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Le manuscrit du Premier Homme a été retrouvé dans la sacoche de Camus au moment de sa mort. C'est une épreuve originelle d'une très grande qualité et qui permet au lecteur de savourer pleinement l'écriture d'Albert Camus. Elle porte en elle les germes de son oeuvre. Elle permet au lecteur qui ne pouvait apprécier "La peste ou l'Etranger" (comme moi) d'entrer en contact avec sa personnalité. J'ai lu ce roman comme un message d'adieu, comme si l'auteur avait eu besoin de jeter un éclairage sur son oeuvre. C'est très beau, très émouvant. Les mots qui reviennent sont "ignorance, misère, mémoire, racines, révolte, amour, droiture" et pourtant, à lire cette oeuvre autobiographique, sa jeunesse a été heureuse dans un milieu de grande pauvreté et de dur labeur. de cette difficile réalité et de sa soif de vivre, il a su en faire un prix Nobel, sa révolte a été pour lui un moteur. Ce roman démarre avec Jacques Cormery, 40 ans, le narrateur, qui rend visite à un vieil ami ayant pris sa retraite à Saint-Brieuc. L'occasion lui permet de se rendre sur la tombe de son père qui est mort au combat en 1914 et qu'il n'a pas connu puisqu'il n'avait qu'un an. Pour lui cette visite n'a aucun sens mais elle répond à un souhait de sa mère restée en Algérie. Dans son milieu familial, on ne parle pas du disparu. Il ignore tout de son père et à ce moment là, ce n'est pas un souci pour lui jusqu'à ce qu'il découvre l'inscription inscrite sur la tombe de son père "1885 - 1914". "L'homme qui était enterré sous cette dalle et qui avait été son père était plus jeune que lui au moment de sa mort". Cette prise de conscience est comme un déclic. Jacques va alors comprendre que son père a eu une vie avant lui dont il ignore tout, que cet homme a souffert, aimé, qu'il a été un être de chair et de sang, qu'il a connu bien des vicissitudes. Alors devant la virginité de sa mémoire, il va se mettre en quête. Il va tenter de savoir d'où il vient, qui il est. Remplir ces manques c'est se rattacher à une filiation qui ne lui a pas été transmise entre son dragon de grand-mère et sa douce maman, si soumise, sourde et avec une grave difficulté d'expression d'où l'inexistence de la transmission. D'ailleurs il écrit "La mémoire des pauvres est moins nourrie que celles des riches, elle a moins de repères dans l'espace puisqu'ils quittent rarement le lieu où ils vivent, moins de repères aussi dans le temps d'une vie uniforme et grise" C'est ainsi qu'il l'explique. L'écriture de Camus c'est un film qui se déroule sous les yeux du lecteur, c'est assez impressionnant d'entrer ainsi dans l'intimité de l'auteur, c'est une force, une puissance ou une pulsion de vie que sa plume. le lecteur est avec lui. J'ai beaucoup aimé les passages sur sa mère, sur son oncle Ernest, la partie de chasse, le capteur de chiens, le chien de son oncle, ses aventures avec son ami Pierre, mais surtout, son instituteur, Monsieur Bernard (Mr Germain) dont la dernière lettre est annexée au roman. Un vrai "passeur de lumière" que cet instituteur laïc. Dans ce livre, bien sur, Camus parle de la misère, de ces personnes qui travaillaient durement jusqu'à l'épuisement, qui comptaient sous par sous, qui avaient leur dignité, mais à aucun moment on ne tombe dans un pathos outrancier, non, c'est pittoresque, réjouissant, il y a beaucoup d'amour, de reconnaissance, de bonté sous sa plume.

Je tiens ici à remercier une amie Babeliote, Oran, qui m'a incitée à lire ce livre, sans son conseil, je serais passée à côté d'une oeuvre magistrale!
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Dans ce roman autobiographique inachevé, Camus évoque son enfance au sein d'une famille pauvre et illettrée au coeur des quartiers populaires d'Alger.
L'auteur trace un portrait aimant et tendre des personnes qui ont de toute évidence occupé une place importante dans sa vie.
Un récit émouvant aux souvenirs détaillés, il dépeint une Algérie ensoleillée, lumineuse, brûlante à l'ambiance joyeuse et chantante, une Algérie aux couleurs flamboyantes et aux senteurs sucrées.
Il évoque son père, mort alors qu'il n'avait qu'1 an, ce père absent qui malgré tout occupe en silence une place au coeur du foyer, personne n'en parle, le sujet est tabou mais la douleur est intacte. Il décrit une grand-mère tyrannique qui endosse le rôle de matriarche, elle gouverne ce clan familial avec une ténacité inépuisable. Il parle de sa mère avec une tendresse bouleversante, cette mère résignée certainement depuis la mort de son mari, une mère effacée, soumise mais aimante qui abandonne son rôle de maman pour le confier à la grand-mère, mais Camus ne la juge pas au contraire il lui voue presque un culte. Il rend également un bel hommage à son instituteur M. Germain, un homme investi qui va l'encourager et l'aider à poursuivre ses études, il devient un peu ce père qui a manqué à Camus.
Très différent des romans que j'ai lus de Camus, j'ai toutefois apprécié ce très beau texte à l'écriture somptueuse, j'ai été fortement impressionnée par le détail des lieux, des paysages, des souvenirs, des odeurs, de l'ambiance que décrit l'auteur.
C'est un retour vers son enfance, même si le récit est largement consacré à l'absence du père, Camus nous fait partager avec beaucoup d'émotion et de nostalgie une enfance miséreuse mais heureuse.
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Bien sûr, comme tout le monde ou presque j'ai lu : L'étranger et La peste mais je ne connaissais pas vraiment l'oeuvre de Camus.
Fascinée par la passion et l'admiration que partage ma fille pour Albert Camus, j'ai décidé de lire: le premier homme.
Je dois le dire, très sincèrement, la lecture de ce roman fut une révélation. Un livre que je n'oublierai pas.
D'abord, j'ai été happée par l'écriture de Camus, fascinante, elle nous porte aussi bien dans les recoins perdus de l'enfance que dans ce pays aux couleurs de miel, ce soleil ravageur qui peut rendre fou comme ce barbier qui tranche la gorge de son client.
Camus évoque son enfance, puis sa vie d'homme à la recherche de ce père qu'il n'a pas connu. Mort lors de la première guerre mondiale, même en se rendant sur sa sépulture rien ne lui parle.
Le début du livre est fracassant, cette arrivée sous la pluie dans un bled algérien, sa mère dans le dénuement quasi complet lui donne la vie.
Cette mère à qui il voudra toujours lui crier son amour mais qui ne l'entend pas ou peu, perdue dans une vie de labeur acharné. Sa seule distraction, rêver près de la fenêtre, contempler la vie des autres.
Ce qui m'a particulièrement touchée, c'est le pouvoir et l'évocation des lieux. On voit sans peine le petit Camus prend le tramway rouge, celui des pauvres, qui débouche sur la place du Gouverneur., les rues chargées de commerces de rues avec ces gâteaux dégoulinants de sucre.
Que dire de cette remise des prix au lycée, une fois par an sous ce ciel bleu et cette accablante chaleur.
Passionnant aussi cette évocation de ces colons débarqués d'un bateau , partant à la conquête de cette terre hostile.
Je n'aime pas d'habitude ce mot un peu grandiloquent de chef d'oeuvre mais le premier homme en est un incontestablement.
Le destin de Camus porte aussi une universalité de destins portés dans cette Algérie colonisée, dans la misère des humbles.

À lire ABSOLUMENT
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Lire Camus, c'est toujours entrer en paradis, paradis terrestre, s'il en est.
Dans ce texte autobiographique et dense rôde, comme en urgence, la volonté de ne rien se laisser perdre de l'instant vécu, la tentative de fixer les souvenirs pour l'éternité afin de transmettre la surabondance et le mouvement de la vie au coeur même de la pauvreté..
Camus manie son stylo comme une caméra : tout y est décrit avec une précision incroyable et le plus petit détail est mis en valeur à la lumière de sa mémoire, que, à l'image de la lumière d'Algérie, il sait si bien faire vibrer. Paysages, hommes, animaux, sensations, odeurs, sentiments, situations et contextes, tout est décrit dans cet amour de la vie qui les englobe dans une écriture serrée, énergique et hâtive, un peu dans un style "A bout de souffle". Roman nouvelle vague ? Il y a un peu de cela dans cette urgence à dire et à décrire -comme si Camus pressentait qu'il ne finirait pas ce texte- et dans ce réalisme où la grande générosité de l'écrivain s'ouvre sur un appel à vivre pleinement et profondément la vie.
Peut-être faut-il avoir un peu vécu et parvenir à la cinquantaine pour aimer vraiment Camus et sentir pour lui de la reconnaissance pour cet hymne à la vie, ce livre testament d'où se dégage un amour profond du monde et des êtres.
Et donc, en ces temps de sinistrose où on perd le sens de l'homme et de la beauté au profit du fric, j'aime. Passionnément.
Comme on se désaltère au cours d'une halte en milieu torride.
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Le Premier Homme est un roman inachevé et pour cause, les cent quarante-quatre pages, griffonnées, annotées, de ce manuscrit se trouvaient au fond de la sacoche d'Albert Camus dans l'accident de voiture qui fut fatal à l'écrivain et à son éditeur Michel Gallimard un certain 4 janvier 1960. L'ironie cruelle de cette histoire nous révèle qu'Albert Camus venait de passer les fêtes de fin d'année en famille dans sa propriété de Lourmarin, dans le Vaucluse en compagnie de son éditeur, de l'épouse et de la fille de celui-ci. Albert Camus avait prévu de rentrer par le train, il avait d'ailleurs déjà acheté les billets. Mais finalement, il accepta la proposition de son éditeur d'effectuer le voyage dans sa voiture. Il faut lire la merveilleuse correspondance d'Albert Camus avec son amante Maria Casarès, et notamment cette ultime lettre de l'écrivain qui se réjouit de retrouver la comédienne à Paris après les fêtes de fin d'année...
Les choses inachevées recèlent parfois un goût amer, mais aussi une beauté étrange et sourde que seule l'imagination sait en révéler l'éclat.
Le Premier Homme est une esquisse, un prélude, le début de quelque chose qui représentait peut-être une oeuvre autobiographique colossale déguisée sous l'aspect d'un roman. Mais à quoi bon se répandre en regrets, ce récit sous la forme qu'il nous est offerte nous est là, existe et il faut apprécier la joie qu'il nous procure. L'inachèvement est peut-être la meilleure manière d'écrire une autobiographie... Autant désormais s'en saisir comme une oeuvre totale et aboutie.
Il m'attendait depuis longtemps et je ne sais pas pourquoi j'hésitais à le lire. Ou plutôt je vais vous l'avouer, je savais qu'il s'agissait d'un livre inachevé et je craignais d'être frustré en atteignant les dernières pages du texte, de rester là comme un voyageur abandonné au milieu d'un gué...
Mais son caractère inachevé fait aussi la puissance et le mystère de ce livre que je considère tout simplement comme beau.
Le Premier Homme est le récit d'une enfance en Algérie.
Le livre démarre par une scène de naissance digne de la nativité, celle de Jacques Cormery, alias Albert Camus, mais il ne connaîtra pas son père car six mois plus tard celui-ci sera fauché par un obus au front, durant la première guerre mondiale lors de la bataille de la Marne. Il décèdera quelques jours plus tard dans un hôpital de Saint-Brieuc, nous sommes en octobre 1914, la guerre vient à peine de commencer. La scène du livre qui m'a le plus touché se situe quarante ans plus tard, lorsque Jacques Cormery, à la demande sa mère restée en Algérie, se rend sur la tombe de son père à Saint-Brieuc, un père qu'il n'a pas connu, dont il n'a par conséquent aucun souvenir, d'ailleurs dans une famille taiseuse comme la sienne, on ne parlait pas de ceux qui n'étaient plus là. Quelle n'est pas son émotion lorsque, se penchant sur l'inscription de la tombe où il lit les dates « 1885 – 1914 », il prend conscience subitement qu'il est désormais plus âgé que son père. Cette émotion crée un séisme en lui. D'ailleurs cette prise de conscience soudaine, Jacque comprend qu'il a eu un père qui a existé, un père jeune, aimant, avec ses doutes, sa force de l'âge, une vie dont il ne sait rien... Dans le bateau qui le ramène à Alger, ce tréfonds assourdissant qui ne cesse de raisonner, est-ce le bruit des vagues contre la coque ? Ce chapitre est sans doute le passage fondateur de tout le récit, il est d'une charge émotionnelle foudroyante, peut-être un texte majeur de la littérature française qu'il faudrait lire et faire étudier dans toutes les écoles.
Le Premier Homme est un récit habité par des femmes qu'on ne peut oublier, c'est souvent le cas lorsque les hommes sont morts à la guerre ou bien en mer... Il y a la grand-mère une vraie tigresse qui tient la maison d'une main de fer, la mère silencieuse, absente. Elles ne savent ni lire ni écrire. Jacques Cormery s'éveillent dans ce monde où il apprivoisera les mots d'une toute autre manière que les premières femmes de sa vie.
À chaque page, il y a un élan, une tendresse, une nostalgie, qui viennent se fracasser sur l'inachèvement de ce livre et qui nous ramènent à nos propres vies et nos tentatives parfois vaines de les faire aboutir tant bien que mal vers quelque chose qui a du sens, quelque chose qui nous fait tenir debout. L'écriture y est limpide, solaire.
Tout part souvent de l'enfance. Est-ce un hasard si le destin de ce manuscrit, foudroyé contre un platane comme son auteur en pleine force de l'âge, ne dépasse pas les chapitres de l'adolescence ?
Tout est là déjà pourtant. Les thèmes de la mémoire, de la filiation, de la transmission...
Et puis il y a des scènes pittoresques, parfois cruelles comme lorsque l'oncle de Jacques éconduit sauvagement ce séduisant Antoine soupçonné de venir courtiser sa mère, parfois cocasses lorsque la grand-mère tente de récupérer avec sa longue main une pièce de deux sous que Jacques dit avoir perdu au fond du trou figurant les toilettes dans le couloir de l'immeuble, parce qu'un sou est un sou.
Et puis, comment ne pas songer à cette anecdote plus tragique qui lui sera révélée plus tard, lorsque le père de Jacques souhaita un jour assister à une exécution capitale en public sur une place d'Alger, où le condamné, un ouvrier agricole avait assassiné dans des conditions atroces toute une famille chez laquelle il travaillait. le père ne se remit jamais d'avoir assisté à cette exécution, vomissant de toutes ses tripes à son retour, gardant de ce traumatisme une tache indélébile en lui ; comment ne pas alors songer à ce qui déclencha peut-être l'acte d'engagement d'Albert Camus contre la peine de mort, quelque chose qui avait fait viscéralement mal à ce père qu'il n'avait pas connu.
C'est un livre d'une incroyable humanité.
Le Premier Homme reste et restera à jamais un livre à venir, comme parfois le sont nos vies inachevées. Dans sept mois, lorsque je me pencherai sur la tombe de mon père avec lequel je n'ai peut-être pas assez parlé, je prendrai à mon tour conscience que je suis désormais plus âgé que lui...
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Années 20. Les rues d'Alger poussiéreuses sous le soleil de l'été, des bandes d'enfants courant vers la plage, les jeux, les bains de mer, la liberté. Jacques vit dans un quartier populaire avec sa grand-mère, femme autoritaire, sa mère murée dans le silence de sa surdité, son frère, un oncle, sourd également. L'existence est dure, pauvre mais heureuse ; la lumière du ciel, la proximité de la mer, font oublier les soucis. le père a été tué, loin de sa terre natale, durant la première guerre mondiale, en Bretagne. Jacques avait un an. Il se rendra sur sa tombe 40 ans plus tard puis partira à la recherche de ses traces. Qui était cet homme qu'il n'a pas connu ?

En septembre l'école reprend. C'est là que Jacques va découvrir la passion d'apprendre, de connaître le monde, de s'ouvrir vers l'ailleurs. Enfant doué et aimé par son instituteur, qui se consacre particulièrement aux orphelins, il va obtenir une bourse pour le lycée. Et devenir un élève brillant sans jamais renier ses origines...

Ce dernier roman d'Albert Camus, en fait sa biographie, resté inachevé à cause de sa mort prématurée, est intéressant à la fois pour mieux connaître l'écrivain mais également la vie des Français d'Algérie, loin des clichés qu'on a pu en faire par la suite. Beaucoup de gens pauvres y ont immigré pour tenter de mener une vie meilleure, des populations y vivaient qui n'avaient qu'un rapport lointain avec la France, dont les ancêtres avaient fuit l'Alsace, l'Espagne, la Russie...Une population qui n'était ni arabe ni française mais dont la terre était l'Algérie. Et ce pays qui n'était pas chargé d'Histoire comme la France, dont la chaleur était écrasante durant les mois d'été, dont les populations appartenaient à des cultures très différentes, dont la capitale, Alger, s'ouvre sur la mer et sur l'horizon, a profondément marqué la pensée de Camus.
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Parce que né sur une terre sans aïeux et sans mémoire de ceux qui l'ont précédé, parce que son père mort à la guerre lui est inconnu, parce que sa mère quasi-muette ne possédait que quelques mots, il est le premier homme. le premier de cette lignée a laissé une trace de son passage, le premier a essayé de soulever les voiles de sa vie pour comprendre son chemin et regarder les marques de ses pas.

J'ai tout aimé dans ce roman qui n'en est pas un. Tout d'abord, j'ai aimé l'écriture lumineuse, précise, sincère. Tous les sens sont en éveil lors de la lecture. On sent Alger dans ses odeurs de jasmin comme celles moins agréables de la pisse. On goûte les pâtisseries dégoulinantes d'huile et de miel. On se perd dans les ruelles ou sur les boulevards surchauffés et cuisants sous le soleil. On plonge dans l'eau délicieuse de la mer. On écoute chaque bruit, chaque parole avec avidité et passion. Chaque lieu est un tableau finement décrit.
Mais outre toutes ces descriptions picturales, ce sont surtout les hommes et femmes, qui peuplent ce roman, dont on se sent proches. Ils sont. Avec toutes leurs qualités ou tous leurs défauts, ils sont. Ils vivent, travaillent, s'épuisent, s'aiment, se battent, mentent, trichent. Ils se débattent sans s'appesantir sur leurs conditions tellement misérables. Parce que oui avant toutes choses, c'est bien la description d'une famille misérable dont il est question. Une famille vivant de peu, comptant sou par sou, mais dignement.
Que d'amour dans chaque détail ! D'abord le portrait de la mère toujours si seule et emmurée dans son silence. La grand-mère véritable duègne, sévère et grippe-sou. L'oncle Ernest, le pitre de la famille. Et puis les copains bien sûr ! C'est important les copains avec lesquels on s'invente des mondes, on oublie le quotidien, on s'appuie pour affronter l'inconnu. Mais surtout, il y a monsieur Germain l'instituteur. Sans lui, rien n'aurait commencé...

Albert Camus, par son écriture sensible, a su rendre compte de la misère, du poids du travail, du manque mais aussi et paradoxalement de la richesse de l'amitié et de cette quête d'identité sur laquelle tout homme construit ses bases et son histoire.
Beaucoup de passages m'ont émue. D'autres m'ont fait sourire ou m'ont indignée mais il est une chose certaine c'est que cet auteur a parfaitement marqué ma mémoire et je suis heureuse d'avoir approfondi ma connaissance de sa biographie : le roman graphique de Jacques Fernandez m'avait déjà profondément séduite.
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Un manuscrit trouvé dans la sacoche d'Albert Camus à la mort accidentelle de celui-ci, le récit d'une enfance à Alger, un récit en forme de présentation de l'homme et de son oeuvre, pour moi : les années d'études, paradoxalement, ne m'ont jamais donné la permission de le rencontrer, les enseignants ont tous leurs préférences et à la période où d'autres étudiaient "La Peste" ou "L'étranger", j'ai dû décortiquer "Huis Clos" et "Les mots" de Jean-Paul Sartre dont je n'ai jamais eu envie de relire aucun mot par la suite !
Plus tard, à l'âge où l'on choisit ses lectures en fonction de ses aspirations, Albert Camus m'est apparu, définitivement, comme un écrivain extrêmement "intimidant" à l'image du regard que je porte par exemple sur René Char, pour ne citer que lui (la liste serait trop longue !) et je n'ai jamais osé aller à sa découverte ne sachant par où commencer.
Le désir de la découverte était là, mais également la crainte de passer à côté d'une rencontre en choisissant mal. Il aura fallu attendre de croiser un ami sur Babélio, féru de l'oeuvre de l'écrivain, qui a su répondre avec empressement et patience à mes questions et me diriger vers la porte d'entrée d'écrits qu'il me tarde désormais de lire dans leur intégralité si j'en ai la possibilité.

"Le premier homme" est un texte inachevé qui s'arrête aux années de lycée. Devait suivre, si on lit les annexes, une partie sur l'adolescence qui ne sera jamais écrite. C'est le récit d'une enfance pauvre à Alger, une enfance sans père. Un père parti en 1914, mobilisé dans un régiment de Zouaves, mortellement blessé dans les combats de la Marne.
Enfance dans la famille maternelle, aux côtés d'une grand-mère sévère mais juste, un oncle sourd-muet qui l'aime et lui fait découvrir son métier manuel de tonnelier et le bonheur des journées passées dans la nature pour chasser, échappée bucolique à la fin des semaines de dur labeur.
Une mère sourde également, qui ne sait ni lire ni écrire, soumise à sa famille, aimante mais trop timide pour le lui dire, fière de lui mais trop discrète pour le montrer.
Et puis, la rencontre avec un instituteur qui croit en ce garçon dont le père a combattu comme lui mais qui n'est pas revenu de l'Hécatombe. Grâce à cet homme, s'ouvrent les portes du lycée...

De cette vie pauvre où tout se regarde mais rien ne se possède, où tout est superflu parce que tout manque, le regard de l'enfant demeure bienveillant dans sa misère : s'il faut travailler pour obtenir trois sous, il reste les livres qu'on peut emprunter à la bibliothèque et qui font voyager, si les rues sont le théâtre de la mort ou de la cruauté, il reste les échappées avec Pierre, l'ami de toujours, le complice.
Et finalement, cette enfance se fait moule de la vie future, des engagements de l'homme adulte, enfance semée d'affection, libre mais appliquée qui devient germe de tolérance pour les différences, ethniques ou de handicap, de conditions, pavée d'une avidité de savoir et de lire, désireuse d'ouvrir grands les yeux sur la nature qui l'entoure.
Chez le jeune garçon, il y a toujours le désir de l'écoute, celui de comprendre, désirs qui seront décuplés à l'âge adulte de celui qui revient visiter sa mère et devient témoin des affrontements qui déchirent l'Algérie.

Ce n'est pas la nationalité, la religion, la terre qui parlent d'un homme mais sa propension à laisser, en toute occasion, parler l'humanité qui l'habite, ainsi est le regard que pose le garçon devenu adulte sur ses semblables, avec le désir de les comprendre dans leurs choix et dans leurs gestes.


(Juin 2021)
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Re...re...lecture pour constituer un dossier pédagogique à destination de collégiens.
un nouvel axe pour moi au-delà de ce travail et de cette relecture, rechercher dans ce roman biographique les dix mots préférés de Camus et leur interprétation "le monde, la douleur, la terre, la mère, les hommes, le désert, l'honneur, la misère, l'été, la mer"(Carnet III Mars 1951 – Juillet 1954).leur abondance confirme effectivement cette liste.
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Lorsque le prix Nobel de littérature lui a été décerné en 1957, Albert Camus a réservé à son ancien instituteur, monsieur Louis Germain, une lettre qui commence par ces mots : « J'ai laissé s'éteindre un peu le bruit qui m'a entouré tous ces jours-ci avant de venir vous parler de tout mon coeur."

Cette introduction exprime déjà à elle seule ce que sera la teneur de son ouvrage, non encore ébauché en 1957, Le premier homme: une déclaration d'amour filial adressé à celui qui aura été pour Albert Camus un véritable père de substitution. Le sien ayant été soustrait à son affection dès les premiers jours de la guerre, en 1914. Une déclaration d'amour aussi à celle avec laquelle il communiquait si peu : sa mère.

Albert camus n'avait pas achevé l'écriture de cet ouvrage lorsqu'il a trouvé la mort en 1960, dans un accident de la circulation. Aussi ai-je ressenti comme une effraction de l'intimité de la personne le fait de prendre connaissance dans cette édition tardive d'un texte non abouti, que l'auteur lui-même n'aurait certainement pas voulu voir publier en l'état. Il comportait alors autant d'annotations qu'Albert Camus s'adressait à lui-même quant à la mise en forme définitive de son ouvrage, l'appellation des personnages, la teneur même de ses révélations pour un ouvrage foncièrement auto biographique. Son titre même n'était pas déterminé. La forme narrative n'aurait-elle pas été au final rédigée à la première personne ? Jacques ne serait-il devenu tout simplement Albert ?

Il n'en reste pas moins que la relation de cette volonté de vouloir faire connaissance avec son père, en recherchant des témoins de sa vie, pour un enfant qui se reproche presque d'avoir atteint un âge qui n'a pas été autorisé à ce père, est très émouvante. le manque fondamental exprimé tout au long de ce texte est d'autant plus poignant qu'il ne cherche pas à l'être. La vie, sa vie était comme ça.

Dans la relation de cette prime adolescence, on sent déjà poindre en germes les tiraillements qui fonderont les interrogations fondamentales de l'auteur par rapport à la vie et son côté absurde. La recherche d'une cohérence de l'état de vie par rapport à la conscience de vie. Les prédispositions politiques aussi de l'homme, dont l'enfant qu'il a été avait déjà bien compris que la colonisation comporte son lot d'interrogations, de malaises, voire d'immoralités. Autant de développements philosophiques et sociologiques qui n'auraient à n'en pas douter peuplé les idées du jeune homme et de l'adulte, héros d'autres tomes que ce premier nous laissait appeler de nos voeux.

La personne qui écrit ne devient auteur que lorsqu'elle a mis le point final à son oeuvre et décidé de la livrer à son éditeur. Avant, elle reste une personne en proie à ses doutes, à ses choix quant à ses révélations. Avant, celui qui porte les yeux sur son texte sans son consentement est un intrus. Mais avec Albert Camus, j'ai bien voulu l'être cet intrus. Intrus de l'immense talent. N'est ce pas aussi lui rendre hommage que de se passionner pour ses hésitations, ses doutes ? Se passionner pour l'homme donc, avant qu'il ne devienne l'auteur de son ouvrage en lui mettant son point final.

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