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Rachida Brahim (Autre)
EAN : 9782849508442
250 pages
Syllepse (14/01/2021)
4.58/5   6 notes
Résumé :


«De telles listes sont dressées depuis les années 1970. Compilées par plusieurs générations de militants, elles sont enfouies dans les caves des archives associatives et présentent toutes le même format, à la fois sec et funeste. On y trouve la date du crime, le nom de la victime, suivis d’une ou deux phrases laconiques. Elles frappent par leur rudesse, leur longueur et leur nombre. Poser une liste conduit inexorablement à en trouver une autre quelqu... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Les crimes racistes sont des violences relatives aux rapports de domination produits par l'ordre social

« Sur les parois de mon cervelet subsiste le tracé d'une langue que je ne sais ni lire ni écrire. Je succombe régulièrement à la douleur que provoque en moi cette seule phrase. Je succombe à cette étrange indigence qui vous conduit à ne rien savoir de vos propres défunts. Je succombe à la présence d'une violence et d'un amour que je n'ai pas connus, mais dont le souvenir me hante. »

Dans son introduction, Rachida Brahim discute, entre autres, de source du racisme, d'anéantissement de l'historicité, de réminiscence « d'une violence primordiale que nous n'avons pas directement vécue », de déchiffrement du passé, d'« une violence épistémique qui participe à ce long désastre », de colonialité de pouvoir, de régime d'inégalités protéiformes, de douleur indicible, de honte et d'insanité…

« Ce livre est le fruit d'une postmémoire aphone qui tente malgré tout de s'énoncer. J'aimerais dire ici la violence que le racisme postcolonial fait à nos corps et à notre raison. J'aimerais décrire le mécanisme qui préside à cette violence sans rien cacher des troubles que ce savoir me cause et des leçons que j'en tire ».

Les mots, les paroles, les mémoires, l'impossibilité de dire, « En étant renvoyées au registre des émotions déplacées, elles sont minimisées ou criminalisées alors qu'elles sont factuellement justes, sémantiquement précises et socialement vitales », le passé et le présent, les listes d'hommes tombés sous les coups du racisme, « Répéter régulièrement que des hommes meurent en raison de leurs stigmates, c'est dire la précarité de certaines vies, l'adversité d'une condition et les formes extrêmes que peut prendre l'exclusion », des listes, la dénonciation du racisme et de son impunité…

L'autrice parle de catégorie raciale, de racialisation, de tuer deux fois, « La première violence se déroule dans un cadre interpersonnel et touche d'abord à l'intégrité physique de la personne. Elle s'incarne dans le coup porté à un individu en raison des préjugés que l'on entretient à son égard. La seconde violence a lieu à l'échelle institutionnelle et porte davantage un coup psychique. Elle est une conséquence du traitement pénal qui ignore la nature raciste des crimes jugés », d'histoire des crimes racistes, de logique sociale et de « la difficulté à mettre les crimes racistes en procès », de racisme structurel, « un agencement méthodique dans lequel les normes établies par les pratiques institutionnelles et les représentations culturelles permettent non seulement de produire, mais aussi de perpétuer les inégalités touchant les personnes racialisées », d'appareil législatif et judiciaire…

Je souligne les paragraphes sur le particulier et l'universel, « un discours contradictoire dans lequel des lois particulières et des règles universelles alternent de manière à produire et maintenir les catégories raciales. Je soutiens que cette contradiction est un pilier du racisme structurel qui repose sur un processus concomitant de racialisation et de déracialisation auquel le droit participe en tant qu'outil de division et de normalisation sociale »…

La première partie du livre présente les violences en s'appuyant sur des exemples précis ; la deuxième partie de l'ouvrage s'intéresse à « l'approche particulariste qui caractérise la manière de gouverner les personnes racialisées » ; la dernière partie de l'ouvrage « montre que le particularisme qui caractérise la prise en charge des personnes racialisées s'arrête précisément au moment où elles demandent une justice qui prenne en compte la différence à laquelle elles ont été assignées »…

Quelques éléments choisis subjectivement dans les différentes analyses présentées.

Le premier chapitre traite des crimes racistes de 1973, de la région marseillaise, de mémoire collective, de victimes expiatoires, de la mémoire « taciturne » de la guerre d'Algérie, du racisme meurtrier, de peur et d'invisibilité, du club Charles Martel, d'expéditions punitives…

Dans le second chapitre, « le long feu qui brûle encore », Rachida Brahim élargit le propos, « ces violences ne sont pas un épiphénomène propres à la région marseillaise », les actes racistes comme « une litanie, une suite monotone et répétitive », des violences « idéologiques » et des violences « situationnelles », des violences disciplinaires, « Un dernier type de violences s'inscrit dans la nécessité de discipliner les migrants maghrébins et leurs descendants »…

L'autrice analyse la logique racialiste de la politique d'immigration française, la constance répétition d'une même scène, les préjugés façonnés durant la période coloniale, la désignation de celles et ceux qui « poseraient problème », les modifications législatives dans les années 70 et 80, le franchissement « d'un palier supplémentaire et décisif dans l'entreprise de sélection ethnique », l'imbrication des politiques de retour et d'insertion, l'organisation administrative de la politique d'immigration, les expulsions de mineur·es, la création des « sans-papiers », le thème de l'immigration et le FN, la production soutenue « de lois réduisant le droit des migrants irréguliers » et ses effets sur la situation des migrant·es réguliers, la réforme du Code de la nationalité, l'idée « selon laquelle une catégorie particulière de personnes identifiées par certains marqueurs physiques ou culturels poserait problème et nécessiterait l'adoption de lois tout aussi particulières ». Il s'agit bien en effet d'un principe particulariste et racialiste au coeur de la politique d'immigration…

Dans le quatrième chapitre, Rachida Brahim aborde l'opération de stigmatisation comme mécanisme central du processus de racialisation, l'image d'une population « assistée ou délinquante », ce que partagent les morts « une condition qui les expose à une violence spécifique », la figure du « travailleur arabe », l'immigration comme « menace pour la santé publique et l'ordre public », la généralisation à l'ensemble des migrant·es de situation concernant une minorité de personnes, la figure du « jeune de banlieue », les stigmates « héréditaires et contagieux », les effets de la crise économique, les politiques de la ville, la nouvelle classe dangereuse, les protestations et les luttes… et leurs traductions dans la sphère médiatique…

L'autrice interroge : « Comment expliquer la violence raciale » et fait le lien avec les explications de Christine Delphy sur les violences conjugales. J'ai choisi comme titre de cette note, une phrase de l'autrice extraite de cette partie. Rachida Brahim souligne que « les stigmates particularisent et exposent à la violence » et discute de la notion de biopouvoir de Michel Foucault. Et si depuis la Libération les racesn'existent pas, « la lancinante répétition de cette simple phrase n'a pas suffi à annihiler la construction des races »…

J'ai notamment été intéressé par le sixième chapitre, « Ce que disent les vivants », les grèves des pères, les comités Palestine, le MTA, la lutte contre les crimes racistes, les émeutes et les « marches des fils », les formes élémentaires de protestation, les mobilisations collectives, la Marche pour l'égalité et contre le racisme, les Jeunes Arabes de Lyon et de banlieue (JALB), le Mouvement de l'immigration et des banlieues (MIB), la mémoire de la période coloniale, l'expérience du racisme et des atteintes à la dignité, le travail qui « transforme la blessure primordiale en un discours précis et ciblé », la dénonciation « du traitement pénal des faits jugés » et l'impunité, la double violence, « l'idée d'une race qui les tuait deux fois, physiquement en raison du coup porté et psychiquement suite aux verdicts prononcés », la victimisation multiple, la singularité des crimes de haine, le parallèle avec le traitement juridique et pénal des violences sexistes et les mises en cause du système pénal…

Je rappelle ma critique sur l'universel et le particulier, le refus du terme féminicide, dans le droit français à propos de l'ouvrage Sous la direction de L. Bodiou, F. Chauvaud, L. Gaussot, M.-J. Grihom, L. Laufer, B. Santos : On tue une femme. le féminicide. Histoire et actualités.
J'avais notamment écrit : « J'ajoute cependant que le « principe d'égalité » dans une société structurée par les inégalités reste pour moi un mystère. Qu'il soit un horizon souhaitable est une chose, le confondre avec une réalité acquise en est une autre. Une question aurait préalablement mérité d'être abordée : que pourrait signifier le « droit égal » dans une société sans égalité ? Mais pour ce faire, il conviendrait de se débarrasser du fétichisme du droit, de penser le droit en lien avec les rapports sociaux, pour expliciter avec les termes adéquats et spécifiques à un moment donné dans un code juridique, des moyens contre les violences faites par des hommes aux femmes et l'impunité de ceux-ci ». L'argumentaire vaut pour les crimes racistes…

« Au sein de l'arène législative, qu'est devenue la parole de ceux qui dénoncent le racisme ? Comment une société peut-elle se départir des catégories discriminantes, qu'elle contribue elle-même à introduire ? ». Dans le sixième chapitre, Rachida Brahim analyse comment se construit la négation des crimes racistes dans la période 1970-1980, la dépolitisation et la « déracialisation » des affaires, la dissimulation des mobiles racistes, « A travers les documents étudiés sur l'ensemble de la décennie, une conviction partagée semble se dégager : les violences envers les Maghrébins ne relèvent pas d'un mobile raciste parce qu'il n'y a pas de racisme en France, et dans le cas contraire, s'il y avait effectivement du racisme en France, les Maghrébins eux-mêmes en seraient responsables. Autrement dit, s'ils sont détestés, c'est qu'ils sont détestables »…

Il n'y aurait pas de racisme, comme il n'y aurait ni violences policières ni contrôles au faciès. La base argumentaire des pouvoirs publics est toujours la même. Il en est de même pour le retournement de responsabilité… quitte à procéder à une véritable réécriture des faits.

L'autrice souligne la dépolitisation des faits racistes. Elle présente les évolutions législatives, le classement des faits racistes en droit commun, le refus de prendre en compte le mobile…

Elle poursuit son analyse dans le septième chapitre, « L'art de ne pas répondre aux demandes de justice » en interrogeant ici aussi les évolutions législatives (1980-1990). L'autrice parle de sanction de délit et non de crime (comment ne pas faire le parallèle avec les viols déqualifiés en agressions sexuelles ?), des difficultés à caractériser l'infraction que constitue le crime raciste, le sentiment d'injustice pour les un·es et d'impunité pour les autres. Elle revient sur la Marche pour l'égalité et contre le racisme, le lien entre traitement juridique du racisme et politique d'immigration, les luttes d'interprétation…

Dans le dernier chapitre, « Une législation antiraciste racialisante », Rachida Brahim analyse les évolutions législatives plus récentes, les catégories raciales et « le refus à considérer que l'assignation à de telles catégories puisse induire une violence spécifique qui demanderait un aménagement du droit », les effets des législations européennes, les circonstances aggravantes et le refus puis la reconnaissance limitée du « mobile raciste », des débats autour de l'antisémitisme, le retournement de la loi contre les personnes qu'elle est censée protéger…

En conclusion, l'autrice souligne, entre autres, le fonctionnement du racisme structurel, le sentiment d'injustice, l'histoire de la violence raciale en France, le racisme d'Etat, « un racisme produit par les institutions étatiques, en assurant la production et le maintien des catégories raciales par-delà leur dénonciation », la force de la racialisation « le fait que des valeurs négatives ont été attribuées à des traits physiques ou culturels », la race et le tuer deux fois, « Elle tue une première fois en raison de la violence induite par la catégorisation et une deuxième fois en raison du traitement de cette violence qui loin de prendre en compte la catégorisation raciale et ses effets va la maintenir en l'occultant »…

Il ne peut y avoir de racisme sans racialisation. Les catégories crées lors de la colonisation sont toujours des formes majeures de différenciation sociale. L'analyse en termes de rapports sociaux de pouvoir reste incontournable. Sans oublier que la dignité de toustes et de chacun·e implique l'égalité réelle…

L'usage du préfixe post (postcolonial, postmémoire) – cela est aussi vrai pour le suffixe dé – aujourd'hui largement employé ne me semble pas adéquat à la critique des rapports de pouvoir.
Deux fois. La violence systémique et sa négation, la mort et l'impunité, une réduction excluante de l'universel. Ici dans les rapports sociaux de race, ailleurs et de manière concomitante dans les rapports sociaux de sexe ou dans les rapports sociaux de classe. Toujours des rapports de pouvoir. Racialisation et racisme institutionnel, meurtre et in-justice, l'actualité des crimes racistes et de leur non-reconnaissance judiciaire en France…
Lien : https://entreleslignesentrel..
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Ce livre nous explique comment des individus racisés sont doublement victimes lorsqu'elles sont victimes d'un acte/crime raciste.
Rachida Brahim a basé sa recherche sur 731 actes racistes perpétrés entre les années 70 et les années 2000 ainsi que sur l'analyse et la critique des différentes lois françaises.
Ce livre fait aussi écho aux différentes affaires de violences policières.
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critiques presse (2)
RadioFranceInternationale
15 février 2022
Avec Rachida Brahim, docteure en Sociologie qui publie La race tue deux fois, une histoire des crimes racistes en France (1970-2000), nous allons ausculter le racisme structurel de notre douce France, réviser notre Michel Foucault, approcher le terme de post-mémoire et comprendre un peu mieux pourquoi la race tue plutôt deux fois qu’une.
Lire la critique sur le site : RadioFranceInternationale
LaViedesIdees
12 avril 2021
Sur la base de 731 crimes, R. Brahim montre comment la violence physique est redoublée par une violence psychique lorsque le système législatif et judiciaire nie la nature raciste des actes ou la minimise.
Lire la critique sur le site : LaViedesIdees
Citations et extraits (12) Voir plus Ajouter une citation
Sur les parois de mon cervelet subsiste le tracé d’une langue que je ne sais ni lire ni écrire. Je succombe régulièrement à la douleur que provoque en moi cette seule phrase. Je succombe à cette étrange indigence qui vous conduit à ne rien savoir de vos propres défunts. Je succombe à la présence d’une violence et d’un amour que je n’ai pas connus, mais dont le souvenir me hante.
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A travers les documents étudiés sur l’ensemble de la décennie, une conviction partagée semble se dégager : les violences envers les Maghrébins ne relèvent pas d’un mobile raciste parce qu’il n’y a pas de racisme en France, et dans le cas contraire, s’il y avait effectivement du racisme en France, les Maghrébins eux-mêmes en seraient responsables. Autrement dit, s’ils sont détestés, c’est qu’ils sont détestables
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La première violence se déroule dans un cadre interpersonnel et touche d’abord à l’intégrité physique de la personne. Elle s’incarne dans le coup porté à un individu en raison des préjugés que l’on entretient à son égard. La seconde violence a lieu à l’échelle institutionnelle et porte davantage un coup psychique. Elle est une conséquence du traitement pénal qui ignore la nature raciste des crimes jugés
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On rejoint ici la notion de racisme structurel, c'est à dire l'idée selon laquelle c'est l'organisation et les règles mêmes d'une société qui font système en contribuant à légitimer les inégalités raciales et les violences corollaires par delà leur dénonciation.
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un agencement méthodique dans lequel les normes établies par les pratiques institutionnelles et les représentations culturelles permettent non seulement de produire, mais aussi de perpétuer les inégalités touchant les personnes racialisées
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