Pour s'éprendre d'une femme, il faut qu'il y ait en elle un désert, une absence, quelque chose qui appelle la tourmente, la jouissance. Une zone de vie non entamée dans sa vie, une terre non brûlée, ignorée d'elle-même comme de vous. Perceptible pourtant, immédiatement perceptible.
il faut du temps pour apprendre. Il faut tellement de temps pour s'atteindre.
"Ce qu'on apprend dans les livres, c'est-à-dire "je vous aime". Il faut d'abord dire "je". C'est difficile, c'est comme se perdre dans la forêt, loin des chemins, c'est comme sortir de maladie, de la maladie des vie impersonnelles, des vies tuées. Ensuite il faut dire "vous". La souffrance peut aider - la souffrance d'un bonheur, la jalousie, le froid, la candeur d'une saison sur la vitre du sang. Tout peut aider en un sens à dire "vous" , tout ce qui manque et qui est là, sous les yeux, dans l'absence abondante. Enfin il faut dire "aime". C'est vers la fin des temps déjà, cela ne peut être dit qu'à condition de ne pas l'être. La dernière lettre est muette, elle s'efface dans le souffle, elle va comme l'air bleu sur la plage, dans la gorge. "Je vous aime." Sujet, verbe, complément. Ce qu'on apprend dans les livres, c'est la grammaire du silence, la leçon de lumière. Il faut du temps pour apprendre. Il faut tellement de temps pour s'atteindre. "
C'est quoi, réussir sa vie, sinon cela, cet entêtement d'une enfance, cette fidélité simple: ne jamais aller plus loin que ce qui vous enchante à ce jour, à cette heure.
LA PENSÉE ERRANTE
Le temps passé dans l'amour n'est pas du temps, mais de la lumière, un roseau de lumière, un duvet de silence, une neige de chair douce.
La lecture ne peut se commander. Personne ne peut en décider à votre place. Il en va de la lecture comme d’un amour ou du beau temps : personne ni vous n’y pouvez rien. On lit avec ce qu’on est. On lit ce qu’on est.
On n'apprend que d'une femme. On n'apprend que de l'ignorance où elle nous met quant à nos jours, quant à nos nuits. Le temps passe. La durée amoureuse n'est pas une durée. Le temps passé dans l'amour n'est pas du temps, mais de la lumière, un roseau de lumière, un duvet de silence, une neige de chair douce. Un jour la jalousie vient. Le tableau de maître a changé. Les couleurs ont fraîchi. L'essentiel est passé au second plan, dans un coin d'ombre. On voit sans voir encore. Avec la jalousie revient le temps, l'éternité mauvaise. Vous ne choisissez pas la jalousie, pas plus que vous n'avez choisi l'amour. Vous entrez dans ces terres étrangères de vous-même, dans ces zones frontalières où plus rien n'est voulu, ni pensé. Vous êtes seul mais vous n'êtes pas seul dans votre solitude. Vous êtes en proie à la pensée errante. C'est une pensée qui ne sait pas atteindre ce qu'elle pense, qui ne désire surtout pas atteindre ce qu'elle pense, le porter au plein jour. On dirait une pensée qui fuit quelque chose et qui n'est occupée que de cela qu'elle fuit, qu'elle cherche. Quelle cherche en le fuyant.
L'écrivain
Écrire c'est faire retentir sur la neige chaque pas de l'ange.
Le reste n'est rien. Le reste c'est tout ce qu'on jette dans les jours de colère, dans les heures de rangement. Il y a ceux qui jettent. Il y a ceux qui régulièrement mettent leur maison à sac, ou le réduit d'une mémoire, le recoin d'un amour.[...] Et il y a ceux qui gardent. Ils entassent dans un tiroir, dans une parole, dans un amour. Ils ne perdent rien. Ils disent : on ne sait jamais. [...] Ceux qui gardent comme ceux qui jettent seront égaux devant l'objet unique, devant la chose qui tiendra lieu de toutes les choses.
Ceux qui se délivrent comme ceux qui s'encombrent. Il y a toujours une chose qu'on ne jette en aucun cas. Ce n'est pas nécessairement une chose. [...] C'est une chose dont on s'éprend sans raison, sans besoin. C'est une fidélité silencieuse à ce qui passe et demeure.
p. 57
La part manquante
Le couple finit avec l'enfant premier venu. Le couple des amants, la légende du cœur unique.