Citations sur Le Chemin des âmes (173)
La folie, c' est d' abord de nous envoyer aux tranchées. La folie, c' est de nous apprendre à tuer ; c' est de récompenser ceux qui le font bien.(p361)
Les feux ne sont pas autorisés si près du front. Dans l'obscurité, je commence à entrevoir des silhouettes : des tentes, des hommes couchés dans des couvertures, ou bien assis par petits groupes, se parlant à voix basse. Ils ne font pas attention à nous ; on croirait que nous sommes des fantômes qui passent parmi eux, et c'est dans cette obscurité, avec ces ombres qui leur mangent la figure, leur regard fixe derrière le rougeoiement des cigarettes, que je comprends qu'ils sont, ces hommes, les vétérans des terribles combats de l'année dernière ; que ce sont eux, les fantômes.
Chacun se bat sur deux fronts à la fois, l’un contre l’ennemi, l’autre contre ce que nous faisons à l’ennemi.
Tu voyais que la vie tout entière est comprise dans le cercle; et qu'on revient toujours , d'une façon ou d'une autre, aux lieux où l'on est déjà passé.
Et je pense à mon père : il y a quelque chose de lui dans ces lumières, ce grand pouls lent et régulier. Il était là tout du long, mon père ; il ne m'a jamais vraiment quittée. Il m'aura fallu toutes ces années pour le comprendre.
Pourtant, je ne bouge pas. Je contemple l'ennemi pour la première fois. Il n'a pas de visage : rien qu'une ligne de monticule, derrière un réseau de barbelés. J'entends la balle miauler à ma tempe avant même que le clac d'un fusil retentisse, tout autour de moi le sol crache des éclats de boue et de poussière, il y a un choc contre ma main qui s'engourdit, d'autres balles sifflent tout près. Je plonge alors dans la tranchée comme une loutre effrayée et, avant d'avoir compris ce qui m'arrive, je dégringole le long du parapet pour m'étaler de tout mon long au pied des autres, le souffle coupé.
Leur dieu est un manitou guerrier, je pense, même si leurs chamans en parlent autrement : eux parlent de pardon, de vierges et d'enfants. Pourtant je crois que leur dieu est un guerrier, puisque c'est lui qu'ils invoquent avant de monter là-haut. Je ne comprendrais jamais ce dieu-là, ces gens-là.
Il peut voler loin de son corps à sa guise ; contempler le monde au-dessous, ce monde créé par l'homme, et voir malgré tout la beauté qu'il recèle. Il devient le chasseur dans ces moments-là, l'invincible chasseur qui peut rester des heures immobile, ne bougeant que pour s'emplir à nouveau de morphine, scrutant l'ennemi sans cesse avec les yeux du busard.
Je tâche d'écarter cette pensée, la peur d'arriver là où nous n'étions jamais allés, mais elle continue de me tourmenter, comme une sale gosse qui nous lancerait des pierres depuis la rive.
Dans la lumière qui décline, j'entrevois près de moi un sourire grimaçant, celui d'un soldat mort depuis longtemps, mais je n'arrive pas à savoir de quel camp. Ses traits sont crispés dans le ricanement perpétuel de celui qui en sait long.