Quand j'ai déballé ce livre de son enveloppe, je me suis dit qu'il serait mon préféré d'entre tous. Tout m'y portait. D'abord, c'était l'occasion de saluer le remarquable et patient travail de
Gérard Fabre qui propose de si beaux livres – et ces Montagnes du soir sont du bel ouvrage : les reproductions des huiles de
Bruno Danjoux se prêtent bien au papier, la main est agréable, la typographie et la mise en page sont sobres et claires. Ensuite, j'étais heureux de retrouver
Lionel Bourg dont j'ai déjà lu bien des livres et auquel je dois l'une de mes premières petite publication. Mes a priori me portaient vers ce livre et rien ne semblait devoir le remettre en cause – si ce n'est que je connaissais déjà l'auteur, ce qui est finalement frustrant : on préfèrerait s'enthousiasmer pour une découverte.
Autant le reconnaître, j'aime
Lionel Bourg. J'aime ce style assez à part, les sonorités de ses grandes phrases à nulle autre pareille, j'aime sa révérence pour les mots rares et précieux. Bien sûr, on peut dire qu'il est parfois pompeux, trop dense, confus, verbeux, qu'à d'autre moment, il a des emportements désuets… Oui, souvent on peut dire qu'il en fait trop. Il n'en reste pas moins que
Lionel Bourg a une langue, un style, une force qui ne laisse pas indifférent
On peut également regretter que ses livres soient plus des pérégrinations, des ballades poétiques, des feuillets plus proches de la poésie que du « Livre » - pour autant que cela veuille dire quelque chose. On ne trouvera pas entre ses pages « d'histoire », qui se déroulerait du début à la fin – c'est d'ailleurs dommage, si je peux me permettre, Lionel en conteur d'histoire devrait être merveilleux ;-). Nous sommes incontestablement dans des carnets, dans le work in progress que constitue son oeuvre, où les Montagnes du soir ne sont certainement qu'une étape de plus, même si la sensibilité y affleure toujours un peu plus vive. Lionel s'y dévoile certainement un peu plus que dans d'autres de ses livres (au moins dans la troisième partie) – et ce n'est pas pour ne pas nous toucher un peu plus.
Peut-être que ce n'est ni un livre essentiel, ni un livre majeur pour le lecteur : juste un monologue, un bavardage, la marque du besoin vital de jouer sa musique. Car il y a cette musique, cet amour incommensurable des mots : « Il y a de l'équarrissage dans la manière dont les vallons dénudent leurs courtes et oblongues falaises. » Bien sûr, il y a des « enflures », du verbiages, des encombrements de vocabulaire, des dérisions adolescentes, des critiques à la petite semaine et des couples nostalgico-littéraires un peu agaçant.
Pourtant, j'avoue, je passais sur tout cela… Car comme le dit Escarbille bis : « l'écriture de
Lionel Bourg n'est pas facile à accepter, elle prend à la gorge car elle dégorge quelque chose de plus qu'un sanglot. »
Mais voilà. Il y a eu l'analyse de Tophiv : http://www.zazieweb.fr/site/fichelivre.php?num=6717#Message46883
D'un coup, celle-ci noircit tout l'ouvrage. C'était comme s'il avait été violemment caviardé. C'était comme si ma naïveté était tombée. La fraîcheur était partie. Je buttais sur chaque phrase. La musique n'était plus là. Je ne l'entendais plus. Je ne faisais plus que chercher les pièges, les phrases bancales. Je boitais à la lecture des pages, mes pieds s'enfonçant dans la moindre ornière. D'un coup
Lionel Bourg m'apparaissait aussi nu qu'une rédaction relue par un professeur exigeant. J'en étais le premier malheureux.
Pendant longtemps, je ne suis plus arrivé à lire ce texte. Depuis, cahin-caha, je reprends mes marques. En feuilletant le livre, j'arrive enfin à nouveau à y entrer. La musique est encore un peu dissonante, mais le charme de la mélodie recommence à transparaître. Je ne sais pas si je m'en remettrais. Tophiv a laissé une marque indélébile. Je relirais
Lionel Bourg. On ne quitte pas comme ça ceux qu'on aime. Il restera certainement dans mon panthéon d'auteurs d'aujourd'hui. Mais une blessure s'est ouverte, comme un regret, comme une petite trahison qu'on ne parvient jamais à oublier. J'en serais toujours le premier malheureux.
Donc j'aime ce texte oui. Mais plus autant qu'au début de cette aventure. J'en suis toujours le premier malheureux.