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Critique de ODP31


ODP31
12 septembre 2019
Un roman qui défrise la chronologie du monde !

Dans son excellent premier roman « HHhH», Laurent Binet avait déjà démontré son goût pour l'histoire. Il racontait l'opération visant à assassiner le « boucher de Prague », Reinhard Heydrich, durant la seconde guerre mondiale. Au-delà du récit que j'avais trouvé passionnant, le livre soulignait les hésitations de l'auteur à romancer la réalité historique. Je garde un souvenir vivace de cette lecture qui date de 2010 tout en ne partageant pas la critique formulée par l'auteur à l'encontre de Jonathan Littell qui aurait travesti l'Histoire et son grand H dans « les Bienveillantes ». Je pense que le roman doit rester un espace de liberté et je considère "Les Bienveillantes" comme l'un des romans les plus précieux de ces 20 dernières années.

Pour Civilizations, l'auteur s'est posé moins de questions déontologiques et il a sauté, les deux pieds dans la flaque de l'histoire globale. Et c'est tant mieux, car il a laissé de côté une certaine préciosité, observée également dans «La septième fonction du langage», son deuxième roman.

Il décide ici de renverser les lois de la gravité historique et fait du Vieux Continent, le Nouveau Monde. Un effet miroir déformé de notre ethnocentrisme.

A changer le cours des choses, autant détourner de son lit un océan plutôt qu'un petit torrent. le roman s'ouvre sur l'amarrage douloureux des vikings, plaisanciers un peu rustres, sur les côtes américaines en l'an mil. Comme le viking n'a pas l'âme sédentaire mais possède la curiosité d'un étudiant Erasmus, la fille d'Erik le Rouge partage avec les autochtones ses défenses immunitaires et la métallurgie du fer.

La seconde partie présente le carnet de voyage raté de Christophe Colomb dont l'expédition échoue misérablement en 1492, faute de GPS et à cause d'un évangélisme intolérant et d'une avidité sans limite.

En 1531, les Incas envahissent l'Europe. Ils débarquent à Lisbonne juste après un grand tremblement de terre. Comment Atahualpa, empereur d'une armée de quelques centaines d'hommes va parvenir à conquérir l'Europe, défaire Charles Quint, convaincre la population d'abandonner la religion du « Dieu cloué » pour celle du Dieu Soleil en pleine période d'Inquisition ?

Laurent Binet réussit à rendre crédible cette conquête par une bonne dose d'utopie qui accompagne cette réécriture de l'histoire. L'Inca obtient l'adhésion du peuple par la redistribution équitable des récoltes et la substitution de l'impôt par des travaux d'intérêt généraux. Un empereur communiste… mais également capitaliste puisque il inonde l'Europe de l'or qu'il fait venir par bateau depuis les Amériques pour acheter le pouvoir.

J'ai également été convaincu par la description de la diplomatie déployée par cet empereur Inca, qui lit Machiavel et applique à la lettre la devise « Diviser pour mieux régner », jouant des rivalités séculaires des dynasties régnantes.

Dans cette aventure qui donne le tournis au globe terrestre, l'empereur croise les grandes figures intellectuelles et artistiques : Thomas More, Erasme, Luther, Titien…. Autant d'occasions pour évoquer le pouvoir de l'art, l'intolérance religieuse et les inégalités.

J'ai vu que certains billets présentaient des avis plus mitigés. Pour ma part, comme l'Europe, j'ai été conquis par cet Inca et si la Terre tourne autour du soleil, il est heureux de voir que certains romans ne tournent pas seulement autour du nombril de leurs auteurs.

S'agissant de l'exercice uchronique, je pense que « le complot contre l'Amérique » de Philip Roth est plus maîtrisé que « Civilizations », mais ce roman, qui est aussi un conte philosophique, est une belle réussite. Si Fernand Braudel a construit la « grammaire des civilisations », Laurent Binet se permet avec un certain brio de changer les règles de conjugaison en s'inspirant aussi des théories de Jared Mason Diamond sur l' « Effondrement » des civilisations.

Prochain challenge uchronique ambitieux : Et si Adam n'avait pas croqué dans la Pomme ?
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