Je me demande s'il sera capable de compter jusqu à dix sans se tromper. Pauvre Denis! Le sort se sera acharné sur lui, ce soir Ça y est. Les dix secondes se sont écoulées. Allez, Denis, ouvre cette porte et qu'on en finisse! C'est terminé! Silence. Qu est-ce qu il fabrique, bon sang? Il s est évanoui, lui aussi? Ce n'est qu'un jeu, Denis! Un jeu stupide, mais un jeu, rien qu'un jeu. Entre donc, tonnerre! Ah! ça y est. La porte s'ouvre. Un rai de lumière tranche l'obscurité. Une ombre se profile dans l'encadrement de la porte. L'ombre bouge avec lenteur, hésite, étend un bras, tâtonne. Allez, mon grand, encore un effort, tu y es presque! Et la lumière jaillit enfin, éblouissante. Je dois me frotter les yeux un instant avant de pouvoir regarder autour de moi. Il n'y a pas de quoi rire. Quel spectacle consternant! Quelle pitié! Nous sommes là, l'air aussi penaud que des adolescents pris en faute, debout, disséminés dans la pièce dont les rares meubles ont été repoussés le long des murs. Et Claire oui, c'était bien elle!, Claire allongée sur le sol, en vrai cadavre. Très convaincante. Elle repose sur le dos, une jambe légèrement repliée. Sa jupe est remontée sur la cuisse. Assez haut. Elle l'a fait exprès, j'en mettrais ma main au feu! Nous nous dévisageons, les uns après les autres.
Combien de temps vais-je tenir avec cette interdiction de parler? Nous ne pouvons que répondre aux questions du détective et quel beau détective, misère! et nous n'avons pas le droit de mentir. Sauf le «tueur», bien sûr. Et la victime, qui est censée être morte.
Non. Pas un mot. Pas un mouvement. Ce n'est pas possible! Il n'a pas compris! Bon sang, Denis, réveille-toi! J'ai les jambes ankylosées et je voudrais bouger, bavarder, boire un verre. Alors pose tes questions, mène ton enquête et ne perds pas de temps à aller voir si ta femme a besoin d'un oreiller!
Je sens maintenant ses mains se poser sur le haut de mes épaules, ses doigts se déplier lentement, se glisser autour de mon cou, se refermer sur lui.
Je crois entendre leur respiration étouffée ou les frottements de leurs pieds sur le sol.
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Laurent Chabin lit un extrait de Le canal de la peur