Un roman peut-il être à la fois con, intelligent, foutraque, bien construit, drôle, tragique, fantastique, réaliste, engagé et militant ?
Nelly Chadour fait de la haute voltige avec brio.
Un véritable coup de babouche dans la gueule.
On rentre assez rapidement dans le vif du sujet, dans cette époque raciste où les flics cassent de l'arabe tranquillement dans ce Paris des années 80, avec le meurtre de Malik Oussékine alors que les étudiants et les lycéens battaient le pavé à propos d'une énième réforme de l'éducation. Au milieu de ces révoltés, une bande hétéroclite de punks, goths et beurette, "tous allergiques aux ciseaux du coiffeur."
Et puis, il y a le voltigeur, avec son casque immaculé, qui désire "envoyer au diable tous les fils du Maghreb".
On se prend à cette histoire tragique, drôle et fantastique et les pages s'enfilent à grande vitesse. On va pas se mentir, les persos sont caricaturales, cela part dans tous les sens mais on prend du plaisir à lire une page puis une autre. C'est foutraque, mais on passe un bon moment.
Mais au fur et à mesure, les fils épars se rejoignent, l'intrigue prend alors toute son ampleur. Et je me dis qu'au final tout cela n'est pas si con que cela, l'intrigue fait sens. Et pour cause, ici, on se retrouve avec de vrais personnages que l'on côtoie dans notre vrai vie, ceux dont on parle très peu en littérature, les marginaux, les arabes, les punks et autres. La lie de la société bien pensante. Et ça fait un bien fou, tellement c'est rare.
Il y a aussi ce Paris interlope, loin de l'image d'Épinal, et des touristes. Les 2-3 références que j'ai vérifié existent bel et bien. Il y a aussi et surtout ce vieil arabe Ahmed, alias Papy Pantoufles, un Yoda beur qui me restera en mémoire longtemps.
Ajouter à cela des sujets faits divers pas si divers : le racisme, les ratonnades, les skins et les bavures policières. Ça fait du bien d'entendre reparler de Malik Oussékine, tué par ceux qui devait le protéger. Tout y est : la colère, rentrée, refoulée devant les injustices. Mais il y a aussi la fraternité.
Mais ici pas d'apitoiement, pas de leçon de morale, on se marre et on réfléchit en même temps. l'autrice se paye même le luxe de jouer avec nos représentations sur les maghrébins pour mieux les retourner : la débrouillardise, le système D, les apparts aux pièces minuscules qui se transforment en loft à la barbe du proprio.
Et d'un roman ancré dans les années 80,
Nelly Chadour se paye le luxe de les relier avec des d'autres drames des années 60 pour mieux faire ressortir les avancées sociales de notre époque. Enfin, à ce que l'on dit...
En 192 pages, tout est dit. Je me suis surpris à me payer des franches parties de rigolades en lisant certains dialogues. Chapeau bas à Nelly d'avoir fait rentrer tout cela en si peu de pages. Et que tout se se tient. de la belle ouvrage, je dirais même de la haute voltige.
Et puis un livre qui fait un parallèle entre les mouches (à merde ?) et les flics racistes, moi, ça me fait rire.