Jean-Philippe Blondel –
06H41 – roman – Buchet. Chastel ( 232 pages- 15€)
« Il n'y a pas de hasards, mais des aimantations », affirme
Martin Melkonian.
C'est ce qu'auraient pu penser les deux protagonistes du roman , en prenant le train de
06H41! Pourquoi? Parce ces deux là se sont aimés , vingt-sept auparavant.
Le mot: « catastrophe » préfigure cette rencontre improbable qui va donc les aiguiller vers le comptoir des souvenirs. Pourtant, dans un train, « rien ne peut vraiment vous arriver ».
L'auteur entrecroise les voix de Cécile et Philippe. Ceux-ci se livrent à une introspection,mais donne aussi un portrait de l'autre, sans concession, ne se privant pas de phrases assassines.
Par flashback ils déroulent l'écheveau de leurs moments partagés, de leurs années au lycée.
Chacun d'eux se remémore leur liaison éphémère, tente de remplir les alvéoles du passé.
Ayant le recul de la maturité, ils sont plus lucides pour commenter leurs folies de jeunesse, leurs erreurs, et plus aptes à comprendre leurs ainés, les mères. En creux se tisse le portrait de leur ami commun, Mathieu, le «sparring -partner » qui a beaucoup compté et manqué pour Philippe.
Maintenant, il l' accompagne dans sa maladie, alors que la mort est en embuscade. Poignante son empathie pour la mère de Mathieu. Constant aller retour entre passé et présent pour le lecteur.
Cécile et Philippe vont-ils se reconnaître, se parler, se sourire , renouer un lien ? Vont-ils s'offrir une nouvelle parenthèse londonienne ou au contraire s'ignorer? L'art de l'auteur est de ferrer son lecteur et de le maintenir dans le suspense, d'autant qu'il reste une demi-heure « pour se jeter à l'eau » avant le terminus. Il excelle aussi à disséquer le maelström intérieur des deux protagonistes, réunis dans cette proximité fortuitement, leurs tergiversations, leurs atermoiements, leur dilemme de l'instant .
Dans ce roman, l'auteur s'interroge sur l'état amoureux. Il développe une réflexion sur les amours d'adolescents insouciants, immatures ( passion mais aussi désillusions), le couple (violence, divorce et enfants ballotés), la rupture amoureuse et l'amitié que l'on croit parfois inoxydable mais qui s'étiole ou cesse. Celle entre Mathieu et Philippe, le seul à qui il accorde sa confiance, a résisté.
Il aborde les relations générationnelles , la vieillesse des parents, et la ritournelle du temps qui passe. La phrase :« C'était il y a vingt-sept ans » résonne comme un refrain, scandant le récit.
Jean-Philippe Blondel se plaît à dégommer ces retraités oisifs qui goûtent à la vie de pacha sur des bateaux de croisière. Il explore la complexité des rapports humains, montre comment des destins peuvent bifurquer pour se recroiser de nouveau.
L'auteur nous offre des parenthèses comiques. Par exemple quand il plonge dans les profondeurs du sac de Cécile et nous révèle son univers intime.
Jean-Philippe Blondel est fidèle à son style haché,ses phrases nominales, « des mots lancés comme des javelots », ses dialogues spontanés, ses séries d'adjectifs..
Jean-Philippe Blondel distille son immuable touche locale ( Troyes et « la désertion de l'industrie textile », le stade de l'Aube, le lac de la forêt d'Orient) , égrène des bribes autobiographiques. Ici, sa connaissance de Londres, de la langue anglaise, d'où sa référence à des proverbes: « Every cloud has a silver lining », apprenant à Cécile à positiver, puisqu' après la pluie, vient le beau temps. Mais les lieux sont mémoire, liés aux événements de votre vie, constat amer de Cécile. Pour Philippe,la cathédrale, cadre « érotique » fut le témoin d'un baiser.
L'auteur glisse un soupçon de nostalgie, l'ironie côtoie l'humour. Il nous offre une réjouissante variation sur le genou de Cécile ( en écho au genou
De Claire), autour du train , ce huis clos qui favorise les rencontres, les retrouvailles et la lecture. Emportez des Pockets dont
06H41.
Un roman à lire sur les rails, capable de fédérer un large lectorat par son côté universel.