Héroïne, héroïsme, héroïque !
Ces mots s'adressent à Maryse Bastié, cette fantastique aviatrice tellement bien croquée par
Agnès Clancier. le livre s'ouvre sur le 21 mars 1944 lorsque la Gestapo vient arrêter Maryse. Elle est terrorisée tant elle craint d'être torturée puis tuée. Pour chasser ses peurs, elle fait défiler sa vie.
Née en février 1898 à Limoges, Maryse sort déjà du lot. Mariée à 16 ans, mère à 17, divorcée peu de temps après, elle n'a d'yeux que pour les pionniers de l'aviation, telle Adrienne Bolland, cette autre pilote flamboyante. Remariée à un pilote, Louis Bastié, elle veut obtenir son brevet (1925) et quitte définitivement le monde de la chaussure dans lequel elle s'étiolait depuis l'adolescence. Et voilà cette petite femme de 154 cm prête à en remontrer aux hommes. La seule manière d'être crédible c'est de battre des records. Pour battre des records, il faut de l'argent, beaucoup d'argent et pour convaincre les constructeurs, il faut du culot, beaucoup de culot et de faire-valoir. Voler coûte cher, l'entretien et l'entreposage de l'appareil aussi, Elle se bat férocement, obstinément, multiplie les baptêmes de l'air et les vols publicitaires, vend des heures de vol. Elle finit même par acheter son propre avion, un Caudron C 109 de 40 ch.
Ses records sont impressionnants : vitesse et durée de vol, traversée de l'Atlantique Nord, puis de l'Atlantique Sud en solitaire et, surtout, celui inégalé à ce jour, d'endurance avec 38h de vol ininterrompu (1930). Et dans quelles conditions ! Serrée comme une sardine dans la carlingue, elle ne peut détendre ses articulations, les vapeurs d'huile et d'essence ainsi que le bruit assourdissant du moteur occasionnent des maux de tête violents, le froid d'altitude écorche visage et mains, elle a le dos en compote. Après tous ses succès, où dans chaque pays, à chaque atterrissage, elle est reçue comme une rock-star, couverte de fleurs, de décorations prestigieuses et d'articles élogieux dans la presse, elle doit continuer à trouver de l'argent, problème récurrent pour tous les pilotes. Sa jeune collègue, Léna Bernstein, tellement poursuivie par les huissiers et épuisée nerveusement, se suicide en plein désert. A 26 ans.
La mort rôde invariablement autour de ces pionniers : Louis Bastié meurt lors d'un vol d'entraînement tout comme Hélène Boucher qui se crashe à 26 ans, comme
Jean Mermoz et son équipage en 1936 en faisant un énième vol pour l'Aéropostale, comme Henri Guillaumet et Marcel Reine abattus en 1940, comme St-Ex qui s'abîme au large de Marseille en 1944 et comme tant d'autres fauchés dans la fleur de l'âge.
Mais la vie mouvementée d'aviatrice exceptionnelle n'est pas le seul fleuron de Maryse Bastié. En 1940, elle s'engage dans la Croix-Rouge et au cours de ses multiples missions sanitaires, principalement entre Paris et la caserne de Drancy, elle sert d'agent de liaison pour la Résistance. Lorsque Drancy est vidé de ses militaires pour faire place aux prisonniers politiques et aux Juifs, Maryse transmet des colis, des plans, des faux papiers, des messages aux familles. A la fin de la guerre, elle reçoit la Croix de guerre avec palme mais ne peut plus voler suite à une fracture du coude. Elle meurt en 1952 dans un avion de transport militaire après un meeting aérien.
L'écriture d'
Agnès Clancier fait exploser la vie de Maryse Bastié avec autant de panache qu'en manifeste son héroïne. Tantôt haletante, oppressante et tantôt plus déterminée et toujours vibrante, elle tient le lecteur en haleine d'un bout à l'autre de cette passionnante biographie. « Les records de vitesse sont, aujourd'hui, dépassés depuis longtemps. Mais la durée… La durée, ils ne risquent pas. Presque trente-huit heures, seule, dans un avion. La plupart n'atteindraient même pas la moitié. Ils font semblant d'oublier. C'est vieux, tout ça, ça n'a plus de sens, aujourd'hui. Il n'y a plus que la vitesse… La durée, c'est autre chose. C'est l'humain. Ce n'est pas infini, l'humain. C'est fragile, c'est limité. Il fallait la connaître, cette limite de l'humain. Il fallait y aller. Aller au bout. Atteindre la frontière ultime. Celle que personne, jamais, ne pourra dépasser ».
Une simple trace dans le ciel.