Citations sur Le vampire de Ropraz (30)
..... Ancestralement tout est maléfique et dangereux dans ces campagnes perdues, l'orage qui gonfle les rivières, la foudre qui met le feu aux toits, la sécheresse qui tue les champs, grille l'herbe, rapetisse et racornit les fruits, la pluie qui pourrit la récolte et ravine les cultures .
.... On se méfie des vagabonds, des mendiants, des prédicateurs ambulants chapardeurs comme des romanichels. On chasse les gens du voyage, bohémiens, tsiganes, on fait fuir les colporteurs à coup de fourche.
.... Mais voilà le 20 février, voilà le règne du vampire qui résume toutes les craintes, les violences, la folie rentrée, et resserre sur l'insaisissable l'horrible secret du monde mauvais.
23 février1903
La feuille de Lausanne
Cette triste affaire, écrit le journal, aura dans notre pays un douloureux retentissement. Jamais encore la chronique du crime n'avait eu à enregistrer en Suisse un acte aussi abominable. Il est vivement à désirer, pour la tranquillité de la conscience publique, que le coupable tombe entre les mains de la justice et reçoive le châtiment exemplaire qu'il mérite. Les hyènes ont l'excuse de la faim pour déterrer les cadavres. Pour lui, pour cet ignoble vampire, nous n'en trouvons pas.
De récentes recherches ont laissé supposer que les restes du soldat inconnu, interprétés par l'analyse de leur ADN, appartiendraient au citoyen vaudois Charles-Augustin Favez, engagé volontaire dans l'armée française en guerre en février 1915. Tué devant la ferme Navarin le 18 septembre de la même année. Et que le soldat inconnu, héroïquement honoré par le chef d'Etat, la sonnerie aux morts et le salut au drapeau chaque 14 juillet que Dieu fait, ne serait autre qu'un fou et un effrayant repris de justice d'origine suisse.
" Ropraz, dans le Haut-Jorat vaudois, 1903. C'est un pays de loups et d'abandon au début du vingtième siècle, mal desservi par les transports publics à deux heures de Lausanne, perché sur une haute côte au-dessus de la route de Berne bordée d'opaques forêts de sapin. Habitations souvent disséminées dans des déserts cernés d'arbres sombres, villages étroits aux maisons basses. Les idées ne circulent pas, la tradition pèse, l'hygiène moderne est inconnue. Avarice, cruauté, superstition, on est pas loin de la frontière de Fribourg où foisonne la sorcellerie. On se pend beaucoup, dans les fermes du Haut-Jorat. A la grange. "
On est durement protestants mais on se signe à l'apparition des monstres que dessine le brouillard.
Dans ces campagnes perdues une jeune fille est une étoile qui aimante les folies.
Il ne sait pas assez, le spirituel avocat citadin, les remords qui étranglent et paralysent sous la fraîcheur des paysages et la robustesse des corps. Il ne connaît pas la folie opaque dans les têtes et dans les corps. La méchanceté sous l'idylle. Le désir de mort. La peur qui se tait et qui rôde.
Car partout on a ressorti le Christ qu'on gardait des temps catholiques. Dans tous les villages, le hameaux, maintenant sont accrochés aux cadres des fenêtres, aux espagnolettes, aux linteaux, aux balcons, aux grilles, même aux portes dérobées et aux caves, des guirlandes d'ail et de saintes images qui révulseront le monstre de Ropaz. À nouveau les croix se dressent dans ce pays protestant où on ne les voyait plus depuis quatre siècles. Sur les collines, sur les chemins, on replante l'objet abhorré depuis la Réforme. Le vampire craint le signe du Christ ? « Là, ça le fera réfléchir ! Et le chien est détaché. »
(p. 32)
... Dans sa cellule, Favez a peur. Pourquoi le gardien ne lui a-t-il pas encore apporté sa soupe ? Pourquoi n'entend-on plus les chevaux de l'escadron de gendarmerie devant sa geôle ? C'est bien ça. Avec le soir les gendarmes se sont retirés dans leur poste, laissant le champ libre à la fureur des hommes et des garçons de Ropraz. Ils vont briser sa porte, ces durs, ils vont le rosser au bâton, lui casser les os et les dents, puis ils le traîneront dans la cour, ils lui planteront un pieu dans le coeur et ils le brûleront vif. Ou ils le ramèneront à Ropraz, un bûcher sera dressé à la chapelle et il grillera, lui, Favez, nu, hurlant, devant tout le village vengé. ...
L'hiver attise ces violences sous la longue neige amie des fous, les ciels rouges et bistre entre nuit et aube déshéritée, le froid et la mélancolie qui tend et ronge les nerfs.