Citations sur Le Chemin des âmes (173)
Voici où m'a conduit ma vie. Cela m'apparait aussi clairement que si j'avais suivi un sentier bien tracé, commençant aux rivières qui coulent chez moi, dans le nord, pour traverser tout ce pays qu'on appelle Canada, pour arriver à l'océan, que l'océan se soit ouvert devant moi, comme dans cette vieille histoire de Biblique les bonnes soeurs m'ont forcé à retenir quand j'étais petit, pour me mener ici, précisément, dans ce lieu étrange où confluent et explosent tous les malheurs du monde.
La pluie bat sur le sable autour de moi, ce soir, la pluie imprègre peu à peu la laine de cet uniforme que je n'ai pas quitté, et il monte une odeur animale qui me ramène aux champs de bataille. Je ne veux plus y retourner.
"Il y a tellement de morts enterrés là-bas que si les arbres repoussent, les branches porteront des crânes. " L'idée me fait rire ; rire me fait mal. "J'ai déjà vu cela. Un jour, on a laissé un champ couvert de nos morts. Quand nous sommes repassés quelques mois plus tard, le champ était couvert de fleurs plus rouges que le sang. Il en poussait partout. Jusque sur les cadavres."
Le seul spectacle qui ne soit pas décourageant, en cet endroit, se trouve dans le ciel. Malgré le naufrage du monde au-dessous, les oiseaux continuent de voler comme si de rien n’était.
Le seul talent des Crees qui puisse rivaliser avec leur science de la chasse , c'est leur passion des commérages .
Ce que mon père avait fait durant l'hiver avait, semble-t-il, beaucoup contrarié les gens de la Compagnie de le Baie d'Hudson.
Ils le sommaient de venir le voir, pour s'expliquer sur ses agissements, afin que l'on décide s'il fallait ou non, le considérer comme un meurtrier.
Cela nous fit rire. N'étaient-ce pas les wemistikoshiw qui se trouvaient sur nos terres ? N'étaient-ce pas eux qui dépendaient de nous ?
Nous regardions les yeux de notre mère, au milieu de sa face hâlée, se plisser dans un rire; regardions notre père lui répondre d'un sourire. Il était le dernier grand conteur de notre clan. Mon père contait à voix basse : il fallait venir tout près pour entendre, si près que l'on sentait, dans ses cheveux, l'odeur fumée des lacets avec lesquels ma mère lui nouait ses nattes; L'odeur de son cou était comme le vent qui souffle au large de la Grande Baie Salée. Moi, j'imaginais qu'il tressait des histoires tout l'été, formant avec ses mots d'invisibles filets qu'il jetterait sur nous les longues nuits d'hiver, pour nous attraper, nous rassembler au fond de sa nasse, où l'on se tiendrait chaud. Et parfois, il n'y avait que ses histoires pour nous rattacher à la vie.
Pour la première fois, tu voyais le cercle: tu n'aurais su le dire avec des mots, mais tu comprenais les saisons, le tipi, la tente tremblante, le wigwam, le rond autour du feu, le matatosowin. Tu voyais que la vie tout entière est comprise dans le cercle; et qu'on revient toujours, d'une façon ou d'une autre, aux lieux où l'on est déjà passé.
Il me rendit visite là-bas aussi. Alors, comme on voit céder, à la débâcle, la rivière gelée, quelque chose en moi rompit, s'épancha ; et bientôt je ne voulais plus que lui.
Encore une fois, Neveu, tu dois comprendre qu'en ce monde de peine, il faut les saisir à pleines mains, ces rares moments de bonheur qui nous sont concédés.
Mon français et moi, nous étions voraces ; nous nous repaissions l'un de l'autre et nous en trouvions meurtris, mais de bonnes meurtrissures.
Tu voyais que la vie tout entière est comprise dans le cercle ; et qu’on revient toujours, d’une façon ou d’une autre, aux lieux où l’on est déjà passé.