En théorie, ce roman avait deux bonnes raisons de m'attirer : le dépaysement promis par sa localisation aux antipodes et le plaisir de lecture promis par le bandeau affiché sur la couverture : "le Michael Connelly australien !" Deux promesses, donc... dont l'une plutôt remplie et l'autre vraiment mensongère.
Le dépaysement, lui, fut réellement au rendez-vous. Connaissez-vous la Sunshine Coast, située dans l'état du Queensland, au nord-est du pays des kangourous? Non? Eh bien moi non plus. Jusqu'à ce que Tony Cavanaugh m'invite à m'y promener. Plages démesurées, spots de surf, parcs nationaux, forêts sauvages, résidences chics au milieu de nulle part, villages paumés, rivières serpentines, canaux et lacs dissméinés dans la mangrove, adolescentes blondes et belles et indépendantes : le coin idéal pour un tueur en série ; et encore plus pour un tueur en série qui s'amuse à balader ceux qui le pourchassent. La promesse de découvrir ce coin du bout du monde a donc été tenue.
A l'inverse, l'affirmation à propos de l'auteur, placardée sur la couverture, fut à l'origine d'une cruelle déception. Pour faire court, je vous le dis clairement et simplement : non, Tony Cavanaugh n'est pas Michael Connelly. Si cette simple phrase a suffi à vous convaincre, vous gagnerez du temps en ne lisant pas la suite de ma chronique (qui spoile un peu, en plus) et en vous détournant de ce roman. Si vous n'arrivez pas à me croire, continuez votre lecture. Mais je vous aurais prévenu.
Alors, pourquoi "Cavanaugh = Connelly" est un mensonge? Parce que l'architecture au cordeau des romans de l'américain surpasse largement le désordre total de l'intrigue conçue par l'australien. Parce que le réalisme des détails et la manière de les agencer qui sont caractéristiques de Connelly ne se retrouvent pas du tout dans la succession d'évènements soit sans intérêt, soit tirés par les cheveux (soit les deux) ni dans la débauche d'indices miraculeux/ostentatoires/absurdes/ridicules (rayez les mentions inut... non, gardez-les toutes) qu'affectionne Cavanaugh. Et, enfin, parce qu'on ne peut comparer les personnages fouillés, solides, humains qui parcourent L.A. sous la plume de l'un et les pantins caricaturaux et sans profondeur qui écument le Queensland sous l'enclume de l'autre.
Quelques exemples : les confessions du tueur, placées régulièrement entre les chapitres qui présentent le point du vue du flic (ou plutôt ancien flic/justicier/karaté kid qui a pris sa retraite sur la Sunshine Coast après un échec cuisant sur une autre enquête liée à un tueur en série). Eh bien ces pages de pensées du tueur m'ont semblé être du pur et simple remplissage. Sa manière d'analyser sa folie, son manque d'empathie et son obsession pour les dessins animés de Disney (ben oui, c'est quand même une preuve de désordre mental) m'a semblé atrocement artificielle. Et à part répéter "Je vise une fille, j'enlève une fille, je m'amuse avec une fille, je tue la fille", il ne nous donne rien d'utile. Uniquement du déclaratif, rien de descriptif (à part à la fin). Comment les enlève-t-il, ses victimes? Que leur fait-il subir? Comment sent-on la tension, la peur, l'horreur? Je ne suis pas un adepte des romans gores et des détails répugnants, mais s'ils sont absents, à quoi sert de nous inviter dans l'intimité du tueur? A rien. Intimité survolée, longue description de la folie du criminel, analysée par lui-même ("Je tuais des animaux quand j'étais petit ; puis j'ai commis un viol ; puis des meurtres, puis une longue série de viols et de meurtres ; tout ça parce que je suis fou et que je manque d'empathie et que je suis fan de Pocahontas"). Ce genre d'analyse m'insupporte. Sans doute parce que j'ai lu un jour une phrase d'un type assez sérieux dans le domaine de l'écriture et qui disait, entre deux mojitos : "Show, don't tell". Un précepte que Cavanaugh a dû laissé tomber de sa poche en se baladant dans un coin perdu de la mangrove australienne.
Autre exemple, concernant les indices (attention, je vais peut-être spoilé : ce serait gênant pour ceux à qui ma chronique donnerait envie de lire ce roman (si, si, c'est possible)) : appartement vide, localisé grâce au portable d'une des victimes ; le type qui traque le tueur s'y faufile, fouille, ne trouve rien (ben oui, l'appart' est vide !), sauf... un rouleau de film plastique alimentaire dans un tiroir. Ben oui, le gars range tout, mais laisse bien en évidence l'outil qu'il utilise pour empaqueter ses victimes. Ensuite, le nom du tueur apparait (avec l'aide d'un geek photophobe, ami de l'ex-flic). Merci le rouleau de plastique qui a permis de trouver des empreintes ! Ah non ! En fait, on nous apprend un peu plus loin qu'il n'y avait pas d'empreintes sur le rouleau. Ben alors, comment qu'yzonfait? Eh bé, c'est tout simple : le tueur prend des photos de ses victimes avec leurs portables ; mais, pour ne pas se faire localiser, il enlève les batteries des portables (malin, le gars) et, surtout, il n'envoie pas les photos à la famille avec lesdits téléphones, mais en utilisant un ordinateur. Ce qui signifie que c'est un gars hyper-doué en informatique. Donc, c'est un électricien (ben oui, tous les électriciens sont des geeks surdoués). Et il n'y a que mille ou deux milles électriciens dans le Queensland (selon les Pages Jaunes). Donc, c'est Promise, le coupable. Pas mal, comme déduction. C'est vrai que moi, qui ne suis pas électricien, je ne sais pas comment transférer une photo de mon portable sur mon ordinateur. Evidemment je passe sur le fait que prendre une photo avec un portable qui n'a pas de batterie, ça doit pas être fastoche, même pour un électricien surdoué du Queensland. Et qu'il est quand même ballot que le tueur ait oublié d'enlever la batterie dans un cas, un seul, mais qui est justement le cas qui va le perdre (puisque c'est à cause de ça qu'on trouve le film plastique, sur lequel il n'y a pas ses empreintes : sale coup pour lui!). Enfin, je ne reviendrai pas non plus sur le titre du roman, "La Promesse", qui en version originale s'intitulait tout simpement "Promise", et qui correspond à la promesse faite par l'ex-flic/justicier/karaté kid, qui veut à tout prix coincer le tueur pour se racheter de l'échec qui l'avait conduit à démissionner de la police de Melbourne. Lequel tueur s'appelle, justement, Promise. Incroyable, quand même. Et heureusement qu'il ne s'appelait pas Jimmy Bullshit.
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