Entre "Mon traitre" et "Retour à Killybegs", Sorj Chalandon a livré un quatrième roman qui aborde le problème des souvenirs entretenus, enjolivés, transformés au gré de l'auditoire pour peu que celui-ci soit attentif et assoiffé de récit.
Biographe familial, le narrateur se charge d'écrire les vies que ses « clients » lui confient, un système bien huilé qui va cependant se gripper lorsque Lupuline vient lui demander de rédiger les souvenirs de son père, cheminot et résistant à 20 ans.
Dès le début du livre, nous sommes à l'enterrement de Pierre Frémeaux, père du narrateur, né le 14 novembre 1907, déporté avec le convoi du 27 avril 1944. « Son retour de camp, c'était cela. Des résistants en trop, des déportés en plus, une humanité dont on n'a su que faire. » le père n'était guère bavard et l'évidence est là : « On fait son deuil, mais on ne revient pas d'un rendez-vous manqué. » L'auteur livre là une page admirable, très émouvante.
Commencent alors les rencontres avec celui qui se fait appeler Tescelin Beuzaboc, 84 ans. Rien n'est simple. L'atmosphère est tendue et nous sommes en pleine canicule, à Lille, en 2003. L'homme a du mal à parler de ce qu'il a fait, se contentant de raconter la guerre. Lupuline propose alors ses notes d'adolescente car son père excellait à raconter ses actions d'éclat contre l'occupant allemand.
Peu à peu, le biographe est pris au piège entre ce que l'homme raconte, ce qui s'est passé réellement et ce qu'a vécu son propre père. C'est l'occasion de rappeler des drames comme ces résistants fusillés à Lille, Arras, au fort de Bondues, à Saint-Quentin…
Que faut-il laisser à la postérité ? « Vous avez hérité de votre père sa vérité et moi, je ne veux pas léguer mes mensonges », affirme Beuzaboc. Une fin très digne pour cette "Légende de nos pères", un livre très courageux.
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