhabituel demi-format, livre un ouvrage caustique, pétillant, s'attachant à décrire les petites absurdités du quotidien. Avec un regard acerbe mais toujours tendre, il rit, s'indigne, râle, aime, s'insurge, dévoilant un talent qu'on ne lui connaissait pas : l'art de croquer ses semblables. Passant aisément d'un clochard saoul à un gamin turbulent de 5 ans, Bézian parvient même, à travers le personnage de l'auteur de bande dessinée notamment, à jouer sur une autodérision très drôle. Les chroniques de quelques pages s'enchaînent, variées, drôles ou piquantes, guidées par des mots parfaitement pesés. Si certains sujets s'avèrent un brin banals - comme ces planches sur ces téléphones portables, gangrène de notre monde moderne -, son regard s'avère le plus souvent aiguisé et perspicace. le talent qu'on lui connaissait à entrer si habilement dans la psychologie de ses personnages, se transforme ici en une acuité sociale inattendue. Quant au dessin, il reste absolument magnifique. Encore plus épuré que dans son précédent album ‘
Les Garde-fous', il dégage une souplesse incroyable, pleine de vie. L'absence de cadre aux vignettes et les aplats de couleurs lumineux décuplent la liberté de son coup de crayon, qui est pour beaucoup dans la réussite des chutes de ces petits récits pimentés. Un retour à la réalité surprenant, qui montre que Bézian possède l'une des plus grandes qualités de l'artiste : le courage de se remettre en question et de déjouer les attentes de ses lecteurs.
Mikaël Demets
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