Parti pris

Pour aimer et apprécier la culture des autres, il faut d’abord avoir la sienne propre ; ou bien c’est la culture des autres qui devient notre culture, et nous sommes alors aliénés. La culture est d’abord culture des ancêtres, elle est d’abord nationale. Et ce n’est nullement un hasard si la grande déculturation coïncide dans le temps avec l’effacement des nations et l’avancée de la mondialisation. Il ne peut pas y avoir de culture mondialiste, mondialisée. Le seul recours dans cette perspective, est, comme d’habitude, de trafiquer les mots et d’appeler culture ce qu’il y a : le divertissement en masse, essentiellement, l’industrie culturelle, la civilisation des loisirs.

Le nouvel appareil possède, en guise de souris (que je n’ai jamais pratiquée), un ‘trackpad’ ultrasensible qui sait faire toute sorte de choses et tient en permanence à vous le montrer. Les ingénieurs qui l’ont mis au point ont prévu une pléthore de doigtés : avec un doigt, deux doigts, trois doigts, quatre doigts, qui produisent chacun toute espèce d’effets sans doute très utiles mais que je n’aurais pour ma part jamais songé à imaginer, et moins encore à désirer. Désirés ou non, hélas, ces effets se produisent sitôt qu’on laisse un doigt ou deux traîner près du fameux ‘trackpad’ ultrasensible, et alors tout sur l’écran devient minuscule, ou bien énorme au contraire, et l’on ne sait pas, au moins quand on est moi, comment revenir en arrière. Lui le sait très bien, et il le fait à la moindre occasion, affectant d’obéir enfin à des ordres qu’on a renoncé à lui donner. On travaille à quelque chose, on se permet par inadvertance de bouger le petit doigt dans la zone d’influence du ‘trackpad’, et voilà qu’on se retrouve en un quart de seconde face à un fichier auquel on a travaillé le matin, et dont on n’a pas le moindre besoin pour le moment. Bien sûr, on aimerait revenir à ce qu’on était en train de mijoter – mais comment faire ? Il est tentant d’utiliser le ‘trackpad’, mais cette fois délibérément, puisqu’il est si malin et tellement efficace. Hélas, impossible d’obtenir de lui quoi que ce soit. Il ne fonctionne qu’à une condition : qu’on ne lui ait rien demandé. Si on s’adresse à lui dans une intention bien précise, il se vexe, il se braque, il fait semblant de ne pas comprendre et refuse absolument tout service.

Jeudi 23 septembre, minuit et demi. Mardi matin j'ai pris mon petit déjeuner, au Sofitel de Strasbourg, en compagnie de Finkielkraut qui rentrait directement à Paris. Je ne sais comment, la conversation est tombée - ah si, je lui parlais du Journal 2009, dont je suis en train de mettre au point la copie et dont je n'eusse pas été étonné que certaines parties fussent censurées... - sur Valéry Giscard d'Estaing. Je lui rapportais les propos que m'a tenus l'an dernier l'ancien président et selon lesquels le dogme de l'inexistence des races a été proclamé pour faire plaisir aux juifs, qui devenaient nerveux dans les années soixante-dix. D'après Finkielkraut la nécessité de faire plaisir aux juifs serait très présente dans l'esprit de Giscard, car le même Giscard lui aurait dit, à lui, Finkielkraut, qui l'interrogeait sur le regroupement familial, que cette mesure avait été prise pour faire plaisir à Simone Veil..

Que de grâces il aurait fallu témoigner très expressément, pour être aimé, fêté et admiré de son temps ! Que d'amabilités il eût été nécessaire de prodiguer ! Que de sincérités il aurait fallu s'interdire, surtout !

p. 138

La notion d'accident est d'ailleurs de moins en moins admise. A tout malheur survenu il faut absolument un responsable, nécessaire à l'indispensable et ridicule "travail de deuil".

p. 241