Et si le malheur épargnait pour une fois les noirs pour frapper l'homme blanc ? Séduisant renversement de situation auquel nous invite
Daniel Carton dans
Mélanine (un titre déjà bien évocateur). Une épidémie dévastatrice partie de Chine n'épargne que les noirs. Ces derniers deviennent de fait les nouveaux puissants du monde, l'Afrique se transforme en eldorado, reprenant à son compte le système d'immigration choisie. Malgré le côté ubuesque de ce présupposé, l'écriture bien amenée, portée par le personnage principal, Julius, brillant médecin, noir de surcroit, rend le tout presque crédible.
Sous la plume, impossible de ne pas sentir le journaliste qu'était
Daniel Carton, décrivant minutieusement cette actualité dramatique : les questions géopolitiques qui en découlent, les fonds finançant la recherche, le racisme d'autant plus présent maintenant que la donne a changé... Et l'on est, à l'instar du héros, plongé dans l'incompréhension : comment une telle maladie peut-elle exister ? Virus inconnu, arme biochimique, volonté divine ? Tout y passe et à travers ce futur qui ne semble pas si lointain, l'auteur pousse à s'interroger sur les conséquences des choix actuels.
Mais que serait ce récit sans son histoire d'amour qui vient apporter ce qu'il faut de romanesque afin de s'éloigner du compte rendu journalistique fictif. Cet amour donc, entre Julius, l'homme noir, et Louise, la jeune femme blanche. Un amour à la fois idéal et ancré au possible dans le réel. Un couple avec ses hauts et ses bas, surtout lorsque la chère âme soeur que Julius « a dans la peau » se trouve elle aussi atteinte du mystérieux mal touchant l'humanité. Son prince va alors tout tenter pour la sauver.
Un schéma simple, mais efficace. Les 300 pages se dévorent en un rien de temps. Dommage que tout le potentiel du récit ne soit pas exploité. Si l'écriture parvient rapidement à faire oublier l'improbabilité d'une telle maladie (encore que ?), les personnages secondaires restent très effacés à côté de Julius. Un moyen peut-être d'accentuer la supériorité des noirs immunisés face à la maladie, mais cela rend le fil de l'histoire trop fragile, tenu par un unique protagoniste qui s'en transformerait presque en super héros dans un monde décrit parallèlement de la manière la plus réaliste possible. Un effacement de tous au point que même Louise atteinte par le mal n'arrive pas à émouvoir.
C'est donc surtout dans son dénouement que le livre déçoit. L'énigme est résolue, mais de façon bien expéditive. Un ou deux chapitres supplémentaires n'auraient pas été de trop. Quitte à résumer la solution finale en quelques pages, on aurait presque préféré voir la petite histoire d'amour supplanter la grande histoire de l'humanité et ainsi le journaliste laisser place à l'écrivain.