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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Le manuscrit du Premier Homme a été retrouvé dans la sacoche de Camus au moment de sa mort. C'est une épreuve originelle d'une très grande qualité et qui permet au lecteur de savourer pleinement l'écriture d'Albert Camus. Elle porte en elle les germes de son oeuvre. Elle permet au lecteur qui ne pouvait apprécier "La peste ou l'Etranger" (comme moi) d'entrer en contact avec sa personnalité. J'ai lu ce roman comme un message d'adieu, comme si l'auteur avait eu besoin de jeter un éclairage sur son oeuvre. C'est très beau, très émouvant. Les mots qui reviennent sont "ignorance, misère, mémoire, racines, révolte, amour, droiture" et pourtant, à lire cette oeuvre autobiographique, sa jeunesse a été heureuse dans un milieu de grande pauvreté et de dur labeur. de cette difficile réalité et de sa soif de vivre, il a su en faire un prix Nobel, sa révolte a été pour lui un moteur. Ce roman démarre avec Jacques Cormery, 40 ans, le narrateur, qui rend visite à un vieil ami ayant pris sa retraite à Saint-Brieuc. L'occasion lui permet de se rendre sur la tombe de son père qui est mort au combat en 1914 et qu'il n'a pas connu puisqu'il n'avait qu'un an. Pour lui cette visite n'a aucun sens mais elle répond à un souhait de sa mère restée en Algérie. Dans son milieu familial, on ne parle pas du disparu. Il ignore tout de son père et à ce moment là, ce n'est pas un souci pour lui jusqu'à ce qu'il découvre l'inscription inscrite sur la tombe de son père "1885 - 1914". "L'homme qui était enterré sous cette dalle et qui avait été son père était plus jeune que lui au moment de sa mort". Cette prise de conscience est comme un déclic. Jacques va alors comprendre que son père a eu une vie avant lui dont il ignore tout, que cet homme a souffert, aimé, qu'il a été un être de chair et de sang, qu'il a connu bien des vicissitudes. Alors devant la virginité de sa mémoire, il va se mettre en quête. Il va tenter de savoir d'où il vient, qui il est. Remplir ces manques c'est se rattacher à une filiation qui ne lui a pas été transmise entre son dragon de grand-mère et sa douce maman, si soumise, sourde et avec une grave difficulté d'expression d'où l'inexistence de la transmission. D'ailleurs il écrit "La mémoire des pauvres est moins nourrie que celles des riches, elle a moins de repères dans l'espace puisqu'ils quittent rarement le lieu où ils vivent, moins de repères aussi dans le temps d'une vie uniforme et grise" C'est ainsi qu'il l'explique. L'écriture de Camus c'est un film qui se déroule sous les yeux du lecteur, c'est assez impressionnant d'entrer ainsi dans l'intimité de l'auteur, c'est une force, une puissance ou une pulsion de vie que sa plume. le lecteur est avec lui. J'ai beaucoup aimé les passages sur sa mère, sur son oncle Ernest, la partie de chasse, le capteur de chiens, le chien de son oncle, ses aventures avec son ami Pierre, mais surtout, son instituteur, Monsieur Bernard (Mr Germain) dont la dernière lettre est annexée au roman. Un vrai "passeur de lumière" que cet instituteur laïc. Dans ce livre, bien sur, Camus parle de la misère, de ces personnes qui travaillaient durement jusqu'à l'épuisement, qui comptaient sous par sous, qui avaient leur dignité, mais à aucun moment on ne tombe dans un pathos outrancier, non, c'est pittoresque, réjouissant, il y a beaucoup d'amour, de reconnaissance, de bonté sous sa plume.

Je tiens ici à remercier une amie Babeliote, Oran, qui m'a incitée à lire ce livre, sans son conseil, je serais passée à côté d'une oeuvre magistrale!
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Bien sûr, comme tout le monde ou presque j'ai lu : L'étranger et La peste mais je ne connaissais pas vraiment l'oeuvre de Camus.
Fascinée par la passion et l'admiration que partage ma fille pour Albert Camus, j'ai décidé de lire: le premier homme.
Je dois le dire, très sincèrement, la lecture de ce roman fut une révélation. Un livre que je n'oublierai pas.
D'abord, j'ai été happée par l'écriture de Camus, fascinante, elle nous porte aussi bien dans les recoins perdus de l'enfance que dans ce pays aux couleurs de miel, ce soleil ravageur qui peut rendre fou comme ce barbier qui tranche la gorge de son client.
Camus évoque son enfance, puis sa vie d'homme à la recherche de ce père qu'il n'a pas connu. Mort lors de la première guerre mondiale, même en se rendant sur sa sépulture rien ne lui parle.
Le début du livre est fracassant, cette arrivée sous la pluie dans un bled algérien, sa mère dans le dénuement quasi complet lui donne la vie.
Cette mère à qui il voudra toujours lui crier son amour mais qui ne l'entend pas ou peu, perdue dans une vie de labeur acharné. Sa seule distraction, rêver près de la fenêtre, contempler la vie des autres.
Ce qui m'a particulièrement touchée, c'est le pouvoir et l'évocation des lieux. On voit sans peine le petit Camus prend le tramway rouge, celui des pauvres, qui débouche sur la place du Gouverneur., les rues chargées de commerces de rues avec ces gâteaux dégoulinants de sucre.
Que dire de cette remise des prix au lycée, une fois par an sous ce ciel bleu et cette accablante chaleur.
Passionnant aussi cette évocation de ces colons débarqués d'un bateau , partant à la conquête de cette terre hostile.
Je n'aime pas d'habitude ce mot un peu grandiloquent de chef d'oeuvre mais le premier homme en est un incontestablement.
Le destin de Camus porte aussi une universalité de destins portés dans cette Algérie colonisée, dans la misère des humbles.

À lire ABSOLUMENT
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Lire Camus, c'est toujours entrer en paradis, paradis terrestre, s'il en est.
Dans ce texte autobiographique et dense rôde, comme en urgence, la volonté de ne rien se laisser perdre de l'instant vécu, la tentative de fixer les souvenirs pour l'éternité afin de transmettre la surabondance et le mouvement de la vie au coeur même de la pauvreté..
Camus manie son stylo comme une caméra : tout y est décrit avec une précision incroyable et le plus petit détail est mis en valeur à la lumière de sa mémoire, que, à l'image de la lumière d'Algérie, il sait si bien faire vibrer. Paysages, hommes, animaux, sensations, odeurs, sentiments, situations et contextes, tout est décrit dans cet amour de la vie qui les englobe dans une écriture serrée, énergique et hâtive, un peu dans un style "A bout de souffle". Roman nouvelle vague ? Il y a un peu de cela dans cette urgence à dire et à décrire -comme si Camus pressentait qu'il ne finirait pas ce texte- et dans ce réalisme où la grande générosité de l'écrivain s'ouvre sur un appel à vivre pleinement et profondément la vie.
Peut-être faut-il avoir un peu vécu et parvenir à la cinquantaine pour aimer vraiment Camus et sentir pour lui de la reconnaissance pour cet hymne à la vie, ce livre testament d'où se dégage un amour profond du monde et des êtres.
Et donc, en ces temps de sinistrose où on perd le sens de l'homme et de la beauté au profit du fric, j'aime. Passionnément.
Comme on se désaltère au cours d'une halte en milieu torride.
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Le Premier Homme est un roman inachevé et pour cause, les cent quarante-quatre pages, griffonnées, annotées, de ce manuscrit se trouvaient au fond de la sacoche d'Albert Camus dans l'accident de voiture qui fut fatal à l'écrivain et à son éditeur Michel Gallimard un certain 4 janvier 1960. L'ironie cruelle de cette histoire nous révèle qu'Albert Camus venait de passer les fêtes de fin d'année en famille dans sa propriété de Lourmarin, dans le Vaucluse en compagnie de son éditeur, de l'épouse et de la fille de celui-ci. Albert Camus avait prévu de rentrer par le train, il avait d'ailleurs déjà acheté les billets. Mais finalement, il accepta la proposition de son éditeur d'effectuer le voyage dans sa voiture. Il faut lire la merveilleuse correspondance d'Albert Camus avec son amante Maria Casarès, et notamment cette ultime lettre de l'écrivain qui se réjouit de retrouver la comédienne à Paris après les fêtes de fin d'année...
Les choses inachevées recèlent parfois un goût amer, mais aussi une beauté étrange et sourde que seule l'imagination sait en révéler l'éclat.
Le Premier Homme est une esquisse, un prélude, le début de quelque chose qui représentait peut-être une oeuvre autobiographique colossale déguisée sous l'aspect d'un roman. Mais à quoi bon se répandre en regrets, ce récit sous la forme qu'il nous est offerte nous est là, existe et il faut apprécier la joie qu'il nous procure. L'inachèvement est peut-être la meilleure manière d'écrire une autobiographie... Autant désormais s'en saisir comme une oeuvre totale et aboutie.
Il m'attendait depuis longtemps et je ne sais pas pourquoi j'hésitais à le lire. Ou plutôt je vais vous l'avouer, je savais qu'il s'agissait d'un livre inachevé et je craignais d'être frustré en atteignant les dernières pages du texte, de rester là comme un voyageur abandonné au milieu d'un gué...
Mais son caractère inachevé fait aussi la puissance et le mystère de ce livre que je considère tout simplement comme beau.
Le Premier Homme est le récit d'une enfance en Algérie.
Le livre démarre par une scène de naissance digne de la nativité, celle de Jacques Cormery, alias Albert Camus, mais il ne connaîtra pas son père car six mois plus tard celui-ci sera fauché par un obus au front, durant la première guerre mondiale lors de la bataille de la Marne. Il décèdera quelques jours plus tard dans un hôpital de Saint-Brieuc, nous sommes en octobre 1914, la guerre vient à peine de commencer. La scène du livre qui m'a le plus touché se situe quarante ans plus tard, lorsque Jacques Cormery, à la demande sa mère restée en Algérie, se rend sur la tombe de son père à Saint-Brieuc, un père qu'il n'a pas connu, dont il n'a par conséquent aucun souvenir, d'ailleurs dans une famille taiseuse comme la sienne, on ne parlait pas de ceux qui n'étaient plus là. Quelle n'est pas son émotion lorsque, se penchant sur l'inscription de la tombe où il lit les dates « 1885 – 1914 », il prend conscience subitement qu'il est désormais plus âgé que son père. Cette émotion crée un séisme en lui. D'ailleurs cette prise de conscience soudaine, Jacque comprend qu'il a eu un père qui a existé, un père jeune, aimant, avec ses doutes, sa force de l'âge, une vie dont il ne sait rien... Dans le bateau qui le ramène à Alger, ce tréfonds assourdissant qui ne cesse de raisonner, est-ce le bruit des vagues contre la coque ? Ce chapitre est sans doute le passage fondateur de tout le récit, il est d'une charge émotionnelle foudroyante, peut-être un texte majeur de la littérature française qu'il faudrait lire et faire étudier dans toutes les écoles.
Le Premier Homme est un récit habité par des femmes qu'on ne peut oublier, c'est souvent le cas lorsque les hommes sont morts à la guerre ou bien en mer... Il y a la grand-mère une vraie tigresse qui tient la maison d'une main de fer, la mère silencieuse, absente. Elles ne savent ni lire ni écrire. Jacques Cormery s'éveillent dans ce monde où il apprivoisera les mots d'une toute autre manière que les premières femmes de sa vie.
À chaque page, il y a un élan, une tendresse, une nostalgie, qui viennent se fracasser sur l'inachèvement de ce livre et qui nous ramènent à nos propres vies et nos tentatives parfois vaines de les faire aboutir tant bien que mal vers quelque chose qui a du sens, quelque chose qui nous fait tenir debout. L'écriture y est limpide, solaire.
Tout part souvent de l'enfance. Est-ce un hasard si le destin de ce manuscrit, foudroyé contre un platane comme son auteur en pleine force de l'âge, ne dépasse pas les chapitres de l'adolescence ?
Tout est là déjà pourtant. Les thèmes de la mémoire, de la filiation, de la transmission...
Et puis il y a des scènes pittoresques, parfois cruelles comme lorsque l'oncle de Jacques éconduit sauvagement ce séduisant Antoine soupçonné de venir courtiser sa mère, parfois cocasses lorsque la grand-mère tente de récupérer avec sa longue main une pièce de deux sous que Jacques dit avoir perdu au fond du trou figurant les toilettes dans le couloir de l'immeuble, parce qu'un sou est un sou.
Et puis, comment ne pas songer à cette anecdote plus tragique qui lui sera révélée plus tard, lorsque le père de Jacques souhaita un jour assister à une exécution capitale en public sur une place d'Alger, où le condamné, un ouvrier agricole avait assassiné dans des conditions atroces toute une famille chez laquelle il travaillait. le père ne se remit jamais d'avoir assisté à cette exécution, vomissant de toutes ses tripes à son retour, gardant de ce traumatisme une tache indélébile en lui ; comment ne pas alors songer à ce qui déclencha peut-être l'acte d'engagement d'Albert Camus contre la peine de mort, quelque chose qui avait fait viscéralement mal à ce père qu'il n'avait pas connu.
C'est un livre d'une incroyable humanité.
Le Premier Homme reste et restera à jamais un livre à venir, comme parfois le sont nos vies inachevées. Dans sept mois, lorsque je me pencherai sur la tombe de mon père avec lequel je n'ai peut-être pas assez parlé, je prendrai à mon tour conscience que je suis désormais plus âgé que lui...
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Parce que né sur une terre sans aïeux et sans mémoire de ceux qui l'ont précédé, parce que son père mort à la guerre lui est inconnu, parce que sa mère quasi-muette ne possédait que quelques mots, il est le premier homme. le premier de cette lignée a laissé une trace de son passage, le premier a essayé de soulever les voiles de sa vie pour comprendre son chemin et regarder les marques de ses pas.

J'ai tout aimé dans ce roman qui n'en est pas un. Tout d'abord, j'ai aimé l'écriture lumineuse, précise, sincère. Tous les sens sont en éveil lors de la lecture. On sent Alger dans ses odeurs de jasmin comme celles moins agréables de la pisse. On goûte les pâtisseries dégoulinantes d'huile et de miel. On se perd dans les ruelles ou sur les boulevards surchauffés et cuisants sous le soleil. On plonge dans l'eau délicieuse de la mer. On écoute chaque bruit, chaque parole avec avidité et passion. Chaque lieu est un tableau finement décrit.
Mais outre toutes ces descriptions picturales, ce sont surtout les hommes et femmes, qui peuplent ce roman, dont on se sent proches. Ils sont. Avec toutes leurs qualités ou tous leurs défauts, ils sont. Ils vivent, travaillent, s'épuisent, s'aiment, se battent, mentent, trichent. Ils se débattent sans s'appesantir sur leurs conditions tellement misérables. Parce que oui avant toutes choses, c'est bien la description d'une famille misérable dont il est question. Une famille vivant de peu, comptant sou par sou, mais dignement.
Que d'amour dans chaque détail ! D'abord le portrait de la mère toujours si seule et emmurée dans son silence. La grand-mère véritable duègne, sévère et grippe-sou. L'oncle Ernest, le pitre de la famille. Et puis les copains bien sûr ! C'est important les copains avec lesquels on s'invente des mondes, on oublie le quotidien, on s'appuie pour affronter l'inconnu. Mais surtout, il y a monsieur Germain l'instituteur. Sans lui, rien n'aurait commencé...

Albert Camus, par son écriture sensible, a su rendre compte de la misère, du poids du travail, du manque mais aussi et paradoxalement de la richesse de l'amitié et de cette quête d'identité sur laquelle tout homme construit ses bases et son histoire.
Beaucoup de passages m'ont émue. D'autres m'ont fait sourire ou m'ont indignée mais il est une chose certaine c'est que cet auteur a parfaitement marqué ma mémoire et je suis heureuse d'avoir approfondi ma connaissance de sa biographie : le roman graphique de Jacques Fernandez m'avait déjà profondément séduite.
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Un manuscrit trouvé dans la sacoche d'Albert Camus à la mort accidentelle de celui-ci, le récit d'une enfance à Alger, un récit en forme de présentation de l'homme et de son oeuvre, pour moi : les années d'études, paradoxalement, ne m'ont jamais donné la permission de le rencontrer, les enseignants ont tous leurs préférences et à la période où d'autres étudiaient "La Peste" ou "L'étranger", j'ai dû décortiquer "Huis Clos" et "Les mots" de Jean-Paul Sartre dont je n'ai jamais eu envie de relire aucun mot par la suite !
Plus tard, à l'âge où l'on choisit ses lectures en fonction de ses aspirations, Albert Camus m'est apparu, définitivement, comme un écrivain extrêmement "intimidant" à l'image du regard que je porte par exemple sur René Char, pour ne citer que lui (la liste serait trop longue !) et je n'ai jamais osé aller à sa découverte ne sachant par où commencer.
Le désir de la découverte était là, mais également la crainte de passer à côté d'une rencontre en choisissant mal. Il aura fallu attendre de croiser un ami sur Babélio, féru de l'oeuvre de l'écrivain, qui a su répondre avec empressement et patience à mes questions et me diriger vers la porte d'entrée d'écrits qu'il me tarde désormais de lire dans leur intégralité si j'en ai la possibilité.

"Le premier homme" est un texte inachevé qui s'arrête aux années de lycée. Devait suivre, si on lit les annexes, une partie sur l'adolescence qui ne sera jamais écrite. C'est le récit d'une enfance pauvre à Alger, une enfance sans père. Un père parti en 1914, mobilisé dans un régiment de Zouaves, mortellement blessé dans les combats de la Marne.
Enfance dans la famille maternelle, aux côtés d'une grand-mère sévère mais juste, un oncle sourd-muet qui l'aime et lui fait découvrir son métier manuel de tonnelier et le bonheur des journées passées dans la nature pour chasser, échappée bucolique à la fin des semaines de dur labeur.
Une mère sourde également, qui ne sait ni lire ni écrire, soumise à sa famille, aimante mais trop timide pour le lui dire, fière de lui mais trop discrète pour le montrer.
Et puis, la rencontre avec un instituteur qui croit en ce garçon dont le père a combattu comme lui mais qui n'est pas revenu de l'Hécatombe. Grâce à cet homme, s'ouvrent les portes du lycée...

De cette vie pauvre où tout se regarde mais rien ne se possède, où tout est superflu parce que tout manque, le regard de l'enfant demeure bienveillant dans sa misère : s'il faut travailler pour obtenir trois sous, il reste les livres qu'on peut emprunter à la bibliothèque et qui font voyager, si les rues sont le théâtre de la mort ou de la cruauté, il reste les échappées avec Pierre, l'ami de toujours, le complice.
Et finalement, cette enfance se fait moule de la vie future, des engagements de l'homme adulte, enfance semée d'affection, libre mais appliquée qui devient germe de tolérance pour les différences, ethniques ou de handicap, de conditions, pavée d'une avidité de savoir et de lire, désireuse d'ouvrir grands les yeux sur la nature qui l'entoure.
Chez le jeune garçon, il y a toujours le désir de l'écoute, celui de comprendre, désirs qui seront décuplés à l'âge adulte de celui qui revient visiter sa mère et devient témoin des affrontements qui déchirent l'Algérie.

Ce n'est pas la nationalité, la religion, la terre qui parlent d'un homme mais sa propension à laisser, en toute occasion, parler l'humanité qui l'habite, ainsi est le regard que pose le garçon devenu adulte sur ses semblables, avec le désir de les comprendre dans leurs choix et dans leurs gestes.


(Juin 2021)
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Lorsque le prix Nobel de littérature lui a été décerné en 1957, Albert Camus a réservé à son ancien instituteur, monsieur Louis Germain, une lettre qui commence par ces mots : « J'ai laissé s'éteindre un peu le bruit qui m'a entouré tous ces jours-ci avant de venir vous parler de tout mon coeur."

Cette introduction exprime déjà à elle seule ce que sera la teneur de son ouvrage, non encore ébauché en 1957, Le premier homme: une déclaration d'amour filial adressé à celui qui aura été pour Albert Camus un véritable père de substitution. Le sien ayant été soustrait à son affection dès les premiers jours de la guerre, en 1914. Une déclaration d'amour aussi à celle avec laquelle il communiquait si peu : sa mère.

Albert camus n'avait pas achevé l'écriture de cet ouvrage lorsqu'il a trouvé la mort en 1960, dans un accident de la circulation. Aussi ai-je ressenti comme une effraction de l'intimité de la personne le fait de prendre connaissance dans cette édition tardive d'un texte non abouti, que l'auteur lui-même n'aurait certainement pas voulu voir publier en l'état. Il comportait alors autant d'annotations qu'Albert Camus s'adressait à lui-même quant à la mise en forme définitive de son ouvrage, l'appellation des personnages, la teneur même de ses révélations pour un ouvrage foncièrement auto biographique. Son titre même n'était pas déterminé. La forme narrative n'aurait-elle pas été au final rédigée à la première personne ? Jacques ne serait-il devenu tout simplement Albert ?

Il n'en reste pas moins que la relation de cette volonté de vouloir faire connaissance avec son père, en recherchant des témoins de sa vie, pour un enfant qui se reproche presque d'avoir atteint un âge qui n'a pas été autorisé à ce père, est très émouvante. le manque fondamental exprimé tout au long de ce texte est d'autant plus poignant qu'il ne cherche pas à l'être. La vie, sa vie était comme ça.

Dans la relation de cette prime adolescence, on sent déjà poindre en germes les tiraillements qui fonderont les interrogations fondamentales de l'auteur par rapport à la vie et son côté absurde. La recherche d'une cohérence de l'état de vie par rapport à la conscience de vie. Les prédispositions politiques aussi de l'homme, dont l'enfant qu'il a été avait déjà bien compris que la colonisation comporte son lot d'interrogations, de malaises, voire d'immoralités. Autant de développements philosophiques et sociologiques qui n'auraient à n'en pas douter peuplé les idées du jeune homme et de l'adulte, héros d'autres tomes que ce premier nous laissait appeler de nos voeux.

La personne qui écrit ne devient auteur que lorsqu'elle a mis le point final à son oeuvre et décidé de la livrer à son éditeur. Avant, elle reste une personne en proie à ses doutes, à ses choix quant à ses révélations. Avant, celui qui porte les yeux sur son texte sans son consentement est un intrus. Mais avec Albert Camus, j'ai bien voulu l'être cet intrus. Intrus de l'immense talent. N'est ce pas aussi lui rendre hommage que de se passionner pour ses hésitations, ses doutes ? Se passionner pour l'homme donc, avant qu'il ne devienne l'auteur de son ouvrage en lui mettant son point final.

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De ce dernier roman un tiers seulement avait été rédigé, lorsqu'on l'a retrouvé dans la carcasse de la voiture qui a tué Camus quelques instants plus tôt. Certains disent que c'est « l'oeuvre la plus importante de la production romanesque de l'auteur et l'un des chefs-d'oeuvre de la littérature du XXe siècle ». Difficile d'en douter, j'ai été soufflée par ce magnifique texte.

Très vite des questions me sont venues à l'esprit…
A-t-il voulu écrire « Le premier homme » pour expliquer ce qu'il était, d'où il venait ?
L'a-t-il écrit pour éclairer ses écrits précédents ?
J'ai en effet pu relire d'un autre oeil « L'étranger », « La peste… » juste après. Quel bonheur !

Sans aucun artifice… assurément « le premier homme » nous révèle la personnalité d'Albert CAMUS. Comme un terrible et émouvant message d'adieu, j'ai trouvé que cette lecture se transforme rapidement en film, tant les images animées défilent sous nos yeux. Description et profondeur des émotions sont merveilleusement rendues. Puis quand la plume de Camus s'est faite caméra, ce sont alors la force et la portée de son texte qui terminent l'explosion d'amour, de respect, de nostalgie, à l'encontre des siens.

Le roman… Août 1957. Jacques Cormery, écrivain quarantenaire se rend sur la tombe de son père mort au combat en 1914 alors qu'il n'avait qu'un an. Cette visite répond à un souhait de sa mère restée en Algérie. Il n'a pas vraiment d'attente quand à ce recueillement, mais lorsqu'il réalise que  "L'homme qui était enterré sous cette dalle et qui avait été son père était plus jeune que lui au moment de sa mort", un déclic s'opère. Une quête démarre … connaître son histoire et celle de sa famille si secrète et si particulière.
Pour se faire, il retourne à Alger pour visiter sa mère…les souvenirs affluent, son enfance, ses années d'école, l'Algérie d'avant les conflits…

"Le premier homme", c'est avant tout le récit de l'humilité et l'acceptation de ses contradictions, mais ce qui m'a profondément touchée c'est le levier républicain de l'école publique d'alors raconté au travers de la personnalité de son représentant, l'instituteur à la fois brute et agneau, Monsieur GERMAIN. A la fin de l'ouvrage, on trouvera le discours de Camus qu'il lui a adressé, lors de la réception de son Prix Nobel de Littérature, ainsi que la réponse de Monsieur Germain.

Au cours de la lecture, nous comprenons qu'il EST le premier homme parce qu'il est démuni économiquement parlant, solitaire, mais solidaire, et il nous raconte la terre algérienne, l'arrivée des ascendants, les Mahonnais du Sahel, les Alsaciens des Hauts Plateaux, le traumatisme de la guerre 14-18 d'un continent à l'autre, les algériens, l'ostracisme de la part des autres colons français, la pauvreté, l'illettrisme, la surdité de la mère, le pouvoir élévateur de l'école publique quand elle est engagée…

C'est une grande page d'histoire qui s'ouvre à nous. Mais c'est avant tout celui du récit d'exil familial pour le narrateur, peut-être un parallèle avec l'exil intellectuel dans lequel la gauche française tentera de le clouer.

Dans cet ouvrage "incomplet", et pourtant remarquable tant par le fond que par la forme, j'ai trouvé le texte d'autant plus fort et délectable, que la plume de Camus mélange à la fois, paradoxalement, vibrante austérité et extrême sensibilité. L'écriture est juste incroyable...

Et puis, ultime qualité, le fait qu'au-delà de son histoire familiale, Camus ait eu le courage d'offrir la parole à ceux qui n'en ont jamais eu, à ceux qui ne peuvent pas parler d'autant plus que "La mémoire des pauvres est moins nourrie que celles des riches, elle a moins de repères dans l'espace puisqu'ils quittent rarement le lieu où ils vivent, moins de repères aussi dans le temps d'une vie uniforme et grise".
Lien : http://justelire.fr/le-premi..
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J'essaie en ce moment de combler mes manques dans les auteurs que j'admire et que j'aime.
Ainsi en-est-il d'Albert Camus, cet homme de vérité et de courage qui est pour moi plus qu'un écrivain, mais plutôt une voix pour ma conscience.

Et me voilà avoir terminé, le coeur serré, le premier homme.
Je me demandais si je n'allais pas être déçu par ce livre inachevé dont le manuscrit fut retrouvé dans la sacoche de Camus après le terrible accident de voiture qui lui coûta la vie, accident dont je me souviens comme si c'était hier, tant cette nouvelle apprise à la radio avait bouleversé mon père.
Mais il y a quelques mois, j'ai lu l'excellente critique de mon ami babeliote Berni29, qui faisait état de la même appréhension que la mienne, et puis il y avait tant de commentaires de qualité et enthousiastes de mes amies et amis babeliotes qu'il n'y avait pas lieu d'hésiter.

Et en effet, ce livre largement autobiographique, que sa fille Catherine Camus a choisi de publier en 1994, est suffisamment achevé, malgré quelques imperfections, quelques mots absents car illisibles, pour nous éblouir par sa qualité d'écriture et nous émouvoir par le récit de la naissance, de l'enfance, de l'adolescence de Jacques Cormery (nom d'un ancêtre de Camus du côté de sa mère) alias Albert Camus. Sans doute le grand écrivain l'aurait-il remanié pour atténuer le caractère autobiographique, Mais, dans cet état, le livre est d'une force et d'une sincérité émouvantes.
Il est accompagné en annexes de notes et d'un plan pour le livre rédigés par Camus, ainsi que de la lettre écrite à Mr Germain juste après la réception du prix Nobel, et une lettre de Mr Germain pleine de saveur.

Camus nous donne à voir de façon saisissante différents épisodes de son enfance, avec tant de descriptions extraordinaires, telles la partie de chasse avec l'oncle Ernest, ou les enfants essayant d'empêcher que les chiens du quartier soient capturés par le capteur de chiens, ou l'égorgement de la poule… La narration est quasi-cinématographique, vive et précise.

Mais, c'est surtout le récit, sans complaisance, de la vie de cet enfant au sein d'une famille pauvre, qui est bouleversant de sincérité et d'humanité. Un père qu'il n'a pas connu car tué au début de la guerre 14-18, et qui n'apparaît qu'au début dans l'épisode de la naissance raconté comme une Nativité, et plus tard, pour y citer son horreur de l'exécution capitale d'un homme à laquelle il a assisté, un père sur la tombe de laquelle le narrateur ira, à la demande de sa mère alors qu'il a quarante ans, pour y réaliser avec émotion que ce père dont il n'a pas de souvenir, est mort à 28 ans, bien plus jeune que lui.
Il y a la mère tant aimée, une mère si attentive à son fils, bien qu'illettrée et quasi sourde, la grand-mère qui dirige la famille d'une main de fer, et à l'occasion un nerf de boeuf, l'oncle Ernest qui est sourd lui aussi et a des difficultés pour parler, et puis ses camarades d'école dans ce quartier populaire, dont l'ami Pierre, et tous leurs jeux, leurs parties de foot, leurs bêtises, surtout celles du narrateur, et au passage on découvre que Jacques alias Albert était un enfant remuant, bagarreur et souvent dissipé à l'école. Au total, une enfance dans un milieu pauvre, mais une enfance si heureuse traversée par une formidable envie de vivre.

Et puis, il y a Mr Bernard, alias Mr Germain, l'instituteur bien aimé qui lui a tendu la main, et qui persuadera la famille de « Jacques » de le laisser étudier au Lycée, et auquel Camus écrira cette lettre célèbre lors de sa réception au Nobel de littérature en 1957.

Et puis, plus troublant, dans les dernières pages, est évoqué le conflit latent entre Français et Arabes, et ceci bien avant le début de la guerre d'Algérie.

J'y ai découvert avec émotion la vitalité extraordinaire, la détermination mais aussi la sensibilité d'Albert Camus, et puis son empathie pour les gens.
Toutes les racines du grand Homme sont là, son humanisme de la peste, de l'Homme révolté, son engagement dans la Résistance par le journal Combat, son opposition à ce qu'un idéal politique justifie la violence contre les gens sans défense.

Oui, cette lecture m'a bousculé, vraiment. Une lecture indispensable, je trouve, pour comprendre comment l'enfance a façonné le grand écrivain humaniste Albert Camus.
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Tout d'abord, dire que mes 4 étoiles et demi sont un clin d'oeil à ce livre inachevé qui m'oblige du coup à donner une note inachevée.

J'ai d'abord craint de lire ce genre de livre, non terminé, posthume, non approuvé au final par l'auteur lui-même, même si le fait que ce soit sa fille qui en ai dirigé la sortie soit un gage de bienveillance.

Et puis j'ai commencé ma lecture. Et ce fut un ravissement comme toujours avec Camus. Commencer par remercier Gallimard, l'éditeur ô combien lié à Camus (jusque dans la mort), car cette édition de poche est tout simplement (et l'adverbe est choisi) exceptionnelle. Exceptionnelle car elle sait rendre le travail de l'auteur tout en respectant le lecteur. Trois types de notes très claires: les étoiles pour les changement de mots raturés, les lettres pour les notations en marge et les chiffres pour les précisions éditoriales. Limpide et pas chargé alors que j'ai tant vu de livres moins compliqué à éditer car terminés et validés par l'auteur, remplis de notes verbeuses et se voulant explicatives mais révélant surtout au lecteur à l'avance les intentions de l'auteur qu'il n'avait lui-même pas voulu expliciter.

Et à là fin en annexes, l'ensemble des notes des carnets de Camus qui nous révèle ce que le livre aurait pu-dû être, les hésitations de l'écrivain, sa méthode de travail et de cheminement littéraire. Un plaisir infini quand on aime Camus comme je l'aime.

Le texte en lui-même: une autobiographie de l'enfance et de l'adolescence de l'auteur, une grande lettre d'amour à sa mère et à ses origines modestes. Un livre où Camus révèle sa complexité, tout ce qui l'a construit ou déconstruit, le rapport à ce père qu'il n'a pas connu et ne lui a pas laissé de moyens de vraiment mieux le connaitre, même en enquêtant sur les lieux où il a vécu. Un Camus beaucoup plus descriptif aussi des choses et des gens, comme un travail préparatoire à retravailler, à retailler. Un Camus plus authentique juste avant le travail de dissimulation dans la fiction de ce qu'il est réellement.

Bref une réelle expérience jubilatoire de lecture qui se dévore et pas du tout comme je l'avais craint une expérience frustrante où le fait d'observer les ficelles derrière le rideau ferait perdre tout le charme de la littérature. Je ne sais pas si l'expérience serait aussi enthousiasmante pour moi avec un autre auteur, mais avec Camus elle le fut.
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