"Baby, j'lui ai dit, j'suis un génie, mais il n'y a que moi qui le sais." Mais pas du tout, Charles !
Un livre étonnant ! D'une construction réfléchie au millimètre, rien n'est laissé au hasard et c'est absolument brillant. J'ai adoré cette minutie qui se découvre au fil des épisodes nonobstant des péripéties rocambolesques et un personnage qui flotte dans des vapeurs d'alcools, d'un job à un autre et d'une paire de jambes à une autre (féminines les jambes, exclusivement ; c'est peut-être son seul blocage sexuel). Pour le reste il navigue au gré des vents -qui lui sont souvent bien contraires- mais la démonstration, elle, est implacable. C'est pas une vie
factotum.
J'ai vu une destruction sociale décrite par
Charles Bukowski, celle du monde de l'entreprise et plus particulièrement celle des salariés, embauchés précaires pour des petits boulots, des paumés ; mais aussi des vilénies entre individus dans le monde du travail, de ce qui gravite autour et dans l'entreprise, et de la petitesse de l'existence.
Il y a une sensibilité très touchante qui se dégage de l'écriture. Dès qu'il parle d'amour, de la vie, il s'enflamme.
"Si j'étais un homme, j'ai pensé, j'la violerais, j'lui mettrais le feu dans la culotte, j'lobligerais à me suivre de par le vaste monde, je ferais monter des larmes dans ses yeux avec mes lettres d'amour écrites sur du papier de soie rouge." C'est tellement beau... Ah ! "Chinaski, le grand amant."
Mais c'est aussi Chinaski le réaliste qui est décrit. Celui qui voit au-delà des apparences. J'ai eu le sentiment que la poussière crasse qui l'entourait -plus que la soie rouge- l'attristait au plus haut point, à telle enseigne qu'il préférait dégueuler le matin de la bile vinée, tellement épuisé par ces tonnes de conneries qu'on nous fait avaler à longueur de journée (le mythe de l'écrivain affamé qui se sublime ainsi, du travail épanouissant, voire passionnant... ben ça dépend de quoi on parle, parce que récurer des chiottes toute une nuit.. ) Warff ! "L'enfer hurle de rire". Je suis d'accord avec Chinaski quand il répond "Pourquoi ne pas respecter la vie ?" C'est la vie qui est au coeur de l'écrit : "Franchement la vie me faisait horreur, tout ce qu'un homme devait faire pour avoir de la bouffe, un pieu et des fringues" et
Bukowski la connaissait bien. Un grand coup de coeur pour ce livre qui ne laisse pas indifférent parce qu'il parle, selon moi, vrai.
"D'accord, j'avais pas beaucoup d'ambition, mais il devrait y avoir une place pour les gens sans ambition, j'veux dire une meilleure place que celle qu'on leur réserve d'habitude."
"Comment diable un mec peut-il apprécier d'être réveillé à 6h30 par un réveil, de bondir de son lit, s'habiller, ingurgiter un petit déjeuner, chier, pisser, se brosser les dents et les cheveux, se bagarrer en bagnole pour arriver dans un endroit où il fait essentiellement du fric pour quelqu'un d'autre et où in lui demande de dire merci pour la chance qu'il a ?"
Cette vie me saoule !