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Depuis vingt ans déjà, Robinson habite son île déserte. Il se présente comme un homme au-delà des peurs et de la solitude, un être apaisé et en harmonie avec lui-même et son univers : « l'idée de mourir là ne m'effrayait plus ; » (p. 21) le naufragé s'est créé une civilisation pour lui seul : « j'étais de fait la seule survivance capable d'assumer le nom d'homme ; » (p. 25) Mais voilà qu'un jour, à l'occasion d'une promenade commémorative, Robinson découvre une empreinte d'homme sur le sable. Pour Robinson, la stupeur se mêle de terreur : « quelqu'un d'autre que moi-même était maintenant sur l'île ! » (p. 45)

Passée la première prostration, Robinson décide de se mettre en chasse et de débusquer l'intrus. Il refuse de partager l'île et veut s'affirmer seul maître du territoire qu'il a lentement apprivoisé. « j'attendais cet autre pour le combattre ; j'attendais pour le tuer, et pour rester vivant ; » (p. 57) Ne plus être le centre, ne plus être unique, c'est inimaginable pour Robinson. L'Autre, impensable pendant des années, est une irréalité qui a pris corps. Au cours de sa traque, Robinson redécouvre l'île et se redécouvre humain. Et si cette empreinte n'était pas une menace, mais une promesse ? Robinson se découvre « une soif inapaisable pour une goutte d'humanité » (p. 86) : il ne peut plus se suffire en tant qu'homme, il a besoin de sortir de lui-même.

L'empreinte est permanente, à jamais figée dans le sable de la plage originelle. Elle représente la folie et l'obsession du naufragé. Cette empreinte dans le sable, signe ô combien fugace, c'est la signature de l'humain et la preuve que l'île est devenue le tableau d'un homme. Toutefois, même si cette marque ne disparaît pas, elle est un paraphe dérisoire, la preuve ridicule d'une existence particulière au sein d'un univers qui ne cesse pas de s'épanouir, avec ou sans l'homme.

Ce nouveau Robinson parle sans majuscule, ni point. Son récit est un continuum de pensées et de paroles, un discours débité sans reprendre haleine. le point-virgule n'y est pas respiration, ce n'est que la marque d'une pensée effilochée qui se livre par bribes impatientes. Par un surprenant effet de mimétisme, la parole se fait jungle comme celle de l'île. Dans les notes en fin d'ouvrage, Patrick Chamoiseau justifie son choix du point-virgule : « le point-virgule s'est imposé, je ne sais pas pourquoi, peut-être l'idée du flux de conscience, de l'instabilité mentale, de la saisie qui ne raconte pas. Ce n'est pas le point-virgule de Flaubert. » (p. 239)

Patrick Chamoiseau offre un roman riche d'une grande intertextualité. J'avais préféré le Robinson de Michel Tournier à celui de Daniel Defoe. le premier m'était plus sympathique et plus humain, car plus sensuel. le Robinson Crusoé de Patrick Chamoiseau est, selon moi, plus proche de Tournier que de Defoe. Cette nouvelle robinsonnade explore des thèmes classiques comme la solitude, l'humanité, l'altérité, la folie, la culture face à la nature. Mais l'auteur les traite avec une plume nouvelle et une audace littéraire très marquée. Surtout, lisez bien les quelques pages du Journal du capitaine. Ne vous précipitez pas, lisez-les comme elles se présentent afin de découvrir l'histoire de ce Robinson, l'histoire de tous les Robinson. Patrick Chamoiseau se place au bout d'une longue lignée d'écrivains, mais son texte se veut celui des origines. C'est surprenant, époustouflant et superbement convaincant !
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"seigneur, je naquis de nouveau en cette année dont je ne savais rien, en cette heure d'équinoxe sur mon île oubliée, sans doute à l'instant même où j'éprouvais le sentiment de m'insinuer entre deux masses de lumière". Chamoiseau propose une relecture époustouflante de Robinson Crusoé, ce livre "resté ouvert comme une lumière dans [sa] mémoire."

"après toutes ces années, je peux dire que là j'étais heureux, sans espérantouille vaine, sans la gale d'un regret, juste impeccable dans mon ordonnance souveraine de cette rognure de terre". Robinson est naufragé depuis fort longtemps, et il survit en son île grâce à une foule de rituels qui lui permettent de sauvegarder sa raison. Tantôt aux abords de la folie, tantôt bien au-delà, sauvé par la lecture d'Héraclite et Parménide, Robinson poursuit son monologue intérieur au sein d'une très longue phrase, porté par un seul long souffle comme un courant de conscience, mais un souffle rythmé par le ressac, comme une longue respiration, sous-tendue par la langue succulente de Chamoiseau.


"cette obsession modifia le rapport que j'entretenais avec l'île alors que j'avais passé ces vingt dernières années à la mettre à distance, à la tenir pour ainsi dire en respect, je commençais à mieux accepter d'être en elle, d'être à elle, et qu'elle soit en moi-même ; l'idée seule de la perdre - pauvreté de la nature humaine ! - me la rendait désirable et précieuse". Tour à tour piège mortel ou jardin d'Eden, l'île est un personnage à part entière ... sinon LE personnage du récit, si on la considère dans son lien intrinsèque avec l'homme-île qui l'habite et l'aménage. du désespoir terrifié des débuts jusqu'à la fierté du bâtisseur, d'ennemie l'île devient accueil et support d'une renaissance à soi-même dans une dilatation extrême du temps.


Tout le récit s'organise autour de la découverte d'une empreinte sur la plage qui fait vaciller la raison de Robinson et donne son titre à l'ouvrage "... et chaque orteil ruait dedans mon entendement comme autant d'alarmes, de haines, de colères, de menaces, le tout pourtant mêlé à la bouffée inexplicable d'un enthousiasme terrifiant : c'était une empreinte d'homme"

La "tempête mentale ininterrompue, proche du délire" est rendue superbement par une syntaxe déroutante, sans point mais émaillée de points-virgules. Dans ce très beau texte construit à la première personne dans un subtil réseau d'échos, Chamoiseau cherche et trouve "l'essence même de l'homme vrai". Avec une fin surprenante en forme de chute réaffirmant l'universalité de la condition humaine au travers de la "situation Robinson", et un ouvrage qui se referme sur de magnifiques fragments offrant un autre point de vue sur la lecture et l'écriture de cette Empreinte à Crusoé. Empreint d'un humanisme et d'une humanité profonde, L'Empreinte à Crusoé est définitivement porteur d'un universel. En bref, un grand livre.

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Chamoiseau réinvente le mythe de Robinson, quelque part entre celui de Defoe et celui de Tournier, dans un roman multicolore à la langue foisonnante et extrêmement inventive.
Robinson vient de passer les vingt dernières années de sa vie sur une île déserte mais sa solitude est toute relative, peuplée des chants d'oiseaux, du bruit du vent dans les feuilles, d'odeurs de frangipane, de rose, de papaye… et surtout de cet Autre qu'il ne voit pas plus que nous mais qu'il imagine partout, derrière chaque bruit provenant d'un buisson, chaque mouvement qu'il croit détecter depuis qu'il a découvert une empreinte dans le sable.
Le lecteur suit les pensées de cet étrange Robinson qui évolue au coeur d'une nature luxuriante extraordinaire qui l'oblige à trouver d'autres mots, à les assembler différemment, à réinventer un vocabulaire adapté à l'île.

« L'empreinte à Crusoé » est un très beau roman de Patrick Chamoiseau, plein de sensualité et de magie (on y croise elfes et korrigans), une ode à l'imagination du romancier, un hommage à la langue française nourrie d'autres cultures (créoles notamment mais pas seulement).
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A la croisée des chemins entre le Robinson Crusoé historique de Daniel Defoe et le Vendredi ou les limbes du Pacifique de Tournier, Patrick Chamoiseau nous propose sa propre réécriture du mythe littéraire énorme qu'est Robinson.

En ce qui concerne la narration, le choix est porté sur un récit-fleuve par “Robinson” lui-même, avec l'utilisation presque exclusive du point-virgule pour toute ponctuation (avec la virgule) : “étrange, le point-virgule, il n'arrête pas mais précipite, quelquefois il suspend légérement, mais précipite quand même.” (L'atelier de l'empreinte. Chutes et note). Un point-virgule qui impacte le rythme et le sens du texte, comme on le verra par la suite.

Robinson s'est installé sur son île. Bizarrement, il ne se rappelle pas comment il est arrivé là, attaché à un baudrier qui porte ce seul nom : Robinson Crusoé. Sans identité, il décide de l'adopter.

“j'avais conscience que ma perte de mémoire avait effacé tout rapport à ma propre personne, mais cette altérité si radicale, qui surgissait dans ce que mon moi-même avait de plus fondamental, m'était très difficile à vivre ; j'habitais un étranger;”

Cependant, la vie s'organise, les années passent et il remplit toutes les tâches décrites dans les deux Robinson précédents : occupant l'île comme un seigneur, il domestique, fabrique, cuisine. C'est la première partie, celle du constructeur. Et puis un jour, il découvre une empreinte de pas humain. Et c'est la frénésie. Après quelques mois où il perd la tête car il n'est plus habitué à la compagnie humaine, il décide de chercher cet être. Mais il est seul : “J'étais entré dans un douloureux rapport à moi-même.” C'est le début d'une lente évolution, qui fait écho ici davantage au texte de Tournier.

Je ne veux pas dévoiler plus du cheminement du personnage, de la peur de la mort à l'accomplissement de la beauté et de l'art.

Le roman se décline en plusieurs phases bien distinctes qui toutes représentent une facette de l'humanité : l'idiot dans sa caverne, puis sa sortie, sa redécouverte de l'île qu'il n'avait jamais vraiment vu, aveuglé par sa frénésie de maîtrise de la nature. C'est l'allégorie de la caverne de Platon. D'ailleurs Chamoiseau fait le choix de lui laisser Héraclite et Parménide entre les mains, alors que le Robinson de Defoe n'a que la Bible. Une différence de lectures qui éclaire le décalage entre les deux oeuvres.

La réécriture de Chamoiseau est intéressante car elle examine le rapport du naufragé avec lui-même. On voit comment il se perd, se reprend en main, reprend conscience de lui-même, de son attitude, de son physique. On suit comment il tend à plusieurs reprises à la limite extrême de la raison. le débit saccadé du texte rend le risque de la folie encore plus présent.

Petit à petit, il décortique tout ce qui fait l'homme : le désir de possession, la parole, la pensée, la nécessité de nommer les choses, et puis l'art, dont “Robinson” s'aperçoit qu'il est l'acte ultime et que tout le reste est vain. Son regard s'affirme, induit de la lumière dans tout ce qu'il voit, observe : “je n'éprouvais aucune envie de construire, de chasser, de régenter ce lieu, seulement le désir immense de percevoir ce Quoi que le faste naturel de l'île me laissait supposer, et qui était en elle, tout comme il était en moi.”

*

“Au bout de tout cela, seigneur, j'étais tombé en connaissance, c'est-à-dire dans ce questionnement angoissé sur ce que j'étais dans cette île, avec la certitude de garder cette question comme un inatteignable soleil tout autant qu'un mapian, comme disent les nègres de plantation à propos de ces blessures qui ne guérissent jamais …;”

Servi par une langue magnifique, le texte de Patrick Chamoiseau nous transporte sur cette île, aussi bien dans cette nature luxuriante et bienveillante, qu'en plein coeur d'une réflexion philosophique sur la condition humaine, sur l'individu, par le parcours fin et sensible d'un personnage mythique revisité.
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Un récit de solitude sur une île paradisiaque mais surtout carcérale. Chamoiseau reprend le mythe de Robinson Crusoe et infiltre le lecteur dans les interstices, dans les détails de sa solitude sur une île qui semble devenir de chair.
Le début est conforme au modèle: un homme se réveille échoué sur une île mais ce qui différencie ce roman de ceux de Defoe et de Tournier c'est d'abord le style, poétique avec des phrases sans points, remplacés par le point virgule. Ce qui rend la lecture fluide mais sans répit.
Et surtout c'est un roman de réflexion sur la solitude ,et c'est long très long à lire 200 pages sur la solitude. Si bien qu'à force de longer les frontières du sommeil on finit parfois par y tomber s'il ne se passe rien.
J'espérais lire une version plus créole du mythe, plus vivant dans le style et dans le récit car j'avais adoré Solibo Magnifique du même auteur. Mais je n'ai apprécié ici que quelques passages et la fin, très surprenante.
Ce qui ne suffit pas pour savourer l'ensemble.
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" Je craignais qu'une tempête ne dévaste la plage et n'emporte l'empreinte à tout jamais; sa disparition me renverrait à une solitude que j'étais désormais inapte à supporter."

Le narrateur vit seul depuis plus de vingt sur une île déserte. Après avoir établi des règles d'organisation, la solitude et les errements lui font découvrir une empreinte sur la plage. Cette marque va susciter énormément d'émotions : la peur puis l'espoir mais aussi la déception, l'imagination. L'auteur excelle dans les descriptions de tous ces états d'âme.

Le style est très (peut-être trop) descriptif, ce qui fait à la fois la force mais aussi la lourdeur du récit

Bien évidemment, je me suis délectée des descriptions de lieux (notamment l'invasion des tortues), des divagations du narrateur. Il y a notamment un passage où la description aiguise tous les sens. On passe de la vue pour la contemplation du lieu à l'ouïe avec les bruits des animaux, au toucher avec le souffle du vent, à l'odorat avec les parfums de la foret et au goût avec la viande des proies.

Mais même si les émotions du héros sont très changeantes, le style se révèle vite assez lourd et ennuyeux.

J'avais lu, il y a quelques temps Vendredi ou la vie sauvage de Michel Tournier et cela m'a paru plus vivant. Peut-être parce qu'il y a un réel Dimanche mais aussi parce que les évolutions humaines sont progressives et empreintes de plus d'humanité (tristesse, rire, tendresse).

Le dernier chapitre, L'atelier de l'empreinte, éclaire le lecteur sur l'objectif de l'auteur, celui d'être à mi chemin entre Defoe et Tournier, d'interpréter différemment les mêmes évènements, de se centrer davantage sur l'individuation. Il faudrait peut-être lire ce dernier chapitre avant de lire le roman.

J'ai apprécié la chute de l'histoire qui donne une réelle différence au récit et qui témoigne d'une volonté de s'approprier un livre très connu avec une réelle identité.
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Avec ce livre, Patrick Chamoiseau se propose de revisiter l'histoire de Robinson Crusoé.
Ici, il est plus question de psychologie, de ce qui se passe dans la tête de ce naufragé présent sur cette île depuis plus de vingt ans, enfin, selon son repère spatio-temporel.
Il a dû se reconstruire, physiquement, mais surtout psychologiquement, apprivoiser la solitude et l'île : "après avoir posé de multiples questions enchâssées dans des formules ad hoc, je m'étais mis à l'écoute de leurs signes et conseils; seul un silence grisâtre m'était revenu, avec parfois un remugle d'abîme qui laissait à penser que j'étais désormais bien au-delà de toute réalité, en une contrée où la puissance des morts elle-même ne laissait aucun accès possible à une quelconque chance;".
Et puis un beau jour, c'est le grand bouleversement, avec la découverte d'une empreinte dans le sable, preuve qu'il n'est pas seul : "en m'isolant dans l'île, en m'isolant de l'île, je m'étais aussi isolé de moi-même;", c'est alors qu'il se prépare à rencontrer l'Autre, à imaginer comment il serait, comment il va l'accueillir.
Il lui faut ré-apprivoiser l'idée de rencontrer un autre humain, de vivre de nouveau une relation humaine : "je n'étais ni ému, ni terrifié, ni impatient d'être en face des hommes; j'étais seulement porté par une plénitude ni béate, ni inquiète, mais pleine d'elle-même, toute sphérique et puissante, sans aucun tremblement, et qui chez moi, seigneur, accompagnait maintenant le surgissement d'une beauté; au bout des vingt-cinq ans de cette immobile aventure, je fermais avec vous la boucle ultime d'une immense rencontre ...".

Le style d'écriture est surprenant, pas de majuscule ni de point, un enchaînement de phrases ponctuées de virgules et de points virgules.
Autant dire que cela m'a quelque peu dérangée, hormis que cela redonne ses lettres de noblesse au point virgule peu usité et tombé dans l'oubli, car j'apprécie généralement les textes aérés; et puis il n'y a aucun dialogue, ce qui rend le récit très dense, peut-être parfois trop.
L'histoire est une suite d'interrogations, de travail sur la psychologie et si j'ai pu l'apprécier pendant un temps, cela a fini par me lasser quelque peu dans ma lecture.
Même si cela illustre une forme de folie, le personnage se lance dans la quête de l'autre et tourne en rond tel un poisson dans son bocal (ou ici tel un naufragé sur une île).
Le récit narratif est interrompu par le journal de bord d'un capitaine, mais c'est trop distillé et cela aurait pu redonner du souffle au récit en étant utilisé un peu plus souvent.
La pirouette finale est jolie, j'avais pensé à une toute autre, mais celle-ci est jouissive et intelligente.

Patrick Chamoiseau maîtrise son écriture de bout en bout, avec un style bien à lui qui lui permet de laisser son empreinte dans la littérature francophone d'aujourd'hui.
Son travail sur Robinson Crusoé est intéressant et cette version a des qualités, elle se focalise néanmoins parfois trop sur le psychisme au risque de lasser le lecteur.
"L'empreinte à Crusoé" est un livre à découvrir, pour cette nouvelle vision apportée sur le personnage de Robinson Crusoé.
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La monographie de Samia Kassab – Charfi (Editions GALLIMARD/Institut Français) sur l' Écrit de Patrick Chamoiseau décrit l'onde de choc que provoque l'oraliture de ce passeur de parole.
Chamoiseau est un passeur de mémoire. Ce n'est donc pas un hasard si à la lecture de cette empreinte j'ai pu voir passer quelque colibri et papillon de la nuit. ..
Crusoé est sans doute un mythe mais son histoire vue de notre mémoire est une légende.
«  La légende raconte.... », ainsi commence la « définition de la poésie », poème de Joseph Brodsky .
Que nous dit la légende entre les lèvres de ce conteur caribéen ?
Ne passons pas trop vite sur la lecture du titre.
« L'empreinte à Crusoé »...et pour pas ...de Crusoé ?
Parce que l'empreinte quoique résidente sur la plage est inscrite dans Crusoé, sur Crusoé.
Crusoé est l'espace de sa propre empreinte. Et tout se jouera dans cet espace.
Le naufragé croyait que le dehors l'emprisonnait, le retenait. Mais par défaut de conscience, tel « un mal fini », il lui faudra étape par étape progresser vers la vérité : il était enfermé en lui même et ne pouvait espérer s'extraire de cette île sans s'éveiller à cette réalité. Il lui fallait en premier lieu s'abstraire. C'est là qu'il trouvera son chemin de liberté.
Se reconnaître amène à pouvoir se nommer. Se nommer c'est se placer, comme le mot dans une phrase donnant ainsi à cette phrase un sens audible pour l'ensemble.
Les questions des exils, de l'incarcération, des esclavages, de nos identités se débattent sur cette île.
L'oraliture de Chamoiseau est flamboyante et nous invite à cheminer à ses côtés. C'est par le verbe que Crusoé trouve sa conscience. Au commencement fut donc le verbe, c'est ce message venu de grecques pensées que Chamoiseau réussit magnifiquement à nous faire passer. le point virgule, si parfaitement employé, nous invite à prendre ce relais.
Astrid SHRIQUI GARAIN
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A mi chemin entre le réalisme du Robinson Crusoé de Daniel Defoe et l'exploration de l'âme humaine du Vendredi ou les limbes du Pacifique de Michel Tournier, Patrick Chamoiseau (écrivain d'origine martiniquaise couronné par le prix Goncourt 1992 pour Texaco) confie dans ses réflexions très philosophiques en fin de roman (d'essai?) L'empreinte à Crusoé: "Aller entre Defoe et Tournier, entre deux masses de lumière. Trouver l'interstice."
Et c'est vrai que L'empreinte à Crusoé revisite le mythe Robinson (qui a inspiré écrivains, cinéastes et musiciens) pour le faire naviguer sans boussole sur ce border line qui sépare raison et folie.
Logorrhée (très bien rendue par l'absence de majuscules et de points) d'un Robinson "qui parlait sans reprendre son souffle" et raconte son (sa més-) aventure d'homme-île dans une île carcérale" entrecoupée d'extraits du journal d'un capitaine terre à terre "de l'an de grâce 1659". Long monologue sur un mode cyclothymique entre l'apaisement de l'esprit pour atteindre le bonheur, exaltation et angoisses existentielles. Jusqu'au jour où le supposé Robinson trouve une empreinte humaine dans le sable. Est-ce lui, est-ce un autre ou est-ce un autre soi-même? Etrange dialogue sur le mode schizophrénique entre le moi et son double!
J'ai trouvé (malgré certaines longueurs) le côté psychiatrique (conséquences de l'isolement) fort bien rendu:altération du langage,mégalomanie du roi dans son royaume imaginaire (qui se prend pour un Dieu régissant les lois de la nature), hyperactivité suivie de prostration,perte du contrôle en découvrant l'empreinte,régression en deçà du stade du miroir dans lequel il ne reconnait plus son image paranoïa (car l'autre est forcément hostile), délire avec sexualité débridée, détachement de l'esprit perdu dans l'immensité du corps...
Une excellente approche philosophique, également, de l'être et du non-être, de la distorsion du temps..
Un ouvrage ardu, dont j'espère avoir capté l'essentiel : "comment se construire sans les béquilles communautaires et des standards de civilisations"?
Et une fin déroutante, comme l' absurde de la condition humaine (fort bien décrit dans le mythe de Sisyphe), une fin imprévue ( qui déstabilise) d'homme déstabilisé face à l'imprévu.
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J'ai choisi de le lire car j'aimais bien l'idée de ce que j'avais bêtement interprété comme étant une suite à Crusoé, "le vrai" , et qui en est en fait une sorte de palimpseste.
Le titre aussi continue de me chatouiller, je n'en comprends pas la forme linguistique ; est-ce un complément du nom erroné (on dit bien la crotte de nez, et pas la crotte à nez, bien que ça ne fonctionne pas avec le sac à main), en grand décalage avec le registre de langue ultra soutenu (daté, meme, d'époque) maintenu tout au long du livre ? Est-ce un complément indirect, comme dans "l'annonce (faite) à Marie" on aurait "l'empreinte (faite) à Crusoé"?
J'ai découvert plusieurs mots à la volée, jamais croisés au cours de précédentes lectures (ajoupa, quiscale, barbadine...) Et puis, au-delà de l'emprunt, l'empreinte.
La fin est inattendue, et pourtant grande amatrice de polars et thrillers en tous genres, c'est dur de me la faire maintenant.
Je reste toutefois avec un gout (de sel) vraiment perturbant dans la bouche. J'ai eu du mal à le lire, et la typographie n'aide pas : les 221 pages sont une logorrhée qui m'a terrassée : pas de points, pas de majuscules ; bref, pas de phrase, même pas une pour commencer. C'est l'heure de gloire du point-virgule. On est pris dans le tourbillon mental de Robinson, dans son défaut de mémoire, dans ses découvertes (primitives et culturelles), dans l'affrontement de la solitude (mais il n'est jamais seul, l'ile et ses "habitants" y compris végétaux sont des personnages à part entière). Et puis cette empreinte, bon moi j'avais deviné qu'elle n'était pas le sujet du livre. Mais cette manière m'a rendu le fond un peu hermétique (un peu, j'ai du creuser et m'acharner dans la tempête du point-virgule), et en décourage probablement beaucoup.
A ceux-là je dis persévérez, un trésor gît sous les décombres.




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