AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,38

sur 72 notes
5
6 avis
4
5 avis
3
8 avis
2
3 avis
1
1 avis

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
A la croisée des chemins entre le Robinson Crusoé historique de Daniel Defoe et le Vendredi ou les limbes du Pacifique de Tournier, Patrick Chamoiseau nous propose sa propre réécriture du mythe littéraire énorme qu'est Robinson.

En ce qui concerne la narration, le choix est porté sur un récit-fleuve par “Robinson” lui-même, avec l'utilisation presque exclusive du point-virgule pour toute ponctuation (avec la virgule) : “étrange, le point-virgule, il n'arrête pas mais précipite, quelquefois il suspend légérement, mais précipite quand même.” (L'atelier de l'empreinte. Chutes et note). Un point-virgule qui impacte le rythme et le sens du texte, comme on le verra par la suite.

Robinson s'est installé sur son île. Bizarrement, il ne se rappelle pas comment il est arrivé là, attaché à un baudrier qui porte ce seul nom : Robinson Crusoé. Sans identité, il décide de l'adopter.

“j'avais conscience que ma perte de mémoire avait effacé tout rapport à ma propre personne, mais cette altérité si radicale, qui surgissait dans ce que mon moi-même avait de plus fondamental, m'était très difficile à vivre ; j'habitais un étranger;”

Cependant, la vie s'organise, les années passent et il remplit toutes les tâches décrites dans les deux Robinson précédents : occupant l'île comme un seigneur, il domestique, fabrique, cuisine. C'est la première partie, celle du constructeur. Et puis un jour, il découvre une empreinte de pas humain. Et c'est la frénésie. Après quelques mois où il perd la tête car il n'est plus habitué à la compagnie humaine, il décide de chercher cet être. Mais il est seul : “J'étais entré dans un douloureux rapport à moi-même.” C'est le début d'une lente évolution, qui fait écho ici davantage au texte de Tournier.

Je ne veux pas dévoiler plus du cheminement du personnage, de la peur de la mort à l'accomplissement de la beauté et de l'art.

Le roman se décline en plusieurs phases bien distinctes qui toutes représentent une facette de l'humanité : l'idiot dans sa caverne, puis sa sortie, sa redécouverte de l'île qu'il n'avait jamais vraiment vu, aveuglé par sa frénésie de maîtrise de la nature. C'est l'allégorie de la caverne de Platon. D'ailleurs Chamoiseau fait le choix de lui laisser Héraclite et Parménide entre les mains, alors que le Robinson de Defoe n'a que la Bible. Une différence de lectures qui éclaire le décalage entre les deux oeuvres.

La réécriture de Chamoiseau est intéressante car elle examine le rapport du naufragé avec lui-même. On voit comment il se perd, se reprend en main, reprend conscience de lui-même, de son attitude, de son physique. On suit comment il tend à plusieurs reprises à la limite extrême de la raison. le débit saccadé du texte rend le risque de la folie encore plus présent.

Petit à petit, il décortique tout ce qui fait l'homme : le désir de possession, la parole, la pensée, la nécessité de nommer les choses, et puis l'art, dont “Robinson” s'aperçoit qu'il est l'acte ultime et que tout le reste est vain. Son regard s'affirme, induit de la lumière dans tout ce qu'il voit, observe : “je n'éprouvais aucune envie de construire, de chasser, de régenter ce lieu, seulement le désir immense de percevoir ce Quoi que le faste naturel de l'île me laissait supposer, et qui était en elle, tout comme il était en moi.”

*

“Au bout de tout cela, seigneur, j'étais tombé en connaissance, c'est-à-dire dans ce questionnement angoissé sur ce que j'étais dans cette île, avec la certitude de garder cette question comme un inatteignable soleil tout autant qu'un mapian, comme disent les nègres de plantation à propos de ces blessures qui ne guérissent jamais …;”

Servi par une langue magnifique, le texte de Patrick Chamoiseau nous transporte sur cette île, aussi bien dans cette nature luxuriante et bienveillante, qu'en plein coeur d'une réflexion philosophique sur la condition humaine, sur l'individu, par le parcours fin et sensible d'un personnage mythique revisité.
Lien : http://missbouquinaix.wordpr..
Commenter  J’apprécie          160
A mi chemin entre le réalisme du Robinson Crusoé de Daniel Defoe et l'exploration de l'âme humaine du Vendredi ou les limbes du Pacifique de Michel Tournier, Patrick Chamoiseau (écrivain d'origine martiniquaise couronné par le prix Goncourt 1992 pour Texaco) confie dans ses réflexions très philosophiques en fin de roman (d'essai?) L'empreinte à Crusoé: "Aller entre Defoe et Tournier, entre deux masses de lumière. Trouver l'interstice."
Et c'est vrai que L'empreinte à Crusoé revisite le mythe Robinson (qui a inspiré écrivains, cinéastes et musiciens) pour le faire naviguer sans boussole sur ce border line qui sépare raison et folie.
Logorrhée (très bien rendue par l'absence de majuscules et de points) d'un Robinson "qui parlait sans reprendre son souffle" et raconte son (sa més-) aventure d'homme-île dans une île carcérale" entrecoupée d'extraits du journal d'un capitaine terre à terre "de l'an de grâce 1659". Long monologue sur un mode cyclothymique entre l'apaisement de l'esprit pour atteindre le bonheur, exaltation et angoisses existentielles. Jusqu'au jour où le supposé Robinson trouve une empreinte humaine dans le sable. Est-ce lui, est-ce un autre ou est-ce un autre soi-même? Etrange dialogue sur le mode schizophrénique entre le moi et son double!
J'ai trouvé (malgré certaines longueurs) le côté psychiatrique (conséquences de l'isolement) fort bien rendu:altération du langage,mégalomanie du roi dans son royaume imaginaire (qui se prend pour un Dieu régissant les lois de la nature), hyperactivité suivie de prostration,perte du contrôle en découvrant l'empreinte,régression en deçà du stade du miroir dans lequel il ne reconnait plus son image paranoïa (car l'autre est forcément hostile), délire avec sexualité débridée, détachement de l'esprit perdu dans l'immensité du corps...
Une excellente approche philosophique, également, de l'être et du non-être, de la distorsion du temps..
Un ouvrage ardu, dont j'espère avoir capté l'essentiel : "comment se construire sans les béquilles communautaires et des standards de civilisations"?
Et une fin déroutante, comme l' absurde de la condition humaine (fort bien décrit dans le mythe de Sisyphe), une fin imprévue ( qui déstabilise) d'homme déstabilisé face à l'imprévu.
Commenter  J’apprécie          70
Je ne vous cacherai pas que j'ai eu du mal avec ce livre, mais pas pour les mêmes raisons que pour En chute libre de Carl de Souza. Mon soucis est que Patrick Chamoiseau s'est inspiré de Robinson Crusoé de Daniel Defoe, livre lu il y a cinq ans, avec lequel je n'ai eu aucune affinité. le second est plus technique : le texte ne comporte pas de majuscule, puisqu'il est uniquement ponctué par des virgules et des points-virgules, et j'ai eu du mal à me faire à cette écriture. Maintenant, je sais très bien que c'est un réflexe de professeur de français, et que ce choix d'écriture est parfait pour montrer le cheminement de la pensée de Robinson, qui suit son cheminement physique à travers l'île qu'il croit avoir asservie.
J'ai été sensible à la version que donne Patrick Chamoiseau du mythe de Robinson Crusoé. Il prend son héros à un moment de crise, à un moment où il cherche à se redéfinir en tant qu'être humain, lui qui pour la première fois se retrouve confronter à un Autre alors que depuis vingt ans, Robinson est seul sur son île. J'ajoute que l'Autre est bien un égal dans l'esprit de Robinson, peut-être menaçant, mais il n'est pas un sauvage qu'il lui faudra civiliser, comme le Vendredi de Defoe.
Robinson (qui n'est même pas sûr de se nommer ainsi mais a choisi de prendre cette identité qui est peut-être la sienne) visite à nouveau l'île, ce qu'il a nommé, aménagé, domestiqué au fil des années. Il cherche également à se définir en tant qu'être humain et se rend compte que ce qu'il tenait pour acquis (le langage, la lecture, l'écriture) ne l'est pas autant qu'il le pense. Sa capacité à se questionner, à se remettre en cause, prouve son humanité. Je l'ai trouvé plus humble que le Robinson de Defoe, plus sensible au fur et à mesure de son récit à ce qui l'entoure, il n'est plus le centre et le créateur du monde, il est un élément du monde, parmi d'autres.
Au final, il m'a fallu apprivoiser cette écriture mais une fois que j'ai réussi à rentrer dans le texte, j'ai beaucoup apprécié sa musicalité et sa capacité transcrire les sensations de Robinson. le choix s'annonce rude ce mois-ci.
Lien : http://le.blog.de.sharon.ove..
Commenter  J’apprécie          50
Nous connaissons déjà tous l'histoire de Robinson Crusoé seul survivant d'un naufrage se retrouvant fasse à lui même sur une île perdue. Patrick Chamoiseau reprend cette histoire et relate à nouveau les aventures de Robinson Crusoé rajoutant sa touche personnelle que l'on sera apprécier .


L'ouvrage nous présente Robinson comme un homme de connaissance extrêmement attentif au moindre détail qui s'attache rapidement à des objets réels ou irréels l'aidant à délaisser sa solitude et lui permettant de combattre cette île qui lui fait perdre la raison.
Au début il se créé un monde dans le quel il s'enferme et tente désespérément de trouver un sens à sa vie, le lecteur pourra ressentir des passages un peu monotone, mais Robinson va voir son existence chamboulée par l'arrivée d'une empreinte dans le sable venant souiller son île, sa solitude, et va provoquer chez lui un effroi et la rupture de son monde.
La prise de conscience qu'un humain autre que lui pouvait vivre sur l'île n'était pas envisageable, il va donc imaginer des centaines de scénarios sur le visage et l'éventuelle hostilité de celui-ci ce qui va l'anéantir mais le pousser à évoluer.
il va donc redécouvrir son île à la recherche de cet « autre » le mettant face à l'évidence monstrueuse de son apparence, sa parole remplacée par des grognements, et son écriture devenue sans signification.
L'idée de cet « autre » et d'une éventuelle rencontre le pousse à retrouver son humanité perdue au fil des années.
Cette obsession de l'autre va le rendre fou, il va même de façon assez comique pour le lecteur prendre des animaux pour « l'autre » un vieux bouc et un lamantin blessé, on ressent cette solitude pesante qui n'a pas été comblée par la découverte de « l'autre » son existence va se baser sur l'emprunte devenue un totem l'empêchant de perdre la raison.
Rapidement va germer l'idée d'y insérer son pied, découvrant alors avec effroi que cette empreinte est probablement la sienne.
Son esprit déjà tourmenté, ses rêves brisés, cette cage de solitude va à nouveau s'abattre sur lui le coupant de toute chance d'échanger avec un humain.
Il va alors retourner à l'état primitif ne cherchant qu'à survivre, hurlant contre cette île qui s'était jouée de lui.
Le lecteur va trouver ses repères grâce au journal du capitaine nous racontant l'histoire brève d'un autre homme et nous expliquant les raisons pour lesquelles Robinson est sur cette île.
La fin quelque peu abrégée, ne nous déçoit pas pour autant l'atmosphère dans laquelle nous sommes menée tout au long ne présageait en rien d'une « happy end » pour sur elle se termine en panache par une ironie macabre qui force le respect et titille notre intellect sur les mystères qui entourent cette « île du désespoir ».

J'ai particulièrement apprécié cet ouvrage car étant un classique, il met l'homme face à lui même le poussant à agir en conséquence.
Robinson se retrouve en proie à lui même et telle une sensation de présence humaine découvre l'empreinte et cela chamboule sa vie ce qui fascine le lecteur qui cherche à s'identifier à lui pour le comprendre.
Ces réactions toujours extrêmement réfléchies nous montre un homme ingénieux qui se débat pour garder sa raison. Je suis très admiratif de Robinson.
Sur l'oeuvre et le style d'écriture beaucoup de passages sont très lourds et demandent une réflexion mais quelque chose nous pousse à connaître la suite, on apprécie néanmoins le sens du détail : chaque chose est parfaitement décrite et nous guide à travers une réflexion et la simple nature de l'homme tout le long de l'ouvrage.

L'ouvrage de Patrick Chamoiseau est un somptueux mélange de réflexion humaine et d'aventure qui nous épate et nous transcende.
Commenter  J’apprécie          20
Après Defoe et Tournier, Chamoiseau nous donne à lire son Robinson. Foisonnement d'images derrière les mots, dans un récit qui refuse d'en être un. J'ai parfois peiné dans ce foisonnement "grouillant" de mots jusqu'au vertige. J'ai particulièrement aimé le passage qui va de la recherche de la survie à la recherche de l'Autre. La chute m'a prise de court... Une lecture que je qualifierai de "pas facile".
Commenter  J’apprécie          00


Lecteurs (153) Voir plus



Quiz Voir plus

Retrouvez le bon adjectif dans le titre - (2 - littérature francophone )

Françoise Sagan : "Le miroir ***"

brisé
fendu
égaré
perdu

20 questions
3671 lecteurs ont répondu
Thèmes : littérature , littérature française , littérature francophoneCréer un quiz sur ce livre

{* *}