Citations sur Sur le Giro 1949 : Le duel Coppi-Bartali (25)
En fait, cela ressemble, après dix-sept jours de combat au corps à corps, à un flegmatique concours de tir à la cible.
Ils sont arrivés les derniers, pour servir autrui, bref, parce qu'on les en avait précisément chargés.
Allons, levez-vous ! Un moment seulement. Bartali est là, Coppi est là. N'avez-vous pas envie de les voir, ne serait-ce que par curiosité ! Il suffit de trente secondes, allons, faites un petit effort, puis vous replongerez dans le sommeil. Ils vont vite, les géants de la route, à peine les a-t-on vus qu'ils sont déjà passés.
L'Etna : "Toujours la même poisse ! Cela faisait dix-neuf ans que le Giro ne passait pas par la Sicile. Cette année, enfin, voici qu'il y vient. Il me fait même la gentillesse de tourner autour de moi, aujourd'hui, il grimpe même sur mon dos. Inutile de le dire, j'ai attrapé un rhume. Depuis deux jours, j'essaie de rejeter ces nuées fétides qui me recouvrent le chef et m'empêchent de regarder. Je ne vois rien. Je n'ai même pas pu examiner un seul de ces braves garçons. Je les sens passer sur mes membres ; ils me courent dessus : on dirait des fourmis très rapides. Mais impossible de les voir."
Ils se retrouvèrent ensemble dans la descente vertigineuse, sur la route caillouteuse qui traverse le bois. Et le bois était devenu sombre. Et les nuages tout noirs, qui s'effilochaient par le bas. Des Dolomites on apercevait, de temps à autre quelque rocher sauvage au travers des brumes. Il sentit un picotement au visage et aux cuisses. La grêle. Tempête en montagne. Peu à peu, le décor et la lutte devinrent impressionnants. Sur les côtés de la route, les sapins, sévères, fuyaient, tout de guingois sous l'effet de la vitesse. La boue. Les freins grinçaient comme des chatons appelant leur mère. Il n'y avait pas âme qui vive. Rien d'autre que le bruit des bicyclettes. Le tic-tac rageur de la grêle et ce grincement des freins. Rien n'était joué, par conséquent.
Un très vieil olivier arthritique, tout tordu, s'adressant à l'un de ses compagnons, plus jeune : " Vanitas vanitarum dis tu ? Tu prétends que les gars du Giro sont des imbéciles parce qu'ils acceptent de se donner tant de mal pour rien et de courir comme des démons sans aucune raison ? Et les autres ? Ne sont ils pas pire, les autres, lorsqu'ils disent qu'il faut peiner pour des choses sérieuses ? Je préfère ces gars là, crois moi, au moins ils ont le courage de ne pas promettre à leurs semblables des paradis trop compliqués. Ils courent pour rien, c'est vrai et ne construisent rien. Comment expliques tu cependant le fait que les gens - et même les hommes d'ici, qui sont d'un naturel mélancolique - soient si contents de les voir ?"
Il se peut, toutefois, que le fanatisme en matière de sport, malgré toutes ses extravagances, soit beaucoup moins vulgaire qu'il ne semble l'être à première vue.
Et les esprits se sont déjà un peu laissés aller à la mélancolie, comme cela arrive chaque fois que l'on parvient au bout ; peu importe que ce qui se termine soit beau ou laid. Car alors l'homme se rend compte à quel point le temps s'enfuit vite, à quel point la vie est brève.
Elle est belle à voir la caravane du Giro, si jeune et gaie. Et elle donne confiance en la vie.
Bartali est l'un des rares coureurs qui fument.