Ce n'est pas tant la quantité, mais la qualité qui compte.
Ce lieu commun, il m'est venu immédiatement à l'esprit après avoir lu ce très court récit d'un de mes auteurs préférés,
Mikhaïl Boulgakov, lecture faisant suite à la très longue, trop longue, biographie de
Kessel et
Druon, Les partisans.
Récit de
Boulgakov tiré de son recueil de nouvelles
La garde blanche.
En une quarantaine de pages, le drame de l'addiction à la drogue.
Probablement une histoire tirée de l'expérience personnelle de
Boulgakov, qui connut une période de morphinomanie.
On ne peut être qu'impressionné par la capacité de l'auteur à mettre à distance par la fiction cette expérience terrible, et d'en tirer un récit saisissant, si bien construit. Tout le génie de
Boulgakov dans ce diamant noir.
Le narrateur, le Docteur Bomgard, un jeune médecin, est très content d'avoir pu quitter son lieu d'exercice où il a exercé pendant plusieurs mois dans un village isolé du monde, et d'y avoir été remplacé par un collègue qu'il a connu durant ses études, le Docteur Poliakov.
Il est maintenant dans une grande ville, dans un hôpital dont il se plaît à décrire tous les équipements et toutes les facilités d'exercer son métier.
Ayant reçu un message étrange de Poliakov, qui lui demande venir à son aide, car il est atteint d'un mal mystérieux, il met du temps à se mettre en route pour, arrivé sur les lieux, apprendre brutalement que Poliakov vient de se tirer une balle dans la poitrine.
A côté de son collègue mourant, il découvre un cahier qui lui est destiné.
C'est le journal de Poliakov, qui décrit dans le détail sa descente aux enfers. C'est précis, réaliste, poignant, terrible. Tous les sentiments, l'euphorie, la lâcheté, l'impossibilité de suivre un traitement de désintoxication à l'hôpital où il a tenté de faire une cure, les hallucinations, la déchéance physique, tout cela raconté dans un style haché, frénétique.
C'est absolument bouleversant.
L'épilogue de la nouvelle, une simple page.
Le Docteur Bomgard, dix ans plus tard, relit le journal de Poliakov.
Suit cette réflexion, qui est probablement celle de l'auteur, à propos de ces pages :
« Je ne suis pas psychiatre, et ne puis dire avec certitude si elles seront édifiantes, utiles..Je les crois utiles. »
Et, un peu plus loin, les dernières lignes « signées » dont on sent la tonalité cathartique (on comprend qu'on peut y remplacer Bomgard par
Boulgakov):
«Puis-je publier ce journal qui m'a été donné? Je peux. Je le publie.
Docteur Bomgard »
A vrai dire, je ne sais s'il y a d'autres récits dans lesquels la narratrice ou le narrateur ra
conte son expérience de la drogue, je suppose qu'il y en a, mais je n'ai pas de point de comparaison.
Néanmoins, ici, c'est la transformation d'une expérience terrible en un bijou littéraire.
La littérature c'est cela aussi, je crois.