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Mark L'vovic Slonim (Traducteur)
EAN : 9782356310590
199 pages
Editions de l'OEuvre (18/03/2010)
4.25/5   4 notes
Résumé :

Y a-t-il jamais eu écrivain plus tourmente que Léon Tolstoï ? Légende vivante, génie universellement acclamé, il fut aussi apôtre du progrès social et chantre de la non-violence. Son imposant oeuvre littéraire porte la marque d'une recherche effrénée de la vérité que Tolstoï poursuivra jusqu'à la fin. Homme de contradiction, obsédé parla mort, il s'abîme dans une qu&... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Les livres ont aussi leur vie propre dont on parle peu à vrai dire. La Délivrance de Tolstoï d'Ivan Bounine publié en 1939 dans la collection blanche de Gallimard traduit par Marc Slonim, juste avant la guerre donc, repris ensuite par les éditions Oeuvre qui nous est peut-être plus familière avec sa couverture sur fond noir où l'on voit la figure légendaire du patriarche, du prophète, du penseur, comme on voudra, barbe chantilly au vent dans sa tenue non moins légendaire de moujik que Tolstoï portait régulièrement depuis en gros après Anna Karénine, c'est en tout cas comme ça que Bounine l'a vu et rencontré, son aîné de 42 ans, au tournant du siècle, l'écrivain vieillissant est alors l'écrivain le plus célèbre au monde depuis en particulier son immense succès aux Etats-Unis où furent publiés tour à tour Guerre et paix, Anna Karénine, les Cosaques. La Délivrance de Tolstoï dans les éditions françaises est épuisé, on se demande bien pourquoi, car c'est un livre remarquable à plusieurs titres. Ce serait bien par exemple que les éditions des Syrtes de Genève le publient elles qui ont entrepris de nos jours de publier les oeuvres de l'auteur russe.

Ce livre est remarquable à plusieurs titres car Bounine est un écrivain connu pour la qualité de son style. Il nous donne son point de vue sincère et singulier sur son génial aîné dont il fut le disciple, c'est donc d'abord le témoignage d'un homme et d'un artiste qui l'a connu dans les années 90, Tolstoï a connu son père en Crimée. L'approche de Bounine à son égard est détonante, car il procède par un essai de biographie psychologique, ce n'est pas la plus facile. Il ne part pas à l'aventure dans un délire anarchique, ni dans une forme chronologique de journaliste, il raconte comme il en a envie, tous les souvenirs sont bien dans sa tête ainsi que l'analyse et il déroule ainsi son affaire de manière informelle, libre, totalement libre, avec la flamme de la passion qui le guide. Il va passer en revue des fulgurances nées de sa relation avec Tolstoï et bien sûr du fruit de ses lectures. Il y formule aussi quelques regrets comme celui d'avoir cultivé une amitié avec son maître à sens unique, ce dernier semblant se préoccuper peu voir pas de son cadet. Il faut dire que Tolstoï était vieux alors, connu comme le loup blanc, et que les sollicitations de part et d'autre du monde entier affluaient. Mais il souligne surtout dans son livre son admiration sans bornes pour l'écrivain qu'il voulait être, en se défendant bien d'exercer une adulation sotte, car Bounine étant conscient qu'il ne pourrait rivaliser avec le dieu vivant russe va s'inscrire dans son sillage tout en cultivant sa différence. Son égo fort le pousse à rencontrer son pair, ses intentions sont claires, devenir écrivain, un artiste. le garçon est plutôt introverti. Voici quelques passages sur les conditions de sa rencontre :
"Tout jeune, je rêvais de rencontrer Tolstoï .. Mon père qui avait dans sa jeunesse pris part à la défense de Sébastopol, disait parfois : "Oui j'ai connu Tolstoï pendant la campagne de Crimée..". Je regardais mon père avec admiration : il avait vu Tolstoï... Dans ma première jeunesse, j'avais une passion pour Tolstoï, pour l'image que je m'étais créée à moi-même et que j'aspirais à rencontrer dans la réalité. C'était un rêve qui me tourmentait incessamment, Mais comment le réaliser ? .. Un beau jour d'été, ce fut plus fort que moi, je pris la résolution soudaine de seller mon cheval kirghise, et je me mis en route à travers les champs, le long des sillons, par les chemins de traverse dans la direction de Efremov et de Iasnaïa Poliana qui était à une centaine de verstes de notre propriété. Mais arrivé à Efremov, j'eus peur.. Je réfléchis encore un peu, et je revins tout penaud chercher mon cheval à l'auberge. Je repris au petit trot le chemin du retour."
Pour s'approcher de son Maître, il se fit tolstoïen. Et plus tard, partie remise, mais à Moscou, Bounine rencontra Tolstoï, il a pris rendez-vous. " J'entends mon coeur qui bat de joie sans doute mais aussi à cause de cette pensée terrible : ne ferais-je pas mieux de contempler cette maison et de m'enfuir ? Je prends mon courage à deux mains .. "
Puis il le revit encore, Maître et serviteur venait de paraître... Et dix ans plus tard pour la dernière fois, il le rencontra par hasard un soir d'hiver, rue Arbat à Moscou, la rue célèbre des artistes, par un froid de canard. Tolstoï lui demanda s'il écrivait :
"- Non, je n'écris presque rien, Lev Nicolaïevitch. Et tout ce que j'ai écrit autrefois me paraît si insignifiant que je préfère ne plus y penser.
- Mais oui, répondit-il avec vivacité, je le connais bien , ce sentiment-là.
- Et puis, je ne sais pas sur quoi écrire, ajoutai-je.
Il me jeta un regard indécis, puis comme se souvenant de quelque chose :
-Comment cela ? Si vous ne savez pas sur quoi écrire, écrivez que vous ne savez pas sur quoi écrire et pourquoi . Cherchez quelle est la raison de cette absence de sujets et décrivez-là. Oui, oui, essayez-vous à cela, dit-il avec fermeté.
Je le voyais pour la dernière fois. Combien de fois par la suite, ne me suis-pas dit qu'il fallait le voir encore ; qu'à chaque instant son grand âge risquait de nous séparer définitivement. Et cependant je ne me décidais jamais à arranger un nouvel entretien. Je pensais toujours qu'en somme il n'avait pas besoin de moi .."

On connaît la suite ..

Bounine a réussi pleinement son affaire : La Délivrance de Tolstoï, parce qu'il a eu une vue transversale des choses et pas du tout chronologique ou thématique. C'est ce qu'il y a de plus dur à faire, et aussi de plus intéressant à lire, car on va au meilleur avec son coeur et ses envies, à condition encore de maitriser ce dont on traite, mais pour cela Bounine n'eut pas de souci : il admirait Tolstoï, son aîné de 2 générations, il l'avait pour modèle . de plus amour et amitié planaient sur la relation : Tolstoï avait rencontré le père de Bounine à la guerre. Et comme la plume de ce dernier et son style étaient absolument remarquables, tous les ingrédients étaient là pour réussir son essai.

Stefan Zweig bricolait un peu comme ça aussi. C'est une des raisons pour lesquelles il a pu écrire avec brio son Souvenirs d'Europe ..
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Toute sa vie Tolstoï se posa des questions pas seulement sur l'idée de Dieu, mais aussi sur la vie, l'existence, la mort, l'amour, et cela depuis sa plus jeune enfance en commençant par «Qui es-tu ? Qu'es-tu ? ».
Il s'est intéressé à différentes époques de sa vie à la philosophie, les sciences naturelles, la théologie, l'esthétique, la pédagogie et il se plongeait dans ses recherches afin de maîtriser le sujet, il se disait ignorant !!!
L'auteur était un contemporain de Tolstoï ce qui lui a permis de le rencontrer, un grand admirateur et cela se ressent beaucoup dans le livre, (ce qui pour moi ne me dérange absolument pas étant aussi une grande admiratrice), il montre et démontre chaque fait énoncé sur un thème précis, en fait l'analyse ce qui nous permet de nous faire notre propre idée. En fait, on entre dans le combat des idées de Tolstoï celles qui l'ont tourmenté toute sa vie.
Ce qui j'ai aussi apprécié ce sont les témoignages de son entourage, Sophie bien sûr, ses enfants, les écrivains, Mlle C. Lopatina, cela permet de s'imaginer Tolstoï vivant.
Bounine n'épargne personne quand il s'agit de défendre le grand écrivain, par exemple Gorki racontant ses souvenirs sur Tolstoï, qui selon l'auteur « sont à chaque page absolument faux et mensongers », il dit de Cinelli « qu'il répète mot à mot des jugements erronés et méchants qui alimentent aujourd'hui encore cette espèce d'hostilité é et même de haine qu'éprouvent pour Tolstoï aujourd'hui encore, un grand nombre de personnes. »
Bounine est un grand défenseur de Tolstoï, à découvrir, cette lecture est un vrai régal.
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Citations et extraits (5) Ajouter une citation
L'antique sagesse hindoue enseigne que l'homme doit passer dans sa vie par deux chemins, celui du Départ et celui du Retour.
Sur le premier, l'homme ne sent que sa "forme", son existence périssable et matérielle, son "moi" séparé du reste du monde ; il est restreint aux limites de sa personnalité qui ne porte en soi qu'une parcelle de la Vie Universelle ; il est mû par l'intérêt personnel ; puis cet intérêt s'étend non plus à lui-même, mais à la vie de sa famille, de sa tribu, de son peuple, et sa conscience se développe, il a honte du profit personnel, bien qu'il soit encore possédé par le désir de "s'emparer" (pour lui-même, pour sa famille, pour son peuple).

Sur le chemin du Retour, les frontières entre son égoïsme et ses aspirations altruistes s'effacent , le désir de "prendre" disparaît et à sa place se développe de plus en plus le désir de "rendre" ce qui a été pris à la nature, aux hommes, au monde. Ainsi commence l'existence spirituelle de l'homme dans la fusion de sa vie avec celle de l'Univers.
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Un peu de précision sur l'attachement de Bounine à Tolstoï qui n'est pas le fruit du hasard

Léon Tolstoï est un des thèmes de la vie et de l'oeuvre de Bounine.
Lecteur passionné de Tolstoï depuis sa jeunesse jusqu'à ses derniers jours Bounine ne compte plus le nombre de fois qu'il a pu relire les grands romans Guerre et paix, Anna Karénine ; en octobre 1933, il relit Résurrection pour la dixième fois. Son admiration porte aussi sur les nouvelles ou récits : Bonheur conjugal, le Père serge, Kholstomer, ainsi que sur le journal. Il n'y a guère que Qu'est-ce que l'art ? qui suscite quelques réticences.

Tolstoï est entré dans la vie de Bounine comme un membre de la famille : le père de Bounine a rencontré Léon Tolstoï pendant la guerre de Crimée et parle souvent du grand écrivain à son fils. De 1894 à 1898, par amour pour l'écrivain Tolstoï, Bounine est allé au peuple, a travaillé chez un tonnelier, a vendu des brochures tolstoïennes et a même connu le "plaisir" de se faire arrêter. Paradoxalement, c'est la première rencontre avec Tolstoï qui va mettre fin à ce beau zèle. Ce jour là, auprès du grand aimé, Bounine se sent justifié, investi comme écrivain et non comme militant ; il reçoit le baptême de l'écriture. La dernière rencontre de Tolstoï et de Bounine à Moscou met en scène deux écrivains, l'un accompli, l'autre disciple :

"je ne saurais dire l'année où je l'ai vu dans la rue Arbat à Moscou, un soir d'hiver.
Je ne me rappelle pas non plus tout ce qu'il m'a dit, mais je me souviens qu'il m'a demandé si j'écrivais.
-Non, lui répondis-je, je n'écris presque rien. et tout ce que j'ai écrit autrefois me paraît si insignifiant que je préfère ne plus y penser.
- Mais oui, répondit-il avec vivacité, je le connais bien ce sentiment là.
- Et puis je ne sais pas sur quoi écrire, ajoutai-je.
Il me jeta un regard indécis puis, comme se souvenant de quelque chose :
- Comment cela ? Si vous ne savez pas sur quoi écrire, écrivez que vous ne savez pas sur quoi écrire et pourquoi. Cherchez quelle est la raison de cette absence de sujet et décrivez-là. Oui, oui, essayez-vous à cela, dit-il avec fermeté.

Ainsi, l'écrivain Bounine naît dans l'ombre du Maître Tolstoï. Mais ce n'est pas avant 1917 que Bounine rend un hommage vibrant et original à "son grand homme" dans son ouvrage La Délivrance de Tolstoï -tentative de définition du génie tolstoïen.
Texte de Claire Hauchard
Institut national des langues et civilisations orientales

(...) Bounine ajoute ceci qui me paraît intéressant :
"Au point de vue de la "vérité", le style de Tolstoï est tout à fait extraordinaire et unique dans la littérature russe; Il est entièrement dépouillé de tout embellissement littéraire, de tout procédé, de toute convention ; il surprend par sa hardiesse, sa liberté et sa précision ; chaque mot est toujours de rigueur".

Je ne sais pas si on peut dire que le style de Tolstoï est entièrement dépouillé de tout embellissement littéraire, il y a tout de même beaucoup de poésie, dépouillé de toute emphase, toute boursouflure, d'excès métaphorique, c'est sûr. Dépouillé de toute convention : son style est épique, presque biblique.
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Un éclairage de Jeanne Gucker, professeur à l'université de Nancy II.

"La libération de Tolstoï" échappe à la classification traditionnelle des genres littéraires. Ni analyse critique de l'oeuvre de Tolstoï, ni mémoires personnels de Bounine et de ses contemporains, ni journal ; c'est à la fois un peu tout cela et surtout, une lecture "amoureuse" de Tolstoï. Il est probable d'ailleurs que cette forme libre de l'oeuvre soit la plus apte à rendre la complexité et les contradictions de Tolstoï. Bounine ne cesse d'insister sur cet aspect du caractère de celui que l'on s'est le plus souvent efforcé de cataloguer de façon arbitraire et réductrice. Il répète encore et encore les affirmations de Ilyia Lvovitch, son ami, disant de son père "qu'on ne pouvait jamais le comprendre jusqu'au bout (...), qu'il fallait toujours le comprendre de manière très complexe (...), qu'il changeait d'idées comme de chemises." ; celles de Ekaterina Lopatina disant "qu'il porte en lui cent personnes différentes". Il s'élève contre l'opposition simplificatrice d'un Tolstoï "voyant de la chair " et d'un Dostoïevski "voyant de l'esprit", développée par Merejkovski ; ou celle d'un Cinelli, jugeant Tolstoï à l'aune de Saint François d'Assise, pour en donner l'image contraire. Bounine s'efforce de faire table rase des clichés ..

Oui c'est très juste tout ça et bien dit ..
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-Veux-tu dire comme tout le monde qu'il était changeant, instable ?
- Ce n'est pas cela ; je veux dire qu'on n'a pas su bien le comprendre. En somme, il a toujours été le même et n'a pas changé. A lui seul, il était composé de Natacha Rostova, d'Erochka, du prince André, de Pierre, du vieux . Volkonsky, de Karataïev, de la princesse Marie et du cheval Kholstomère. Sais-tu ce que Tourgueniev a dit après avoir lu Kholstomère ? "Lev Nikolaïevitch, à présent, je suis tout à fait convaincu que vous avez été un cheval ". Bref, pour le comprendre, il fallait toujours tenir compte de son extrême complexité.

(Ilya Lvovitch fils de Tolstoï était devenu l'ami de Bounine)
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Non seulement l'espace, le temps et la causalité sont les formes de notre connaissance, tandis que le sens de la vie se trouve en dehors d'elles.
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