Les filles au lion

Il affichait un air sévère. "Les gens ont cette terre dans leur sang. Voilà pourquoi les propriétaires ont peur d'eux."

Ensemble, ils contemplèrent le paysage devant eux. Au loin, deux buses tournoyaient en quête d'une proie au sol. Le ciel était si vaste, les montagnes si robustes, que la seule violence possible en ce lieu semblait provenir de la nature elle-même.

Elle n'avait pas cessé de peindre depuis qu'elle l'avait rencontré. Elle travaillait sur de petites toiles, elle remplissait des carnets d'esquisses; c'était comme si elle s'était reliée à quelque chose, sans trop savoir quoi, et elle tremblait d'effroi à l'idée que cette longue veine d'inspiration se tarisse, mais sentait que tant qu'Isaac serait là, tant qu'elle serait disponible, ce souffle la porterait.

"Ce qui s'était déjà produit ? Des tombes fracassées et ouvertes dans des chapelles, les cadavres de bonnes sœurs sur le sol, dit Isaac. Des maisons comme celle-ci pillées." Tous les deux tournèrent la tête vers la finca et la silhouette derrière la fenêtre disparut rapidement. "On raconte qu'un prêtre a été arraché à sa sacristie et pendu à un arbre. On l'a retrouvé le lendemain matin avec les couilles dans la bouche.
- Isaac !" dit Olive en grimaçant. Le mot "couilles" la mettait mal à l'aise et elle avait l'impression d'être une gamine.
"Les journaux noircissent le tableau, mais ils ne cherchent jamais à savoir ce qui au départ a provoqué ces pillages. Donc, ce journaliste..

"C'est en train d'arriver. Ça s'est déjà passé et ça va se reproduire."

Après une décennie passée à dévorer des romans, Olive savait que les hommes séduisants représentaient un danger mortel. Leur histoire se répétait au fil des siècles, les laissant indemnes d'une page à l'autre, tandis que des filles étaient montrées du doigt, des filles étaient perdues. Des filles finissaient muettes comme des statues, piteusement décorées. "Soyez vigilantes et protégez votre virginité", tel aurait pu être le sous-titre d'un grand nombre de ces écrits, écrits par des hommes pour la plupart. Olive savait tout cela, et elle s'en fichait. Elle n'en avait cure.

Elle ne se savait pas capable de produire un tel travail. Elle avait réalisé, pour la première fois, une peinture à ce point remplie de mouvement, d'excès et de fertilité qu'elle en était presque choquée. C'était un idéal tenace, un paradis sur terre, et l'ironie, c'était qu'il venait de cet endroit et d'aucun autre, de cette région isolée d'Espagne où ses parents l'avaient traînée.

Malgré toutes les couleurs terre à terre des champs - les ocres et le vert sauterelle, la tendresse folklorique des sillons brun roux et des bruns moutarde - il y avait quelque chose de surnaturel dans cette scène. Le ciel était un océan de promesses. Les champs une corne d'abondance de récoltes de céréales, de pommes, d'olives et d'oranges. Le verger offrait une telle luxuriance que vous auriez pu parler de jungle, la fontaine vide était devenue une source vive, qui faisait déborder la vasque du satyre. La finca se dressait comme un palais accueillant, la maison de son père avec ses nombreuses chambres, les fenêtres immenses ouvertes au regard. Les coups de pinceau étaient relâchés et la couleur l'emportait sur la précision technique.

Aucun des tubes n'avait éclaté durant le voyage, tous ses pigments étaient intacts et ses pastels n'étaient pas cassés. Ils lui avaient toujours été fidèles, quand le reste allait de travers.

"Mais les gens qui ont les moyens de nous aider ne nous aideront jamais. Je crois qu'il existe un chemin qui conduit au bonheur universel.
- La redistribution de force des richesses, dit Harold, sombre.
- Oui, exactement. Le peuple...
- Rien de tel pour détruire le sentiment d'équilibre d'un pays que l'emploi de la force, monsieur Robles.