La foi de Mozart est certaine. Pourtant, elle change singulièrement quand on passe des œuvres à la correspondance et de la musique aux mots. L’homme de lettres est un bon catholique, pratiquant, qui s’indigne quand son père se permet de douter que son fils manque au rituel et ne va pas à confesse. Conformiste, il garde cette pointe d’anticléricalisme qui paraît garantir l’authenticité de la foi. Ce n’est pas sans raison que dans la requête qu’il adresse à l’archiduc François d’Autriche, en mai 1790, pour solliciter le poste de second maître de la chapelle, il assure que, contrairement au candidat rival, Salieri, qui « ne s’est jamais consacré au style d’église… je me suis dès ma jeunesse rendu maître en ce genre2 ». Il aimait les orgues plus que tous les autres instruments : c’était sa joie d’en découvrir de nouvelles dans les villes étrangères qu’il visitait, de les essayer et d’éblouir l’auditeur par la qualité et la puissance de son jeu. Mais Mozart appartient à cette génération et à ce type d’hommes dont Alfred Einstein écrit si bien qu’ils ne faisaient pas de Dieu un problème personnel et l’acceptaient – aussi omniprésent, inévitable, imprévisible, inexplicable, que la météorologie dans ses manifestations. On lui attribue, il est vrai, quelques déclarations mystiques que l’on a citées, mais qui sonnent faux. Nul besoin de s’y référer pour découvrir l’abîme qui sépare Mozart de la correspondance de celui de l’Ave Verum.
Au-delà
Nul doute qu’il est admirable et que le Requiem tel qu’il nous est parvenu représente un des sommets de la musique. Rarement ou jamais le sentiment du sacré, celui de la faute, de l’espoir, du pardon, de la peur de la colère divine, de l’alliance à Dieu que le pécheur même peut invoquer, jamais tant d’orgueil et tant d’humilité n’auront été exprimés avec une telle vigueur, ou une si adorable tendresse. Ce sont orages – agitation désespérée et révolte – suivis d’accalmies paradisiaques, d’appels pathétiques à la miséricorde. « Oro supplex » – « suppliant et prosterné… Je vous prie, prenez soin de ma dernière heure » – bouleversant, sublime – les mots manquent et l’on ne peut qu’évoquer ce que Mozart paraît avoir dit, à savoir que c’était pour lui qu’il écrivait ce Requiem. Et il en est digne.
Au-delà
Les Mozart sont d’Augsbourg, aujourd’hui allemande, ville libre, administrée par ses bourgeois mais comprise cependant dans le Saint Empire dont l’empereur, désigné par neuf princes électeurs, règne sur cinquante États hétéroclites. Augsbourg est dans la mouvance de cette suzeraineté, comme l’est Salzbourg où la famille Mozart devait s’implanter et s’illustrer. Quelque deux cents kilomètres séparent les deux villes et ce sont pourtant, à certains égards, des mondes différents : l’une bourgeoise – et l’on verra Wolfgang Amadeus souffrir de l’insolence grossière de sa classe dirigeante –, l’autre aristocratique – et l’insolence y est moins grossière, mais pire encore.
Aux origines
L’esprit maçonnique, (...), s’est exprimée dans la musique de Mozart : l’amour en Dieu ayant abouti aux désastres des guerres de Religion, les hommes cherchent à aimer leur prochain sans intermédiaire et sans caution divine. Ces œuvres de Mozart, qui recherchent une spiritualité et un humanisme nouveaux, garantis par un Dieu Grand Architecte que la raison et la science permettent de connaître et vénérer mieux que la prière, trouvent leur ampleur et prennent leur sens dans La Flûte enchantée et les Cantates maçonniques composées dans la dernière année de la vie du compositeur et comme illuminées par le pressentiment de sa mort.
Frère
Pour avoir du succès, il faut écrire des choses suffisamment compréhensibles pour qu'un fiacre puisse les chanter aussitôt ou tellement incompréhensibles que cela plaise justement parce que personne de sensé ne peut les comprendre.
Maison de la poésie (10 nov 2017) - Texte et Lecture de Jean-Philippe Domecq, extrait du Dictionnaire des mots en trop (dirigé par Belinda Cannone et Christian Doumet, éd. Thierry Marchaisse, parution novembre 2017).
Le Dictionnaire des mots en trop :
Comment ? s?entend-on déjà reprocher, des mots en trop ? Mais les mots, on en manquerait plutôt.
Et pourtant. Ame, artiste, coach, communauté? ils sont légion ceux qui éveillent notre résistance intime à tout ce qu?ils charrient d?affects, d?idéologie, de pseudo-concepts ? notre résistance mais pas celle du voisin !
?
Quarante-quatre écrivains explorent ici les raisons pour lesquelles ils renâclent devant certains mots, et leurs réflexions critiques témoignent autant d?un état de la langue que des poétiques et des enjeux de notre temps.
Une expérience littéraire qui vient compléter, en l?inversant, celle du Dictionnaire des mots manquants.
Auteurs : Malek Abbou, Jacques Abeille, Mohamed Aïssaoui, Jacques Ancet, Marie-Louise Audiberti, Michèle Audin, Olivier Barbarant, Marcel Bénabou, Jean Blot, Jean-Claude Bologne, François Bordes, Lucile Bordes, Mathieu Brosseau, Belinda Cannone, Béatrice Commengé, Thibault Ulysse Comte, Seyhmus Dagtekin, Louis-Philippe Dalembert, Remi David, Erwan Desplanques, Jean-Philippe Domecq, Christian Doumet, Renaud Ego, Eric Faye, Caryl Férey, Michaël Ferrier, Philippe Garnier, Simonetta Greggio, Cécile Guilbert, Hubert Haddad, Isabelle Jarry, Cécile Ladjali, , Marie-Hélène Lafon, Sylvie Lainé, Frank Lanot, Fabrice Lardreau, Mathieu Larnaudie, Linda Lê, Guy le Gaufey, Jérôme Meizoz, Christine Montalbetti, Christophe Pradeau, Marlène Soreda, Abdourahman A. Waberi.
http://www.editions-marchaisse.fr/catalogue-dictionnaire-des-mots-en-trop
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