Je l'avoue humblement, j'ai sauté des pages dans cet ouvrage. Il paraît qu'on a le droit. Mais dans la première partie seulement, "Genesis".
"Au commencement était le sexe". C'est vrai. La vie est une maladie sexuellement transmissible. Et c'est par là que tout commence. Seulement voilà, quand au quart du chapitre on y est encore, au tiers, à la moitié, quand aux trois quart on y est toujours, ça fatigue son homme. On n'est pas des bêtes. Encore que chez la plupart des animaux, c'est une fois l'an.
Je ne suis pas spécialement coincé sur le sujet, mais la performance, ça use. Ça tue l'amour. Et ceux qui en parlent le plus ne sont pas les ténors de l'opéra céleste. D'autant que côté sentiment avec Louis Calaferte c'est plutôt chiche. Autre ombre au tableau, ces dames ne sont pas spécialement portées au pinacle dans le verbiage charnel de l'auteur. Alors trêve de flatterie, j'ai beaucoup regretté qu'un style et une verve pareils restent coincés pendant pas moins de 215 pages entre muqueuses et replis de la peau.
Car côté écriture, c'est assez fabuleux. C'est cru certes, on se dit tout. Les choses comme elles sont dans la vraie vie physiologique. Il est intarissable sur le sujet le monsieur. J'allais dire le mâle. Une logorrhée prodigieuse dans un style à l'italienne qui omet le pronom personnel et nous entraîne en cascade dans la grande descente aux enfers de la prouesse érotique. C'est stupéfiant. Même en ayant sauté des pages, j'en ressort épuisé lorsque je parviens à la deuxième partie.
La deuxième partie, c'est "Omphalos". le nombril du Monde. J'ai exploité le dictionnaire en ligne, c'est comme ça que je l'ai compris. A ce stade, on s'enfonce dans le domaine de la frustration. L'écrivain bloqué devant sa page blanche. Il se sait pourtant le centre du monde comme nous en sommes tous convaincus nous aussi. Mais personne d'autre que soi ne le sait. Il galère. Jusqu'à quitter son boulot, convaincu que l'écriture va le sauver de la triste banalité de la vie, des gestes quotidiens, d'un salaire de misère à faire le larbin, d'un contremaître irascible. Il galère jusqu'à n'avoir plus ni gîte ni couvert. Jusqu'au jour où il frappe à la porte de cette bonne famille, un copain charitable, sa femme et leur gamine qui vivent dans leur modeste confort et lui offrent l'hospitalité d'une vie étriquée, faite d'habitudes, de discours indigents. Ils sont gentils, mais voilà, est-ce bien cela une vie réussie. Travailler, manger, dormir. Se parler si peu. La satisfaction d'une aisance dérisoire.
Où est la justification de la vie dans tout ça ? Qu'est devenu l'amour, à la fois origine et finalité de tout ? Celui qui fait croire que la vie sera belle, toute la vie. Ce fol espoir qui pousse les gens à se perpétuer pour finalement sombrer dans une vie pauvre en voluptés, autres que celles du manger, dormir. On ne parle déjà plus de s'aimer. Découragé, dépité, lui végète devant sa page blanche. Ils sont gentils et généreux ses amis, mais tellement rabougris dans leur quotidien navrant que le grand écrivain qu'il s'était promis de devenir n'y trouve aucune inspiration. La page reste blanche. Jusqu'au jour où…, troisième partie, "Gamma", tout simplement.
En quelques pages seulement, le déclic, l'explosion. Mais oui, c'est ça, la frustration sera le sujet. Et sur ce terrain-là, il en a à dire. Il a de l'expérience. La vie ce n'est que ça. Une grande frustration, un malentendu, une escroquerie. Le barrage se rompt et engloutit la vallée au fond de laquelle vivotent tous ces minables, ces gogos. C'est la déferlante. Une violente diatribe contre la petitesse d'une vie pour la vie seulement. Un cycle inexorable contre lequel il fulmine. Éternel retour à la case départ. Cycle stérile en Bonheur, avec un grand B. Tout ça pour ça. L'absurde de la condition humaine. D'autres s'y sont collés, des lettrés, des philosophes, en termes forcément plus policés, encore que, car avec Louis Calaferte ça donne un bouquin bravant la morale, bavant sur la morale, au point d'être interdit pendant vingt ans. Un bouquin dans lequel il vide son sac. Il nous dit dans cette troisième partie comment il en est arrivé là, à cette conclusion. Tant d'espoirs déçus. Le dépérissement de l'esprit qui dissout la motivation. Le dépérissement du corps qui dissout le plaisir de la coupable entreprise d'engendrer. Place au suivant. La boucle est bouclée et tout recommence dans l'inconscience des géniteurs qui perpétuent la vie. "Au commencement est le sexe." Et puis voilà. Et après ? Eternel renouveau, la grande frustration se nourrit d'elle-même.
C'est cru, très cru, pour dire la déconvenue et finalement la colère. Où est la raison de tout ça ? C'est philosophique à sa manière, au final, quand on a franchi l'étape des ébats sans fin. Quatre étoiles quand même pour ce style décapant, dérangeant. L'objectif est atteint, ça interpelle, ça déboussole. On en perd le septentrion.
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Le narrateur, bien plus que d'être obsédé par le sexe, l'est surtout par la crainte qu'il aurait d'être obligé de faire partie un jour – faute d'argent, faute de gite et de couvert assuré – de la masse des prolétaires qu'il méprise. Malgré, ou à cause de cette peur qu'il a de devenir un mouton du troupeau et un anonyme dans la foule de ceux qu'il considère comme plus morts socialement que vifs, il est parfois obligé de composer : il trouve ce gite et ce couvert soit en qualité de gigolo chez une « cougar » hollandaise, ou en tant que parasite chez un couple de petits bourgeois.
Sa révolte contre le système et son refus de se conformer au moule n'en restent pas moins si forts, qu'il n'hésite pas à prendre le risque de se saborder et de se retrouver à la rue au sens propre. Quant au sexe, c'est moins une obsession que l'expression de sa vitalité et d'une jeunesse révoltée qui se fout des convenances morales. Encore que…sexualité pas si débridée que cela, car de tout le récit de ces années de galère, il ressort qu'il pense beaucoup au sexe mais ne le pratique pas souvent. de ce coté là aussi sa vie est misérable. Il est bien plus flamboyant et magnifique comme révolté que comme amant de ces dames.
Enfin, persuadé qu'il est d'avoir un destin d'écrivain, il ne parvient pas à nous convaincre qu'il sera un jour cet écrivain de génie, car de tout le livre il n'écrit pas une ligne et est un parfait glandeur et procrastinateur…mais à la fin un livre nait du récit de cette procrastination et de cette quête du corps des femmes, et c'est un déluge verbal magnifique, un manifeste anarchiste flamboyant, le récit d'une résistance acharnée à la société capitaliste et à la morale petit bourgeoise, avec ses lourdeurs parfois et ses moments de bravoure, souvent.
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Livre dur. On ressent le côté anarchiste de l'auteur autant dans sa prose que dans ses idées.
Difficile pour les débutants en lecture. A relire
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