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EAN : 9782371771895
41 pages
publie.net (07/03/2018)
4.5/5   4 notes
Résumé :
C'est une illusion, rien de cela n'existe, rien de ces lieux, ces gens, ces histoires n'est réel dans le fond, c'est un château de cartes qu'on a trouvé sur le bord d'une route... Au prétexte d'un trajet en voiture pour retrouver le village familial, Daniel Bourrion réécrit la rêverie qui l'anime à mesure qu'elle se présente à lui : le long de la vitre, comme un décor en formation, en mouvement. Le roman des souvenirs se met alors en marche. Terrains, territoires... >Voir plus
Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Une route de la mémoire sortant pas à pas de l'ordinaire par le jeu d'une langue de rare transmutation poétique, discrète et affûtée.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2023/04/10/note-de-lecture-lieux-daniel-bourrion/

Un trajet en voiture pour un retour occasionnel au village d'enfance et de jeunesse, pour une occasion qui sera précisée (ou habilement tenue dans un certain flou – une équivoque des possibles) le moment venu : voici l'opportunité d'une rêverie s'appuyant d'abord sur le paysage, sur ses banalités même, pour y broder autre chose, comme l'anticipation d'une nouvelle arrivée qui fusionnerait des significations passées et en élaborerait d'autres, porteuses de délicats mélanges d'espoirs et de résignations, de reconnaissances et d'absolutions. Ce songe d'un narrateur qui est peut-être un conducteur – mais pourquoi pas un simple passager ? – oscille entre orientation méticuleuse et abandon au hasard, hésite entre projet subtilement agencé et dérive pleinement assumée. Ce songe tient par sa langue, révélateur et fixateur photographique de ce qui a eu lieu – en ces lieux, précisément – comme de ce qui aurait pu y trouver place.

C'est bien à une puissante expérience de la mémoire, de ses déclencheurs et de ses carburants – mais pas uniquement à cela, loin s'en faut – que nous convie ici Daniel Bourrion. Davantage qu'avec des madeleines ou des pavés disjoints proustiens, c'est plutôt avec les volutes, spirales et cercles brisés de Claude Simon (mentionné à fort bon droit en quatrième de couverture) que résonne ce « Lieux », publié en 2018 chez publie.net.

Quinzième texte publié de l'auteur (depuis sa « Paupière à la fenêtre » de 1998), par ailleurs conservateur des bibliothèques et responsable numérique à l'Université d'Angers, il nous saisit d'emblée, en puissance, par sa manière si singulière de faire vivre en parallèle le souvenir et la création, la collecte de réel et l'alternative inventive – dans le mouchoir de poche d'une boîte à gants et d'un pare-brise, transformant une route ordinaire et un village de destination banal en lieux de toutes les aventures, de tous les dangers et de toutes les réécritures potentielles.

Pour jouer ainsi avec la mémoire et transformer l'anodin éventuel en terreau fertile d'un imaginaire ramifié, Daniel Bourrion met en oeuvre une véritable syntaxe de la défamiliarisation. Bien différemment du Maurice Pons des « Saisons », plus directement fantastique, et finalement plus en connivence avec le Jérôme Lafargue de « L'ami Butler » ou l'Hélène Gaudy de « Grands lieux » (justement), il transfigure routes, maisons, étangs, paysages et personnes par un jeu langagier intense, où l'ordre habituel se tord et s'inverse discrètement, accumule les voltes et crée au passage, au coeur de ce village du souvenir un trou noir à la capacité d'absorption lumineuse par nature phénoménale. Mais là où un Benjamin Planchon, dans son « Domaine des Douves », sur un trajet routier similaire de retour au village et à la demeure de famille, mobilisait un imaginaire trafiqué à partir de Jérôme Bosch pour introduire en nous le doute salvateur, Daniel Bourrion manipule dans le même but et avec un extrême brio l'ordinaire apparent de celui d'un Brueghel l'Ancien. Et c'est bien ainsi aussi que la littérature et la poésie nous sortent de nous-mêmes et nous enchantent, encore.
Lien : https://charybde2.wordpress...
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Citations et extraits (4) Ajouter une citation
Les tablées sont immenses, elles sont encore ce qu’on a trouvé de mieux pour lutter contre la faux dehors dedans, lui opposer une masse qu’elle mettra plus de temps à réduire, lui donner à couper non pas deux jambes mais des centaines, ça n’arrêtera rien mais ça ralentira, on va dire ça, on aligne des visages le long des assiettes, de leurs couverts, ça parle et puis ça hurle mais c’est seulement parler un peu plus fort que le voisin et puis le vin a réchauffé le dehors comme le dedans pendant que la buée prenait son temps pour repeindre le monde de l’autre côté des fenêtres immenses de gris, on ne voit plus que les halos que font les réverbères, les ombres que sont les fumeurs, il y a toujours des chaises vides même quand tout le monde est assis et que ça commence, on a compté trop large, on attendait peut-être ceux qui ne viendront plus, on a essayé de les attirer, de faire comme si, les chaises resteront vides et même si l’un ou l’une des invités se pose dessus quelques minutes après quand le chambardement des discussions aura commencé elles resteront des chaises vides, on le sait bien, elles servent à ça, marquer dans les lignes qu’on fait les traces de ceux tombés, c’est un combat, c’est grande bataille, on connaît ça, on ne gagne jamais mais on se bat, les plats arrivent, il faut manger, personne ne lutte le ventre creux, les serviettes finiront froissées toutes découpées en minuscules confettis par quelques mains nerveuses, parfois ce sont des miettes de pain aussi, parfois il n’y a rien que l’assiette récurée le verre vidée les couverts croisés, la nourriture qui restera ne se jette pas, elle terminera dans ces grands seaux et puis plus tard dans les cochons qu’on mangera une autre fois, mouvement perpétuel, on lavera demain la salle dévastée, allons dormir il est bien tard, là-bas déjà cette ligne blanche c’est l’aube lasse très en retard.
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Du bois avant qui meurt donc dans l’étang, s’y mire tel un malade amant, on peut dire encore qu’on y trouve une poignée de maisons en ruines dont les murs effondrés, les briques mangées, font un mystère hantant qu’on entrevoit de la route entre les fûts et leur parade. Il arrive que des promenades dominicales, des errances de mercredi aussi, y mènent. On approche, la conversation faite jusque-là de rires, d’éclats de voix, de ces petites bousculades d’enfants servant à s’éprouver, à voir si l’autre existe bien, est là en réalité avec nous, se calme, diminue son volume sans que rien, vraiment, ne l’explique. Peu à peu, sans y prendre garde, on ne le remarquera qu’en repartant, quand on reviendra à la normale, on se met à chuchoter et dans l’oppressante immobilité des hêtres bientôt il n’y a plus que les craquements mous des branches mortes pourries dessous les pas, le bruit plus fort qui suit l’enfoncement dans l’un des trous cachés dessous, on s’en sort bien, jamais une seule cheville foulée, c’est étonnant, on entre maintenant et c’est parfois de quelques marches qu’il faut monter, escaliers morts, nulle rambarde, c’est un vertige, il n’y a plus de toits. Les fenêtres découpent dans le gris rouge des cloisons des yeux aveugles ou presque qui clignent comme le vent à peine de l’autre côté fait remuer de surprenantes branches vertes. Dans les recoins, des amas de gravats achèvent de fondre. On ne sait pas ce que c’était, on préfère ne pas traîner, on s’éloigne finalement rapidement, retrouvant à quelques mètres un chemin qui va tout droit déboucher sur le ban sans doute d’un autre village et pour cela on ne le suivra pas, ailleurs n’est pas ici, ce ne sont vraiment pas endroits pour nous. Derrière, comme on s’éloigne, les maisons mortes qu’on abandonne restent debout et dignes, ne racontent rien, ne cèdent pas. On imagine.
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La conversation a repris quelques minutes avant de s’éteindre comme on passait la forêt qui est verrou sur la vallée qui vient. Ensuite, l’horizon jusqu’alors un peu bouché d’arbres rugueux à force de vents, de bruines, de pluies à rideaux de dentelle, de gels à faire tomber le ciel dans des fracas courant au fond des bois, se dégage légèrement, va en s’élargissant : c’est à chaque fois l’image d’une grosse bête s’étirant qui émerge et qu’on laisse venir puisqu’on sait bien que la repousser ne sert à rien, ne fera rien naître d’autre que la même toujours qui pousse du museau et fait bien ce qu’elle veut. La route est à présent plate et quasi droite nonobstant un déhanchement qu’elle ne retient même pas pendant qu’on passe un étang puis un autre et le troisième ensuite, lui le plus vieux dissimulé comme il le peut derrière ses haies déplumées puisque le temps passe dessus sans jamais se lasser. Là-bas, un arbre seul cache un calvaire de pierres blanches dont la croix usée penche de toutes parts – des voitures viennent régulièrement le pousser de leur nez, c’est la ligne droite qui rend les conducteurs imprudents, il n’y a jamais eu de mémoire d’homme que de la tôle froissée et beaucoup plus de peur que de mal mis à part donc le calvaire que chaque choc délabre un peu plus et fait ressembler de loin à un bonhomme tordu par la dérive de son âge. Des chemins débouchent de toutes parts qui arrivent de nulle part, y amènent tout de même quand une promenade les prend sans trop savoir pourquoi. Un ruisseau vient aussi qu’on n’a pas vu surgir, longeant le gravier sans faire plus de bruit que cela. Il pleut des cordes toujours et c’est un tissu droit, les nuages sont d’un mercure casqué de noir avalant chaque regard d’un unique coup de glotte.
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Il n’est aucune raison de passer par ici, les routes autour plus droites et larges permettant à présent où qu’on aille d’y être rendu sûrement plus vite. Pour aller là, on ne peut être que quelque touriste égaré, tant rares que cela n’arrive pas ou si peu que tout le monde est vite au courant, en parlera un moment, l’événement constituant de quoi largement soutenir quelque conversation de comptoir, d’entre voisinage ; soit donc être d’ici, il faudrait dire de là, et y rentrer, rentrer chez soi le plus simplement du monde, une fois la journée de travail mangée ou, aussi et de plus en plus avec le mouvement qui a conduit à la désertification des campagnes, parce que l’on revient pour les vacances, à l’occasion de quelque occasion justement dont le calendrier est empli à bords ras, fête familiale, mariage, enterrement, moments dont on ne sait que dire sinon qu’ils conduisent à d’ailleurs venir, attraper un train dans la gare de verre où courent voyageurs et pressé de même un vent coulis, traverser le pays de part en part aussi facilement que si l’on se contentait d’aller dans la rue d’à côté, arriver dans l’autre gare curieusement posée au milieu du nulle part immense entre deux villes voisines se détestant, attendre l’auto de qui s’est dévoué, suivre donc l’une des nationales qu’on quittera un peu plus tard en bifurquant après la petite ville qui est comme toutes les villes de même mourante et enfin arriver quand on commençait à se dire que décidément ça n’en finissait pas cette route, ce tortillement, ces virages derrière lesquels sont d’autre virages, finalement, arriver là.
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