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EAN : 9782354275044
360 pages
EPEL (27/01/2022)
5/5   1 notes
Résumé :
Aucune affaire criminelle n’aura fait couler autant d’encre au XXe siècle que le parricide imputé à Violette Nozière. Monstrueuse jeune fille dévoyée pour les uns, victime expiatoire d’un père incestueux pour les autres : elle a déchaîné les passions, et risqué l’échafaud.

Guy Casadamont livre ici le dossier le plus complet et ordonné que l’on puisse souhaiter sur l’épopée Nozière. Des premiers rapports de police aux actes du procès, de la grâce prési... >Voir plus
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On dit « Violette Nozière » et l'on se surprend à penser spontanément : empoisonnement, parricide, fille libérée, oiseau de nuit, criminelle, syphilitique, rendez-vous galants, coquetterie, identités d'emprunt, mise en scène de soi et jeu avec les apparences, Chabrol, Huppert, scandale, ombre de l'inceste, condamnation...

Mais qui était la jeune femme à l'origine de cette affaire éclatant en 1933 à Paris et déclenchant un impressionnant emballement médiatique, que même la guerre n'étouffera pas ?

Dans « L'épopée Nozière », plusieurs réponses et hypothèses nous sont délivrées avec passion romanesque et acribie documentée par Guy Casadamont, sociologue de la vaste descendance foucaldienne, chargé d'études à la Direction de l'administration pénitentiaire, chargé de cours en criminologie à l'université de Paris X-Nanterre et psychanalyste d'obédience lacanienne :

« Née le 15 janvier 1915 à Neuvy-sur-Loire dans la Nièvre, dans cette famille d'origine paysanne, fille unique et précoce, de santé fragile, délaissant assez tôt ses études (première sortie de classe), Violette, comme sortie d'elle-même du petit deux-pièces mansardé de ses parents, fut faite femme dans une quasi-fulgurance. Brune et jolie, soignant ses toilettes – couturière, sa mère y était attentive –, déterminée à plaire, à vivre sa vie, une vie de plaisirs, à grands frais (deuxième sortie de classe). Séduisante, Violette se montra séductrice. Il lui arriva de poser nue pour un photographe » (pp. 214-5).

Le 21 août 1933, Violette Nozière empoisonne ses parents – sa mère survit, son père y laisse la vie – et commet un crime assumé, en cohérence avec elle-même, un crime libérateur et fondateur, destiné à éliminer un tuteur probablement incestueux, un acte de folie épique, hautement symbolique, nourri du refus de la conjugalité parentale et d'un mode de vie étroit.

Voici comment Colette, qui assiste à l'audience d'assises, prête sa voix à Violette Nozière :
« A l'époque où je régnais sur les coeurs, lorsque, d'un geste suprêmement élégant, je vidais coupe sur coupe et j'allumais, à la flamme d'un briquet de grande valeur, des cigarettes d'Orient avant de m'élancer dans ma Bugatti, je m'avisai que, sans manquer d'argent, mes parents manquaient totalement de chic. Disons-le d'un mot : ils n'étaient pas montrables... » (« Le drame et le procès » vue par Colette, « L'Intransigeant », 13 octobre 1934, n° 2007, p. 1).

Les parents Nozière sont cheminot et femme au foyer : une petite famille petite, occupant un deux-pièces du 12ème arrondissement de Paris, un logis qui couvre de honte leur fille rêvant un « ailleurs » moins étriqué et osant vouloir s'affranchir de la torpeur et de la tiédeur du déterminisme ; cette honte inspire son affabulation compensatrice et sécrète des biographies imaginées et romancées, propres et montrables, qu'elle se réjouit à disséminer dans la tête de ses chéris occasionnels.
« La famille, l'amour, l'argent, la mort », voici les juteux sujets qui, d'après Drieu la Rochelle, expliquent les remous de l'affaire Violette Nozière. D'autre part, les surréalistes prennent promptement la défense poético-journalistique de cette jeune femme mettant sur la sellette la norme familiale, la norme génitale, la norme sociale. (« La famille est un préjugé », aurait dit Violette Nozière, d'après une note gardée dans les archives de la préfecture de police de Paris.)

Brune sulfureuse et fière, soumise à la stigmatisation sociale dès l'époque de la dernière école fréquentée (« à surveiller au-dehors », écrit la directrice, motivée par « les manières incorrectes ou équivoques constatées dans la rue » de la part de l'élève – « Dehors et dedans sont socialement liés ; et les mouvements d'Eros repérés, surveillés et stigmatisés » – p. 181), Violette Nozière veut goûter pleinement aux « années folles », à la fête et la liberté, à la frénésie et à l'émancipation des sens.

A travers l'étude du cas de Violette Nozière, Guy Casadamont nous livre une minutieuse radiographie des systèmes normatifs et punitifs en vigueur dans la France des années 30, en mettant sous loupe le discours de l'expertise médicale, l'institution judiciaire, la cour d'assises et le procès-spectacle, la presse et l'institution carcérale. Toutes les instances de pouvoir entraînées dans le traitement de cette affaire, dès l'époque de la scolarité de Violette Nozière, et jusqu'à sa postérité, en passant par les années de prison et celles d'après sa libération, se retrouvent convoquées et interrogées rigoureusement. Avec la particularité d'en faire une « épopée » dont il énonce d'emblée la grille de lecture et les outils langagiers :

« La présente monographie s'inscrit au champ freudien dans sa (dés)orientation lacanienne, où il y est question du ''sujet dans le sujet'', a pu dire Jacques Lacan. Il arrive, plus rarement, qu'au champ freudien soit accueillie la dimension épique dans laquelle un sujet a pu s'avancer. Par cet accueil, le dos est tourné à la pente psychopathologique si immédiate et si répandue. Dès lors, que retenons-nous d'une problématisation épique ? Que vient faire la notion d'épopée, d'origine ancienne, pour qualifier cet ensemble d'actes, signes exploratoires avant-coureurs d'un empoisonnement qui cherche ses marques, persiste, jusqu'au soir fatidique du lundi 21 août 1933 ?
Une problématisation épique, qu'est-ce à dire ? Autant abattre nos cartes, en cinq traits.
1. L'épopée est un faire – un faire qui aura lieu. 2. L'épopée est à haut risque – un risque qui sera pris, un risque fou. Qui fait un saut épique avance à découvert. 3. L'épopée implique conséquemment un ou plusieurs seuils à franchir, à des instants précis. La pointe du saut épique réside dans son acte même. 4. Par le franchissement de ce seuil l'épopée vise à la libération d'un sujet. 5. Fomentation, l'épopée ne s'improvise pas, se pré-pare, se pré-médite, elle est une méditation. L'épopée relève d'un registre particulier, celui d'une forme de spiritualité » (pp. 12-3).

Habilement habité par son sujet jusqu'à l'épuiser, Guy Casadamont restitue à cette « fleur du mal » qui est restée dans l'imaginaire collectif le personnage de Violette Nozière, son parfum de complexité, sa dimension tragique, ainsi que toute sa simplicité. Parce qu'au bout du compte, le souhait le plus ardent de Violette Nozière a été, tout bonnement, celui de bien vivre et de bien mourir (« Sainte-Rita, aidez-moi à bien vivre et à bien mourir », demande une belle prière), en maîtresse de ses actes et de ses choix. Un souhait qui ne lui aura pas épargné le « passage du crime ».

« L'épopée Nozière » représente une belle illustration de la compréhension étendue de l'Autre que la psychanalyse rend possible.
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