Je lui demandai si Mme Leidner approuvait ma venue.
Son visage s’éclaira :
— Oui. Ça m’a d’ailleurs étonné. Très agréablement étonné. Elle m’a dit que c’était une très bonne idée. Et qu’elle se sentirait beaucoup plus en sécurité.
Cette expression insolite me frappa. Plus en sécurité. Drôle d’expression. J’en vins à me demander si Mme Leidner n’était pas un peu folle.
Il enchaîna avec un enthousiasme assez puéril :
— Je suis sûr que vous vous entendrez à merveille. C’est vraiment une femme adorable. (Il eut un sourire désarmant.) Elle vous imagine déjà comme son réconfort. Et j’ai moi-même eu cette impression dès que je vous ai vue. Vous respirez, si je puis me permettre, la santé et le bon sens. Vous êtes pour Louise la personne rêvée.
— On peut toujours essayer, professeur, dis-je gaiement. Je suis sûre que je saurai être utile à votre femme. Peut-être a-t-elle peur des autochtones et des gens de couleur, non ?
— Absolument pas ! s’écria-t-il en secouant la tête et en trouvant apparemment l’idée saugrenue. Ma femme aime beaucoup les Arabes ; elle apprécie leur naturel et leur sens de l’humour. Ce n’est que sa seconde saison ici – nous sommes mariés depuis deux ans à peine –, mais elle se débrouille déjà très bien en arabe.
Je gardai le silence un instant, puis revins à la charge :
— Professeur Leidner, vous ne pouvez pas m’expliquer de quoi votre femme a peur au juste ?
Il hésita.
— J’espère… je crois…, déclara-t-il lentement, qu’elle vous dira ça elle-même.
Ce fut tout ce que je pus en tirer.
- Voici Mr Carey, notre architecte, miss, me dit le Pr Leidner.
Le nouveau venu marmonna quelques mots de bienvenue inaudibles ainsi qu’il sied à un Anglais de bonne éducation et s’assit auprès de Mme Mercado.
Il restait encore une place vide et la porte ne tarda pas à livrer passage à un homme.
C'est de tout garder pour soi qui use les nerfs.
Je ne m'ennuie pas souvent, la rassurai-je. La vie est trop courte pour ça.
C'est drôle, les langues, dis-je. On ne peut pas se faire à l'idée qu'il y en ait autant.
Mr Coleman entra comme un chien fou. Comme un chien fou est bien l'expression qui convient. Pour un peu on se serait attendu à ce que sa langue se mette à pendre et à ce qu'il remue la queue.
- Vous attachez donc plus d'importance aux défauts de la victime qu'à ses vertus? répliqua Mr Carey d'un ton sarcastique.
- Oui... s'il est question d'un assassinat. Autant que je le sache, nul n'a été tué parce qu'il était trop vertueux !
Bismillahi ar rahman ar rahim. C’est cette phrase rituelle que tout Arabe prononce avant de se mettre en route. Eh bien, nous aussi, nous allons nous mettre en route. Nous allons commencer un voyage. Un voyage dans le passé. Un voyage dans les étranges replis de l’âme humaine.
Dans quel étrange monde vivions nous et comment deux personnes regardant la même chose pouvaient-elles voir le contraire de ce que l'autre voyait ?