« Ici, le soleil ne se couche pas, il s'écroule. Toutes ces années passées en Guyane... je devrais le savoir, c'est toujours une surprise. Instantanément, l'obscurité engloutit la forêt, épaisse et vivante. le crépuscule n'apporte pas ce calme des soirs tempérés. D'ailleurs, il n'y a pas de crépuscule. le jour cède à la nuit sans aucune forme de transition. Avec la nuit tropicale, la forêt s'anime d'une toute autre vie, elle bruisse d'un nouveau peuple d'insectes. À la faible lueur de mes bougies, je devine des points rouges dans le noir, minuscules rubis brillants, autant d'yeux de créatures indéterminées.
Qu'on se sent alors petit et fragile dans l'abri précaire de son hamac, à peine protégé par la moustiquaire. L'immensité de la forêt me submerge. Je suis seul.
[…]
Pourtant, cette nuit là passera, comme toutes les autres.
La lumière n'aura pas atteint le coeur de la forêt, le soleil n'aura pas dépassé l'horizon, que les singes hurleurs auront déjà commencé leur fracas. le concert des oiseaux sera à son apogée dans cette pénombre qui annonce l'aube. C'est alors qu'on frissonne dans son hamac, c'est le moment où l'air porte un semblant de brume, lorsque la lumière n'est qu'une ébauche et où le sous-bois semble être une photographie en noir et blanc. »
Mitaraka,
Francine Brondex @bleuepiebleue @librinova
La forêt amazonienne comme vous ne l'avez jamais lue, celle qui habite peut-être votre imagination, celle peuplée de d'animaux incroyables, de peuples autochtones aux histoires passionnantes, celle qui envoûte, charme, fascine… un monde à part!
Voilà la toile de fond de ce premier roman de l'autrice.
« Elle se sentait déjà frustrée de ne pas savoir qualifier toute la palette des verts, elle aurait aimé connaître des mots comme céladon, smargadin, malachite, prasin, glauque... pour ne pas se contenter des verts bouteille, émeraude, pistache ou pomme qui lui paraissaient bien trop fades pour évoquer l'éclatante diversité des variations de vert. »
Et dans ce roman, la forêt est bel et bien le personnage principal, celui dont on apprend la vie quotidienne, les variations de météo, de couleurs, d'humeurs même, en quelque sorte! Ce monde sauvage et énigmatique…
« En quelques pas, ils étaient à la lisière de la clairière.
En entrant dans le sous-bois, ce fut pour Julia comme s'ils avaient poussé les portes d'une crypte : tout était plus sombre, plus humide, plus frais. Une légère odeur d'humus et de pourriture flottait dans l'air immobile. Elle était à nouveau submergée par la grandeur du végétal. »
La vie animale aussi y est sauvage, envoûtante, théâtrale…
« Alors que nous sommes encore au coeur de la nuit, un instinct propre à leur espèce les prévient du jour qui va poindre, les singes hurleurs commencent leur rauque concert par un crescendo, un individu d'abord puis tout le groupe se joint dans ce bruyant réveil. Vers 5 h 30, au fur et à mesures les singes cessent leur tapage, le ciel prend des couleurs, les verts envahissent la forêt qui forme une muraille imprenable sur chaque berge. Elle semble même vouloir forcer le passage et gagner sur le fleuve par d'épaisses cascades de lianes qui tombent des plus grands arbres. »
Et puis dans ce roman, il y aussi le récit à deux voix: celle d'un aventurier des années 50 parti cartographier la frontière sud de la Guyane avec une mission officielle, et celle de Julia « écologue, thésarde, échouée dans le Haut-Maroni pour percer les mystères de l'impact sur la faune sauvage de la chasse chez les Wayana ».
Un récit riche qui nous apprend bien des choses au sujet notamment des peuples amazoniens…
« A l'origine de tous les dessins de la vannerie des Wayana, il y a Tulupele. Il était un redoutable monstre de l'eau, à la fois, anaconda, jaguar et chenille. Il dévorait tous ceux qui tentaient de passer le bras de rivière où Tulupele se cachait. Un jour, les Apalai et les Wayana s'unirent et firent la paix pour combattre le monstre et le tuer. La peau de de Tulupele était ornée de magnifiques motifs, nous y avons trouvé toutes les formes que nous traçons sur les corps pour les cérémonies comme eputop et aussi le tressage de la vannerie. »
Un livre passionnant et envoûtant pour celles et ceux qui aiment les contrées sauvages, là où la nature est reine et maîtresse, là où la vie s'écoule autrement… dans une bulle de temps suspendu!